La mixité sociale à l'école interrogée par le Cnesco 

Alors que la France se lance dans de nouvelles réformes, peut-on y évaluer sereinement les politiques éducatives ? C'est ce que tente de faire le Conseil national d’évaluation du système scolaire (Cnesco), une des institutions nées de la loi d'orientation. Il organise début juin un colloque sur la mixité sociale, un sujet particulièrement brulant en France. Son expertise vient d'être reconnue par la Commission européenne. Nathalie Mons, présidente du Cnesco revient sur ce travail.

 

La Commission européenne a lancé un réseau européen d’experts spécialisés dans l’éducation en charge de l’analyse des systèmes scolaires et retenu pour la France le Cnesco. Quel est exactement le rôle du Cnesco ?

 

 Le Cnesco a d’abord été impliqué dans un projet-pilote de réseau de spécialistes de l’éducation en 2014, puis choisi en 2015 par la Commission européenne pour analyser en toute indépendance le système scolaire français, depuis la maternelle, jusqu’au lycée. Nous avons accepté car cela rejoint les missions et, méthodologiquement les préoccupations du Cnesco qui doit à la fois analyser les résultats de l’école française et évaluer les politiques scolaires, dans un cadre de comparaison internationale. Il s’agit bien pour le Cnesco d’évaluer trois dimensions des politiques scolaires. Tout d’abord leur pertinence  - est-ce que les cadres législatifs et réglementaires des politiques scolaires sont bien en lien avec les objectifs proclamés et réciproquement est-ce que la France développe bien les bonnes politiques pour atteindre les objectifs que la représentation nationale a fixé à son école dans la Loi d’orientation et de programmation de 2013, autrement dit y a-t-il associés aux objectifs affichés des politiques pertinentes. Si ces politiques s’avèrent pertinentes, notamment au vu des résultats de la recherche, le Cnesco interroge deuxièmement la réalité de leur mise en œuvre et, troisièmement, les effets réellement mesurés de ces politiques.

 

S’interroge-t-on ainsi de façon approfondie sur la mise en œuvre des politiques scolaires à l’étranger ?

 

Oui, et plus encore à l’étranger. Cette démarche est importante pour nous, français, car nous savons qu’en France,  pays très attaché aux cadres légaux, il y a bien souvent des écarts importants entre les cadres légaux et leurs mises en œuvre. La France doit s’interroger sur la capacité de son système politico-administratif à mettre en œuvre les politiques publiques. A la différence de ce qui se passe à l’étranger, où la phase de mise en application des réformes, est une préoccupation centrale, il y a trop peu chez nous de mécanismes qui permettent de garantir une mise en œuvre proche des cadres légaux : par exemple, en amont, des expérimentations qui permettent de mesurer les effets réels des politiques imaginées et de leur donner de la  légitimité, ce qui est indispensable aujourd’hui pour que les acteurs de terrain y adhèrent ; des consultations à grande échelle sur les politiques, des mises en œuvre de politiques évolutives étalées dans le temps qui nous permettent par itération de faire face aux effets pervers inattendus que l’on retrouve dans toutes les réformes, quelle que soit leur qualité à la base ; des évaluations qui servent à réviser les cadres réglementaires des politiques…

 

Pourquoi le Cnesco a-t-il été choisi par la Commission européenne pour intégrer ce réseau d’experts de l’éducation ?

