La chronique de Véronique Soulé : Oser Sciences Po à Epinay-sur-Seine 

Alors que sort une biographie de Richard Descoings (1), que retenir du bilan du patron de Sciences Po, brutalement décédé le 3 avril 2012 ? Les Conventions Education Prioritaire qui ouvrent une voie d’accès spécifique à Sciences Po pour les lycéens de Zep, furent l’une des grandes affaires de sa vie. Pour tenter un bilan, on est allé sur le terrain interroger un prof engagé dans le dispositif. Conclusion : positif mais pas magique. 

 

 Sylvain Kernévez, 33 ans, est enseignant d’histoire-géographie au lycée Jacques Feyder d’Epinay-sur-Seine, en Seine-Saint-Denis. Nommé là il y a six ans, cela fait cinq ans qu’il participe au dispositif. Aujourd’hui, il coordonne l’atelier Sciences Po, deux heures le mercredi après-midi, avec une collègue – Julie Duthil,  prof elle aussi d’histoire-géo.

 

Préparer Sciences - Po en lycée ZEP

 

Le lycée Feyder, sept bâtiments fatigués bordés d’un peu de pelouse et de quelques arbres, est l’un de ces gros bahuts de banlieue construits pour faire face à la poussée démographique d’un département à fois très jeune et très pauvre. Comme beaucoup d’établissements du «93», il cumule les labels – Prévention violence, Zone Urbaine Sensible,  Zep, etc. Avec son grillage vert tout autour, il ressemble à un îlot... Mais la violence n’est jamais loin. En janvier dernier, deux bandes rivales sont venues régler leurs comptes juste devant la grille d’entrée. Aujourd’hui encore, des élèves ont peur de venir  au lycée car il leur faut traverser certaines cités «chaudes».

 

Pour surmonter ces handicaps, le lycée a multiplié les partenariats et il propose de nombreux dispositifs aux élèves. Avec le Parcours Dauphine qui prépare des lycéens voulant rejoindre l’université Paris Dauphine, l’atelier Sciences Po, proposé aux classes de première et de terminale, comptent parmi les plus prestigieux.

 

Le lycée Feyder a été l’un des premiers à signer, en 2004, une Convention avec Sciences Po. Le dispositif a quelque peu évolué. A Feyder, les lycéens qui s’y inscrivent ont d’abord droit à des conférences de culture générale – sur La crise et la croissance, Les femme et la politique… Puis les lycéens de première passent à des recherches sur l’actualité. Les terminales s’attèlent, eux, à une revue de presse sur un sujet de leur choix – la poudrière pakistanaise, le couple Fillon-Sarkozy, l’impopularité de Hollande, les dérives du président turc Erdogan…. Epaulés par les enseignants, ils rédigent deux notes – une de synthèse, une autre plus personnelle. Ils passent ensuite devant un premier jury dans le lycée – l’admissibilité. Les lycéens retenus iront à un oral, en juin, à Sciences Po – l’admission.

 

Des effets bénéfiques limités

 

Depuis le début,  le lycée Feyder a fait entrer 32 élèves rue Saint Guillaume. Un bilan modeste au regard des quelque 1500 élèves du lycée, une chance aussi pour cette poignée de lycéens, assurés d’une spectaculaire promotion sociale.

 

Au-delà des statistiques, Sylvain Kernévez souligne tous les effets bénéfiques pour les élèves qui s’inscrivent – entre 20 et 30 chaque année, tous n’allant pas jusqu’au bout : «D’abord je dirais que c’est du plaisir pour eux. Ils sont heureux d’être là. L’atelier est pour eux un espace de discussion qu’ils apprécient. On y parle politique, économie…, de sujets dont ils n’ont guère l’occasion de parler ailleurs. Ils apprécient aussi la durée. Avec les programmes, on est souvent obligé de passer vite à un autre point. Là, ils ont trois mois pour préparer leurs notes. Chaque semaine, on voit avec eux où ils en sont, les versions s’améliorent progressivement et à la fin ils en sont fiers.»

 

D’après Sylvain Kernévez, il n’y a pas vraiment de profil-type de candidats: «bien sûr il y a de bons élèves qui se présentent. Mais on a aussi régulièrement des élèves très moyens qui osent et veulent se tester. Ceux-là, même s’ils échouent à la fin, auront beaucoup appris et progressé, dans la méthode surtout. Après être passés par l’atelier, ils structurent mieux leurs idées, savent ce que sont un plan et une problématique, et ils réfléchissent mieux».

 

«De plus, poursuit-il, on aurait pu croire qu’il y a une dure compétition entre eux. Mais pas du tout. Ils sont tous ensemble dans cet atelier. Et lorsque l’un d’eux est admissible, les autres le félicitent».

 

De l'ambition en banlieue

 

A propos de l’effet d’entraînement, souvent vanté, sur les autres élèves, Sylvain Kernévez se montre prudent : «c’est difficile à évaluer, le nombre d’élèves impliqués est si petit. Mais une chose est sûre : Sciences Po jouit d’une grande visibilité dans l’établissement. En plus, contrairement à ce que l’on entend dire parfois, les participants à l’atelier ne sont pas mal vus. Leurs camarades sont contents lorsqu’ils réussissent : ils les trouvent courageux et battants car cela fait du travail en plus».

 

Parmi les aspects positifs, il y a aussi tous les anciens qui reviennent au lycée pour donner un coup de  main et faire profiter de leur expérience ceux qui se lancent: «Deux étudiants de deuxième année à Sciences Po sont venus cette année aider les élèves. Une fois à Sciences Po, ils n’ont pas pour autant tourné la page».

 

Pour les enseignants aussi, l’atelier est enrichissant, poursuit Sylvain Kernévez : «nous apprenons sur eux. On leur demande de justifier pourquoi ils ont choisi leurs sujets, ils doivent se dévoiler. Ce sont des moments d’échange intéressants. Les rapports élèves-profs sont aussi différents. On les prépare longuement à l’oral – ils ont 5 oraux blancs chacun. On porte un autre regard sur ces élèves, qui à 17-18 ans, ont acquis de sacrées connaissances sur des sujets souvent pointus». Pour ces profs, c’est aussi une bouffée d’oxygène : «ce n’est pas facile d’enseigner dans certaines classes. L’atelier est un espace de respiration, et de plaisir aussi pour nous». 

 

Sur la portée de ces Conventions, l’enseignant a une vision réaliste : «Cela ne révolutionne pas le  lycée. Mais cela a un impact sur l’ambition des élèves passés par l’atelier. Ceux qui n’ont pas eu Sciences Po osent des choses qu’ils n’auraient pas osées avant. Ils se seraient inscrits dans des formations pas loin de chez eux, et là ils demandent la Sorbonne. Pour ceux qui ont eu Sciences Po, je dirais que c’est la récompense pour des parcours courageux.»

 

Véronique Soulé

 

(1) «Richie», Raphaelle Bacqué, 228 p., éd. Grasset

 

Sur les conventions éducation prioritaire

 

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Par fjarraud , le lundi 20 avril 2015.

Commentaires

  • Viviane Micaud, le 20/04/2015 à 14:56
    Article tout a fait équilibré. Il manque le coût du dispositif.

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