Comment le système éducatif plante ses réformes : L'exemple de l'accompagnement personnalisé  

Pourquoi les réformes ne marchent pas ? Peut-être parce qu'elles sont combattues par le système éducatif lui-même. La thèse que défendent Julie Blanc et Christian Germier, deux docteurs de l'Université de Toulouse, traite de l'accompagnement personnalisé mis en place dans le cadre de la réforme du lycée. Mais elle fait évidemment écho à la réforme du collège qui copie le même dispositif, destiné à tous les élèves. C'est au final la curieuse conception de la conduite du changement dans le système éducatif qui est interrogée.

 

 Certes l'enseignement agricole a des aspects spécifiques. Mais les lycées généraux et technologiques agricoles (LGTA), fonctionnent avec les mêmes programmes et instructions que les établissements de l'éducation nationale. Dans les textes, c'est le même accompagnement personnalisé qui est instauré par la réforme lancée en 2010.  Il doit être mis en oeuvre par des enseignants certifiés très proches de leurs collègues de l'éducation nationale. Cela pousse à étendre la réflexion à l'ensemble du système éducatif.

 

Quels obstacles concrets observe-t-on ?

 

Généralisé par la réforme du lycée du jour au lendemain, l'accompagnement personnalisé (AP) ne va pas de soi pour des enseignants dont l'identité professionnelle est le plus souvent disciplinaire. D'autant qu'il est institutionnalisé sans pistes ou indications disant comment s'y prendre et que son impact sur l'organisation du temps scolaire n'est pas négligeable. Pour 75% des enseignants des LGTA, l'accompagnement personnalisé pose de réelles difficultés, constatent Julie Blanc et Christian Germier, à partir d'une enquête portant sur 267 enseignants. Les auteurs parlent d"'identité professionnelle bousculée" tant le changement de posture demandé est important.

 

Julie Blanc et Christian Germier se sont attachés à observer les obstacles à la mise en oeuvre de l'AP. Ils constatent que les contraintes temporelles empêchent très souvent la mise en place de pédagogie de projet dans l'AP.  Des contraintes de postes s'opposent également à la bonne mise en marche de la réforme. Pour les auteurs, les enseignants "sont pris dans des problématiques logistiques aux dépens d'une réflexion plus pédagogique".

 

Et qui les fabrique...

 

"Les difficultés exprimées par les enseignants révèlent que le système, dans sa complexité, produirait lui-même les obstacles qui empêchent son évolution", notent les auteurs. "Les normes qu'il construit, les règles qu'il impose et  les valeurs qui fondent son identité et celle des enseignants peuvent entrer en contradiction avec la volonté de changement des décideurs qui le pilotent". Ils notent que face aux difficultés, directions et enseignants se recalent sur des  dispositifs connus, centrés sur un professeur, une discipline, là où il faudrait changer de pratiques. "In fine", notent les auteurs, "l'ensemble des difficultés pointées met à mal une réelle appropriation du dispositif". On est devant un modèle d'apprentissage "empêché".

 

Cette analyse détaillée de la mise en place de l'accompagnement personnalisé souligne que réformer ne peut se réduire à signer un décret ou un arrêté. Quand la réforme se heurte aux valeurs et aux organisations du système éducatif, son application semble bien compromise. Plus que de textes c'est d'accompagnement sur le terrain dont les enseignants ont besoin. Une réflexion que les auteurs de la réforme du collège devraient entendre.

 

François Jarraud

Julie Blanc et Christian Germier, Réforme et changement : la mise en place de l'individualisation, in Lycées agricoles en changement. Regards pluriels , Educagri 2014, ISBN 978-2-84444-978-8

 

Voir aussi : Comment l'Education nationale sabote ses réformes

 

 

 

Par fjarraud , le vendredi 17 avril 2015.

Commentaires

  • Delafontorse, le 19/04/2015 à 07:34
    Titrer "Comment les réformes plantent le système éducatif" aurait été plus près de la vérité puisque les réformes sont en effet faites pour casser l'école publique et drainer le maximum de monde vers la vente privée de produits éducatifs.
    L'exemple de l'accompagnement "personnalisé" est, si l'on peut dire, un cas d'école: appelé ainsi pour tromper les parents d'élèves et qu'ils en espèrent une aide individualisée de leurs enfants, cet "accompagnement" est tout sauf individualisé puisque comme le rappelle à juste titre un commentaire précédent il se pratique au mieux en demie-classe. Quand les élèves sont en moyenne 35 par classe et qu'un professeur doit s'occuper en moyenne de 4 classes, le compte est vite fait de l'individualisation possible du suivi éducatif. 
  • eplantier, le 17/04/2015 à 15:01
    ""Les difficultés exprimées par les enseignants révèlent que le système, dans sa complexité, produirait lui-même les obstacles qui empêchent son évolution", notent les auteurs. "Les normes qu'il construit, les règles qu'il impose et  les valeurs qui fondent son identité et celle des enseignants peuvent entrer en contradiction avec la volonté de changement des décideurs qui le pilotent". Ils notent que face aux difficultés, directions et enseignants se recalent sur des  dispositifs connus, centrés sur un professeur, une discipline, là où il faudrait changer de pratiques. "In fine", notent les auteurs, "l'ensemble des difficultés pointées met à mal une réelle appropriation du dispositif". On est devant un modèle d'apprentissage "empêché". "

