La chronique de V. Soulé : Se battre pour l’ouverture culturelle au collège 

Les profs n’ont pas attendu la réforme du collège pour se bouger, ouvrir leurs classes et épousseter leur pédagogie afin d’intéresser des élèves toujours plus sollicités.  Souvent, cela se passe sans bruit et ce sont de petites choses modestes. Emmanuelle Rigo-Toppan, enseignante près de Metz, est de ces profs engagées et discrètes, soucieuse d’ouverture culturelle. Un sujet dont on parle bien peu au milieu du brouhaha sur le nombre d’heures de latin et d’allemand. 

 

 Emmanuelle Rigo-Toppan, 44 ans, enseigne le français au collège La Louvière de Marly (Moselle), dans l’agglomération messine. Le petit établissement, qui abrite 300 élèves, n’est ni spécialement difficile ni vraiment huppé. Un collège de ville moyenne, classique et sans histoires, au moins jusqu’à la suspension d’un prof en février (1). Avec Metz à côté et Nancy à soixante kilomètres, on est loin des périphéries abandonnées ou du rural isolé.

 

Pourtant Emmanuelle Rigo-Toppan estime que pour ses élèves, c’est «un peu un désert culturel» : «j’ai découvert cette année  que sur la cinquantaine de collégiens que comptent mes deux classes de troisième, seuls 5 étaient déjà allés à l’Opéra-Théâtre de Metz». Aussi veut-elle leur ouvrir de nouveaux horizons. Chaque année, elle mène un projet-phare qui servira de fil conducteur à la classe. Cette année, c’est le théâtre vivant. Un projet sur lequel elle travaille avec la documentaliste du collège.

 

Mais ce n’est pas aussi facile qu’à Paris et dans sa proche banlieue où tout est à proximité, et où certains établissements empilent les dispositifs. «En juin, nous avions déposé un projet auprès de l’Opéra-Théâtre de Metz. Mais à la rentrée, on a appris qu’on était recalé. Ils ont trop de demandes. On voulait devenir une classe opéra avec la possibilité de voir deux-trois pièces dans l’année et d’assister à une répétition. On a eu droit à une visite, et avec l’une de mes classes, on a assisté au ballet «Roméo et Juliette»

 

« Ici personne  n’est étranger ! »

 

Face à la déception des élèves et de la prof elle-même, il a fallu trouver autre chose. «La documentaliste du collège connaissait le Festival «Passages» qui a lieu tous les deux ans à Metz», et qui présente des spectacles du monde entier. Une chance: il revient cette année installer ses chapiteaux  place de la République, en plein coeur de Metz. «C’est un festival très riche par la diversité de sa programmation, poursuit Emmanuelle Rigo-Toppan, avec des spectacles que l’on n’a pas l’habitude de voir, joués dans des langues différentes. Cette approche m’intéressait.»

 

En plus, le slogan du festival 2015 est : «Ici, personne n’est étranger !». «Cela a achevé de me convaincre, explique l’enseignante,  car cela renvoie aux événements de janvier. Sur le moment, l’émotion dominait et sans recul, c’était difficile de faire quelque chose. Mais une fois que l’on a laissé reposer, on peut travailler». Elle a fait venir au collège deux personnes du Festival, Marie Thomas et Jean-Pierre Thibaudat. Durant deux heures, ils ont expliqué le choix de ce slogan, répondu aux questions sur ces spectacles présentés dans  des langues inconnues… «Cela a beaucoup ouvert de questionnements», précise l’enseignante.

 

A partir de ce slogan, Emmanuelle Rigo-Toppan a travaillé avec ses élèves  sur la notion d’étranger – en termes de frontières, de culture, de religion, de valeurs, d’étrangeté… «Ce qui revient le plus dans les commentaires, c’est la différence et la tolérance».

 

Après, elle est passée à un travail sur l’engagement dans la littérature. Chaque élève doit rédiger un texte engagé sous forme de lettre ouverte, de lettre à un ami ou encore de poème aux formes libres. «Il doit l’écrire sur une feuille blanche, avec une présentation particulière, précise leur professeure, les textes seront ensuite affichés sur le mur d’expression du Festival, ou dits à la radio qui va fonctionner durant tout l’événement. Ca leur plaît beaucoup.» Dans la classe déjà, une quinzaine de volontaires ont lu leurs textes à haute voix, pour «voir si leurs camarades comprenaient ce qu’ils voulaient dire».

 

Emmanuelle Rio-Toppan reste dans les clous du programme de troisième, qui comporte une partie «Un regard sur le monde». Y figure aussi le théâtre du 20ème et du 21ème siècle. Dans ce cadre, la prof a fait travailler une classe sur l’Antigone d’Anouilh, et l’autre sur Shakespeare

 

«Les élèves ont des choses à dire»

 

L’enseignante évoque avec enthousiasme tout ce que cela apporte aux collégiens, notamment pour l’expression : «les élèves ont des choses à dire. Mais à cet âge-là, ils veulent être dans un moule, suivre un mouvement  général. Là, cela leur permet  d’exprimer des idées, des points de vue, sans chercher à dire la chose juste, attendue».

 

Le 11 mai prochain, elle ira voir avec les volontaires une pièce à l’affiche du Festival – «Le jour du grand jour ». «J’en ai choisi une en français car c’est plus abordable. En plus, c’est une pièce joyeuse et qui n’est pas classique, avec de la musique et  de la danse. Nous travaillons déjà sur une thématique grave, il faut éviter d’être plombant. Enfin, nous avons pris une séance à 18 heures, en dehors des heures scolaires. C’est un choix, car  je préfère que les élèves viennent librement. A la sortie, ils pourront même rencontrer des artistes.»

 

Trente-deux élèves se sont inscrits, sur une cinquantaine. «Il y en a qui, très vite, me disent qu’ils n’accrochent pas, je respecte». D’autres, au contraire, se passionnent  pour le  théâtre. Emmanuelle Rigo-Toppan a ainsi emmené, un soir, quatre élèves à un spectacle où elle se rendait en famille.

 

Ce qui change dans la classe ? «Ca change tout dans l’année, c’est pourquoi je lance le projet en tout début. Un rapport de proximité s’établit entre les élèves et le professeur. Pour aller visiter l’Opéra-Théâtre, on a pris le bus ensemble, on a échangé des réactions, des sentiments, de façon directe, sans passer par la page blanche. Les élèves voient ce que je suis prête à leur donner, et à partager avec eux.»

 

On en oublié de parler de la réforme du collège et de ses polémiques enflammées sur les classes bi-langues, l’histoire, les langues anciennes … Et ça a fait du bien. 

 

Véronique Soulé

 

(1) le prof de musique est accusé d’avoir envoyé un mail déplacé à une élève de quatrième.

 

Lire les précédentes chroniques

 

 

Par fjarraud , le lundi 04 mai 2015.

Commentaires

Vous devez être authentifié pour publier un commentaire.

Partenaires

Nos annonces