L'Ecole française s'interroge sur la mixité sociale à l'Ecole 

Comment mesurer les ségrégations sociales à l’école ? Comment fabriquer des politiques publiques qui servent la mixité sociale ? Quels sont les effets de ces politiques sur les apprentissages des élèves, le climat scolaire et plus largement la cohésion scolaire et sociale ? Pendant deux jours, les 4 et 5 juin, le Cnesco organise avec le Conseil Supérieur de l'Education du Québec et le CIEP, un vaste colloque international à Paris. Deux journées de débats auxquels le Café pédagogique, partenaire de l'événement, va vous associer. Claude Lessard, universitaire, président du CSE du Québec explique pourquoi ce débat doit avoir lieu maintenant. Et pourquoi il appelle à un sursaut de fraternité.

 

Un récent sondage auprès des parents français montre que seulement 12% d'entre eux attend de l'Ecole qu'elle diminue les inégalités. A coup sur la mixité sociale n'est pas un sujet à la mode en France. Relancer le débat sur ce sujet, cela vaut-il la peine ?

Je crois que oui. Si on ne fait pas attention, des forces sociales dominantes vont faire en sorte qu'on renonce à certains acquis sociaux comme l'égalité des chances. On risque un retour en arrière. On est menacé par le renoncement aux idéaux qui ont porté les 30 glorieuses au nom de l'efficacité ou de l'incapacité. Or on a fait de gros progrès en terme d'équité sociale ou scolaire. Une certaine droite applaudit à ces renoncements et d'autres deviennent relativistes . Il est temps d'allumer des feux rouges.

 

La mixité sociale ça s'étudie à différentes échelles : la commune, l'établissement, la classe. Quel est le bon niveau ?

 

C'est la classe. La recherche indique qu'un établissement peut être mixte socialement mais avoir des pratiques ségrégatives pour ses classes. Il faut regarder vraiment la composition des classes. Au Canada, la question de la mixité sociale à l'école était abordée sous l'angle de la socialisation. On pensait que c'était bien que le futur ingénieur et le futur technicien passent par la même école secondaire polyvalente. Aujourd('hui on voit la question sous l'angle de la qualité d'apprentissage. C'est la demande de la même qualité d'apprentissage pour tous els élèves.

 

Qu'est ce qui rend la mixité sociale difficile ? Le désir d'entre soi des classes privilégiées ? Les écarts de niveau éducatif entre établissements ? Les variations dans l'offre éducative en terme d'options ?

 

Il y a des trois. On aurait tort de penser que la question soit que idéologique. Le quant à soi social garde une forte importance. Les privilégiés tiennent à leur réseau social. Mais il n'y a pas que cela. La violence scolaire, la multiplication des élèves atteints de troubles,  le turn, over enseignant, l'existence d'école qui apparaissent comme des écoles poubelles, joue aussi un rôle. Il faut une politique qui réduise les écarts de qualité entre établissements. Car on ne peut pas reprocher à des parents de vouloirs le meilleur pour leur enfant. On voit que par exemple les pays scandinaves ont réussi à réduire les écarts de qualité de l'offre scolaire entre établissements. A partir de là si une famille n'a pas l'affectation numéro 1 qu'elle souhaitait ce 'est pas un drame.

 

Le Canada a de bons résultats dans Pisa car il a peu d'élèves faibles. C'est lié à une bonne mixité sociale ?

 

Au Canada l'enseignement privé est peu développé et il est peu soutenu par les pouvoirs publics. L'autre raison de ces bons résultats c'est le fait que les parents ont le choix de l'école et  que les établissements ont une réelle autonomie et qu'il y ait une concurrence entre établissements. Tout cela a permis d'améliorer les résultats . On l'a vu par exemple en Ontario.

 

Mais ici beaucoup pensent que l'autonomie des établissements, la concurrence, le choix des parents cela augmente la ségrégation sociale...

 

Ca ne le fait pas si c'est contenu dans un cadre réglementaire. Par exemple le libre choix de l'école s'exerce selon avec la règle "premier arrivé premier servi" ou en installant une loterie. Il y a des mécanismes qui régulent la concurrence. Comme il n'y a pas de concurrence du privé, les établissements publics sont obligés de se différencier et de répondre aux différents besoins. Et les écarts de résultats entre établissements sont beaucoup plus faibles que chez vous. Le risque lié à l'affectation est donc faible pour les familles.

 

Mais comment réduire ces écarts si les écoles ont plus d'autonomie ?