    Les auteurs ont mis le doigt sur la vérité, celle qui empêche toute évolution. Combien en avons-nous vu, de réformes mortes-nées, parce que le système allait contre elles, parce que chacun s'interdit, les syndicats au premier chef, de revoir les fondations.
    Peillon, lui, a affiché la couleur. Il est parti, le ronronnement reprend.
  • Viviane Micaud, le 17/04/2015 à 11:39
    Au lycée, l'accompagnement personnalisé c'était, au mieux, 2 heures par semaine par groupe de 17 élève. On ne rattrape pas des lacunes en lectures et expression incrustées depuis le CM1 dans ces conditions.

  • Michel MATEAU, le 17/04/2015 à 17:02

    « Généralisé par la réforme du lycée du jour au lendemain ». Faux. Depuis des décennies la plupart des réforme proposées au système éducatif va dans le sens d’une pédagogie interdisciplinaire et d’un accompagnement de l’élève (Itinéraire de découverte, accompagnement personnalisé, éducatif, PPRE…) et ce sont ces directions que refusent avec une belle constance les enseignants

    « qu'il est institutionnalisé sans pistes ou indications ». Faux. L’exposé des principes et de nombreuses ressources sont proposés sur les sites ministériels ou les sites disciplinaires

    « son impact sur l'organisation du temps scolaire n'est pas négligeable ». Bien sûr et c’est heureux, c’est même l’un des buts de ces réformes !

    « Quand la réforme se heurte aux valeurs et aux organisations du système éducatif, son application semble bien compromise ». Ce type de réforme ne se heurte justement pas aux VALEURS du système éducatif mais au contraire les intègre (adaptation à l’élève et à ses difficultés, universalité de la culture scolaire ….). Effectivement il se heurte à son ORGANISATION ancestrale. En choisissant la pérennisation ad aeternam de l’organisation, les enseignants trahissent, sans même s’en rendre compte, ces valeurs.

    « Plus que de textes c'est d'accompagnement sur le terrain dont les enseignants ont besoin ». Les enseignants qui revendiquent haut et fort leur « liberté pédagogique » ont curieusement besoin d’un accompagnement (toujours insuffisant) sitôt qu’une réforme est proposée.

    « Le système éducatif plante ses réformes ». Expression absurde (mais politiquement correcte).  Ceux qui initient  les réformes et ceux qui s'efforcent de les planter ne sont pas les mêmes. La notion de système est un habile camouflage mais depuis que je suis dans l'EN je n'ai jamais vu de "système" mais des hommes et des femmes.

    • Viviane Micaud, le 17/04/2015 à 11:50
      Je ne suis pas d'accord avec Michel Matteau sur cela :
      « Le système éducatif plante ses réformes
       ». Expression absurde (mais politiquement correcte).  Ce ne sont pas les mêmes qui initient les réformes et qui s'efforcent de les planter.

      Les réformes pondues par les services centraux ont pratiquement toujours été contre-productives pour les résultats demandés aux enseignants. C'est pour cela qu'elles sont arrêtés.
      Ce n'est pas en faisant des activités interdisciplinaires qu'on rattrape des lacunes incrustées depuis le CE2. On peut se sentir mieux dans sa peau, avoir envie de travailler, mais il n'y a rien de magique. Il faut mettre des moyens pour, par un enseignement explicite, des enseignants aident  chaque enfant avec un besoin particulier à rattraper les compétences ou connaissances qui lui manquent, une à une.

      Si on compare les moyens que les pays de l'OCDE mette en place pour aider les enfants qui n'ont pas acquis les fondamentaux à les rattraper, la France est à un niveau ridicule. C'est là le noeud du problème. Il faut dégager du temps d'attention pour ces enfants là et former les enseignants aux méthodes qui marchent vraiment pour faire avancer les enfants qui ont des différences dans leur fonctionnement cognitif.
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