 

La Commission souhaitait  un évaluateur indépendant pratiquant une évaluation fondée sur des méthodologies scientifiques. Le Cnesco est jeune, une petite année d’existence mais son expertise en évaluation des politiques publiques est déjà reconnue à l’étranger, d’autres acteurs internationaux nous ont sollicité, le Conseil supérieur de l’éducation du Québec avec qui nous organisons notre conférence sur la mixité sociale ou encore l’équivalent du Cnesco Luxembourgeois avec qui nous avons échangé pour monter notre conférence sur la difficulté scolaire et le redoublement. Dès lors que nous ne sommes plus dans un cadre d’évaluation par l’administration pour l’administration - cadre dans lequel les inspections ont développé un travail de qualité - dès lors que nous sommes dans un cadre de reddition des comptes aux citoyens français ou un cadre d’observation par un organisme tiers, cette évaluation doit être indépendante du ministère évalué et doit trouver sa légitimité dans une démarche scientifique d’évaluation des politiques publiques. Par exemple, analyser scientifiquement la mise en œuvre des politiques ou leurs effets, nécessite de constituer des échantillons d’établissements ou d’élèves réellement représentatifs, de mettre en œuvre des méthodes économétriques capables de réellement détecter les effets des politiques selon des logiques causales. Il faut prendre au sérieux l’évaluation des politiques publiques.

 

Le Cnesco organise le 4 et 5 juin un colloque international sur la mixité sociale et scolaire. Pourquoi ce thème ?

 

C’est une des thématiques décidées par le Cnesco dès 2014 dans notre travail sur les Orientations stratégiques du Cnesco pour plusieurs raisons. Il s’agit tout d’abord d’un  des objectifs nouveaux qu’a assigné la Loi de Refondation de l’école de 2013 à notre système scolaire. En se saisissant de ce thème, les conseillers du Cnesco ont, de plus, souhaité interroger la politique de lutte contre les inégalités scolaires, qui en France est centrée quasiment exclusivement sur une politique d’éducation prioritaire, c’est-à-dire une politique de compensation. Dans la très grande majorité des  contextes locaux, on ne cherche pas à faire en sorte que les élèves à risque ne soient pas concentrés dans certains établissements, on cherche principalement à compenser les effets de telles concentrations, en ciblant territorialement certains établissements.

 

Or malgré les moyens distribués dans les réseaux d’éducation prioritaire tout à fait nécessaires, malgré l’implication des équipes pédagogiques, ces établissements qui concentrent les élèves en difficulté sont affectés de plein fouet par les effets dévastateurs de la ségrégation scolaire, effets mis en évidence par les recherches menées à l’étranger. La ségrégation sociale et scolaire a des effets négatifs sur les élèves les plus en difficulté, en termes d’apprentissage mais aussi en termes de cohésion sociale. La ségrégation sociale dans les établissements est associée à une série large d’indicateur sociétaux négatifs en termes d’attitudes citoyenne, civiques, de croyance dans les institutions, de capacité de communication et même de santé dont la consommation de stupéfiants…   Au-delà d’un certain seuil de ségrégation, et malgré l’enthousiasme des équipes, la composition d’un établissement et de ses classes a des effets dévastateurs plus importants que les effets d’une politique de compensation.

 

Votre colloque évoquera aussi la ségrégation ethnique. Est-ce encore un sujet tabou en France ?

 

Oui c’est un sujet tabou, mais les résultats de la recherche qui mettent en évidence les spécificités de cette forme de ségrégation sociale et les demandes des acteurs de terrain nous montrent qu’il faut débattre sereinement de cette question. Elle suscite en France de nombreuses réticences parce qu’elle a, à mon avis, été mal posée dès le début, notamment au travers du débat sur les « statistiques ethniques ». Dans le cadre républicain français, ce terme et cet objectif de fabrication de statistiques ethniques, importés des Etats-Unis notamment, ne référent à aucun cadre politique, culturel ou éthique et crée de fortes réticences. Par contre, la France étant historiquement un pays d’immigration, s’interroger sur des formes de ségrégation liées à l’origine migratoire des élèves et de leurs parents  pourrait être pertinent. Les sociologues de l’éducation et la DEPP à travers des travaux de qualité ont analysé cette dimension depuis plusieurs décennies, par enquêtes sur échantillon. C’est ce qui sera débattu lors de notre conférence début juin.

 

Parler de mixité sociale, c’est parler de carte scolaire, d’enseignement privé, a-t-on des perspectives pour améliorer les choses sur des sujets aussi politiques ?

