La chronique de V. Soulé : Des profs de collège parlent de la réforme du collège  

On a beaucoup entendu les éditorialistes, les politiques et les intellectuels parler de la réforme du collège. Moins les enseignants. J’ai donc interrogé les profs de collège que j’avais déjà sollicités à la veille de la réforme. Une, sur les quatre, a refusé de répondre, se disant trop découragée. Les trois autres iront manifester le 19 mai. Ils ne sont pas représentatifs de toute une profession. Mais leurs critiques sont révélatrices des inquiétudes et des fractures que révèle cette réforme. 

 

«De bonnes idées mais c’est irréalisable» Renaud Farella, professeur d’histoire-géo au collège Lucie Faure à Paris (XXème  arrondissement)

 

 «C’est dommage. Il y a de bonnes idées dans la réforme comme l’interdisciplinarité. On la pratique déjà d’ailleurs. Avec ma collègue d’anglais, on travaille sur la justice américaine et la justice française. On est très attachés aussi à la mixité. Et l’accompagnement personnalisé (AP), c‘est vraiment bien. Le problème, c’est la distorsion entre ce qui se passe sur le terrain et ce que dit la ministre.

 

Dans notre collège, nous préparons l’accompagnement personnalisé que l’on va mettre en place en sixième à cette rentrée – nous en proposerons deux heures alors qu’une heure est obligatoire. Une formatrice est venue nous aider. Pour travailler avec 15 élèves maximum, au niveau hétérogène, il faut se former. A la rentrée 2016, avec l’application de la réforme, en plus des trois heures d’AP, comme nouveautés, il y aura aussi les Enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI), l’Enseignement moral et civique voulu par Vincent Peillon, ainsi que les nouveaux programmes. Pour l’accompagnement personnalisé, on aura du temps de concertation. Mais pas pour le reste. Même avec la meilleure bonne volonté, c’est irréalisable…

 

On nous vend la réforme en disant que l’on va avoir plein d’autonomie. Mais on a déjà une liberté pédagogique. Et l’autonomie, ce sera surtout le chef d’établissement qui en aura. S’il est bien, tout va bien. Mais si ce n’est pas le cas ? La réforme se fait en outre avec une économie de moyens. Je suis prêt à travailler plus, mais alors il faut changer nos statuts. Il faudrait mettre aussi de vrais moyens en primaire car on accueille des élèves qui souvent lisent mal. Ce qui m’inquiète enfin, c’est que l’on dit aux parents qu’on met le paquet, que l’on va tout arranger. Et si ça ne marche pas, ce sera la faute des enseignants corporatistes. Or l’école ne peut pas tout.

 

C’est une déception, comme pour la réforme  de  l’éducation prioritaire. Avec le rythme endiablé des réformes, on est fatigués. Non que l’on ne veuille pas changer, mais le temps politique n’est pas celui de l’école. Nous avons besoin d’un temps plus long.»

 

 

«Cela va renforcer les inégalités» Nicolas Mousset, professeur de maths au collège Gabriel Péri d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), militant SNES-FSU. 

 

 «Je suis contre. Malgré ce que dit la ministre, on est dans une logique de diminution des moyens, et la réforme a plutôt vocation à amortir les suppressions de postes. Ensuite, on risque la dislocation de l’Education nationale à l’échelle territoriale. Avec l’autonomie, il y a la possibilité de définir, dans les établissements, la répartition des heures de cours et le contenu des enseignements. On va se retrouver avec des enseignements différents d’un établissement à l’autre.

 

A l’inverse de ce que dit Najat Vallaud-Belkacem, les inégalités vont se renforcer. Dans le cadre de l’autonomie, certains collèges, comme les nôtres dans le 93, vont consacrer les 3 heures hebdomadaires (dont  décident les établissements, ndlr) à dédoubler les classes en maths et en français. Dans d’autres où les élèves ont des acquis solides ou suivent de cours particuliers, cela servira à maintenir le latin ou des classes bilangues. A Gabriel Péri, nous avons une option bilangue et une de latin. On va les perdre, ce qui est dommage pour un collège comme le nôtre. Surtout que pour ne pas avoir de «classes ghettos» (avec les meilleurs élèves suivant ces options, ndlr), on avait choisi de les répartir dans les classes.

 

L’interdisciplinarité, c’est intéressant si cela permet de mener de vrais projets. Mais pour cela, il faut du temps. Or dans un collège comme le nôtre, les rapports avec les parents en prennent déjà beaucoup. Dans les établissements où toutes les troisièmes passent dans la voie générale et où il n’y a pas de problème de discipline, les profs auront davantage de temps pour préparer des projets de qualité.