 

D’autres pays ont réussi à avancer sur le sujet, mais partout le sujet est sensible politiquement et ne peut se construire qu’autour d’un consensus national sur le long terme qui dépasse les alternances politiques. Il existe une boite à outils des réformes de mixité sociale à l’école très riche. La conférence permettra de présenter des expériences concrètes de politiques publiques servant la mixité sociale dans l’école mises en œuvre dans les pays de l’OCDE (ajustement de cartes scolaires, quotas, financement incitatif pour l’enseignement privé…). Présentées par des décideurs internationaux et analysées par des chercheurs, ces expériences serviront les réflexions des décideurs français, aussi bien dans le cas de leurs réussites, qu’à travers l’exposé des obstacles rencontrés ainsi que des conditions déployées pour les faire aboutir. La boîte à outils est très riche, déjà expérimentée à l’étranger, il ne faut pas réinventer la roue comme nous avons l’habitude de le faire en France.

 

La recherche nous incite aussi à être vigilants : les politiques de mixité sociale n’ont des effets durables que si un ensemble de conditions sont remplies : l’adhésion des parents grâce à  une ouverture, une communication entre l’école et les familles, la formation des personnels d’éducation entre autres pour gérer l’hétérogenéité scolaires des élèves, une réflexion sur  l’apprentissage des langues, les transports, les politiques d’établissements pour éviter les ségrégation intra-établissement, c’est-à-dire entre les classes d’un même établissement dont les effets psychologiques sont plus encore dévastateurs que la ségrégation entre les établissements. Les politiques de mixité sociale sont complexes, de long terme et doivent être adoptées à leur terrain.

 

Quelles suites pensez-vous donner au colloque ?

 

La conférence vise aussi à favoriser les rencontres et développer les échanges entre des décideurs d’univers différents qui, tous au quotidien, construisent ces politiques de mixités sociales à l’école. Des décideurs de l’Education nationale, de collectivités territoriales, des acteurs de la Politique de la Ville, des associations d’éducation populaire se sont inscrits en un temps record à la conférence, qui aujourd’hui affiche déjà complet.  

 

Les journées de conférence sont ainsi l’occasion de créer et faire vivre un réseau de décideurs parties prenantes des politiques de mixité sociale dans leur champ de compétences. Mutualisation de pratiques, valorisation d’expériences volontaristes ayant réussi, échanges avec des chercheurs, voire montages communs d’études scientifiques locales : les activités de ce futur réseau, créé à partir du public participatif de la conférence, pourront être multiples.

 

La France est montrée du doigt par l’OCDE pour les inégalités sociales à l’école. Trouve-t-on à l’étranger des politiques plus performantes ?

 

Oui, il y a à l’étranger des politiques plus performantes  notamment dans les pays où cet objectif est une priorité depuis plusieurs décennies et  fait l’objet d’un réel consensus national.  Ce sera  l’objet de notre rapport sur la possible amplification des inégalités scolaires d’origine sociale et migratoire à l’école qui sera rendu public à l’automne. Dans les mois qui viennent cette question sera aussi posée en novembre dans notre conférence de consensus sur les mathématiques à l’école primaire, puis dans nos travaux sur l’école inclusive et le handicap ainsi que dans ceux sur l’enseignement professionnel. Avec la diplomation et l’employabilité des jeunes les plus à risques, les inégalités sociales à l’école est la question prioritaire pour la France, qui, par ailleurs, forme bien ses élites. Mais une société n’est pas par définition composée exclusivement d’élites et, outre un objectif démocratique et de cohésion sociale dont nous voyons déjà les failles aujourd’hui, la recherche nous montre que la croissance économique d’un pays dépend de sa capacité à former à un haut niveau l’ensemble de sa population de jeunes et pas seulement ses élites.

 

Propos recueillis par François Jarraud

 

 

Par fjarraud , le lundi 11 mai 2015.

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