 

Enfin avec la réforme, les conditions de travail vont tourner à l’usine à gaz. Les heures d’accompagnement et des EPI devront être prises sur celles des disciplines. Mais lesquelles ? Les profs vont se battre. Avec la situation qui est déjà ric-rac, on va chercher à ajuster au plus serré les services des enseignants (18 heures de cours hebdomadaires pour un certifié par exemple, ndlr).  L’autonomie ne sera plus  un objectif pédagogique comme le  clame la réforme  mais un casse-tête pour organiser les services.»

 

«Une autonomie qui est une mise en concurrence» Jules Siran professeur d’histoire-géo au collège République de Bobibny (Seine-Saint-Denis), militant Sud

 

 «J’en ai assez de me sentir enfermé dans une alternative : soit on défend le collège à la papa, soit on est pour la libéralisation du système. Ou encore : on est un pourfendeur du pédagogisme ou alors on est partisan  de je ne sais quel  élitisme… Je dénonce une réforme qui cherche à rendre le système le plus efficient possible en mettant les équipes en concurrence, alors même qu’on n’a pas les moyens de fonctionner correctement. Le risque est de déboucher sur des mesures gadgets et une réforme qui soit une coquille vide.

 

La mise en concurrence des équipes et des établissements, c’est ce va provoquer l’autonomie. Comment, sans un cadrage national précis, ne pas susciter de la concurrence entre les profs ? Je suis pourtant pour une forme d’autogestion au sein des établissements et pour l’autonomie des équipes. Mais là clairement, ce sont les chefs d’établissement qui vont voir leurs pouvoirs accrus. Car ce sont eux qui vont trancher pour organiser les Enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI, parmi 8 thèmes au choix, les élèves devront en faire 2 par an à partir de la cinquième,  ndlr) et pour décider que faire des 3 heures de marge hebdomadaires. Or je vois régulièrement des établissements où il y a des conflits internes.

 

Je ne pense pas que la multiplication des options permettant des stratégies aux parents soit une bonne chose pour le collège unique. Mais cette réforme ne va pas empêcher  le latin, l’allemand ou les  classes bi-langues de se maintenir dans certains établissements. Dans mon collège, on va plutôt utiliser les trois heures pour des classes en demi groupe ou pour des co-animations. Dans d’autres, on fera du latin. Pour les EPI, chez nous, ça va plutôt être «Monde économique et professionnel», alors que dans un collège plus favorisé, ce sera «Langues et cultures de l’Antiquité». Contrairement à ce que dit la ministre, la réforme ne supprime  pas le caractère élitiste du latin. La réduction de l’offre de formation est même un scandale dans nos collèges.

 

L’interdisciplinarité enfin, je suis pour à condition qu’on nous donne des heures de concertation pour organiser ces enseignements, et que l’on puisse avoir des heures d’enseignement en co-animation. Mais on parle de Refondation de l’école, et chaque année on nous enlève des heures.»

 

Véronique Soulé

 

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Des profs de collège parlent de la réforme : 1er article  

 

 

 

Par fjarraud , le lundi 18 mai 2015.

Commentaires

  • vedantydv123, le 23/08/2019 à 09:51
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  • BEBEL2012, le 18/05/2015 à 10:30
    Je me reconnais dans la plupart des remarques et inquiétudes formulés par les 3 collègues interrogés. Cela change de ce que nous entendons dans les médias depuis plusieurs jours, cet enfermement binaire entre une partie de la gauche dite "réformiste" et une partie de la droite passéiste, entre le café du commerce et les très médiatisés spécialistes en sciences de l'éducation et autres sociologues, entre d'anciens ministres et de nouveaux aux dents longues ... Les acteurs du terrain on ne les entend pratiquement pas. Alors même que lorsque l'on suit les positions exprimées par les 3 collègues, on se rend bien compte de la différence entre ceux qui occupent la scène et ceux qui travaillent en coulisses. La réforme, oui, mais pas celle-là, pas comme ça ! Je serai gréviste demain pour faire entendre cette autre parole des personnels, ceux qui demandent un vrai débat à la base. On ne réforme pas de cette façon là, façon "oukase" avec ce calendrier en urgence et ce refus de l'expression démocratique des personnels. Pourtant, je serai frustré si l'on en reste là. L'Ecole va mal c'est certain. Le malaise ne peut pas venir comme nous l'entendons trop souvent des réflexes corporatistes des corps intermédiaires pour parler comme le MEDEF. Le malaise est très profond, il plonge ces racines très loin, il n'est pas conjoncturel. Croire que l'on résoudra les problèmes à marche forcée, dans la confusion et sans la construction d'un consensus à minima, c'est appliquer au collège les erreurs de la réforme du lycée. Redonnons la parole aux acteurs du terrain. C'est dans la rue qu'ils vont s'exprimer demain mais cela ne suffira pas. Il faut reconsidérer le problème, consulter largement et démocratiquement et se donner les moyens financiers sans lesquels rien n'est possible. On ne réforme pas comme ça, sinon on aura encore perdu une occasion de changer les choses. 
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