 

C'est le rôle du cadre réglementaire. Il impose un tronc commun très tardif, un curriculum commun, une politique commune de persévérance scolaire. Il y a aussi le poids ressenti de façon très concrète par les établissements des résultats dans Pisa. Tout cela joue. Il peut y avoir aussi un facteur politique. Si l'Ontario a énormément améliorer son système éducatif cela tient aussi à la volonté d'un premier ministre qui est resté 10 ans en place et qui a fait de l'éducation sa priorité en s'engageant personnellement dans ce dossier. Un autre facteur politique c'est le fait que la majorité du Canada soit de culture anglo saxonne. Cela a pour conséquence que le débat scolaire est moins idéologique. On est davantage dans une approche pragmatique avec la recherche de compromis.

 

En France se pose aussi de façon croissante la question de la mixité ethnique. Comment  abordez vous cette question au Canada ?

 

Il y a eu une tentative à Toronto de créer des écoles pour une communauté noire avec l'idée que les élèves gagneraient en confiance en étant entre eux. Mais le projet a été bloqué politiquement. Mais la question se pose différemment au Canada où l'émigration est très sélective. Les parents d'enfants immigrés ont une bonne éducation et sont qualifiés. La question se réduit finalement à celle du vivre ensemble. Il y a des écoles à Montréal à forte proportion d'immigrés. Ca se passe bien sauf en ce qui concerne l'acculturation.

 

On vante souvent la mixité sociale comme étant bonne pour tous les enfants y compris les plus favorisés. Mais si c'était le cas peut-être poserait elle moins de problèmes...

 

La recherche semble indiquer que les plus doués ne souffrent pas de la mixité sociale et scolaire. Ils 'en sortent toujours.  Mais il y a bien des effets de seuil. Si le pourcentage d'élèves à niveau faible ou d'élèves qui posent des problèmes de discipline ou de trouble du comportement, est peu important la mixité pousse tout le monde vers le haut. S'il est important, la mixité peut agir dans l'autre sens.  Il faut être clair sur le nombre d'élèves. Les effets de seuil existent.

 

En France le débat scolaire est violent. Cela e pèsera-t-il pas sur l'issue du colloque ?

 

J'ai l'impression qu'en France, la question scolaire est traitée avec beaucoup d'idéologie. Le compromis ne semble pas une valeur et le ton du débat ne me semble pas très productif. Enfin  ce débat crée de la souffrance pour beaucoup de monde.

 

Si on ne met pas du pragmatisme dans le radar des décideurs, de régulation, on risque que le système éducatif dérive. Car la société est de plus en plus individualiste, plus pessimiste, plus concurrentielle. Aujourd'hui on a vraiment besoin d'un sursaut de fraternité.

 

Propos recueillis par François Jarraud

 

Le programme du colloque

Le Cnesco dévoile l'ampleur de la ségrégation à l'Ecole

Pour une école de la fraternité : DOSSIER

C Lessard : Comment changer les politiques éducatives ?

 

 

 

Par fjarraud , le jeudi 04 juin 2015.

Commentaires

  • Delafontorse, le 04/06/2015 à 14:54
    Encore un colloque fraternel et mondialisé, et encore un de ces nombreux événements à prétention scientifique mais au fond bourré de pure moraline destinés à prendre acte de la décrépitude de l'école publique pour mieux essayer de justifier auprès du grand public la casse définitive de cette dernière.

    L'usage idéologique de la sociologie et de la pédagogie est élevé en France à l'état d'un art que le monde entier vient apprendre, de même que le monde entier, depuis Fouché et Thiers, vient apprendre en France comment former une police efficace dans le contrôle social et le maintien de l'ordre idéologique dominant. 

    La "régulation fraternelle pragmatique" des systèmes éducatifs, on est en train de donner en France et on voit fort bien ce sur quoi cela débouche : le serrage de ceinture budgétaire assurant l'anéantissement de l'école publique ainsi que le mépris généralisé de ses élèves et de ses personnels mais un horizon de grand et très prospère marché privé de vente de produits éducatifs où s'enrichiront les boutiquiers et sophistes de toutes natures. 

    • jackd, le 04/06/2015 à 12:46
      "J'ai l'impression qu'en France, la question scolaire est traitée avec beaucoup d'idéologie. Le compromis ne semble pas une valeur et le ton du débat ne me semble pas très productif."
      • Delafontorse, le 04/06/2015 à 14:58
        Le ton vrai n'est ni le ton mièvre ni le ton niais. Invoquer la fraternité comme un mantra quand par ailleurs il s'agit au bout du compte de flinguer les services publics d'éducation ? Ce brave huron débarqué du Québec sait-il bien à quoi il participe ou fait-il juste semblant de l'ignorer ?
        Quel compromis y a-t-il à avoir avec les entrepreneurs de vente de produits éducatifs et leurs oripeaux sociologiques et pédagogistes quand on ne veut pas réduire la connaissance à un produit marchand ?
        Aucun. Aucun compromis.

        Voyez ce que la philosophie et non l'idéologie en dit, de vos compromis : http://www.appep.net/wp-content/uploads/2015/06/APPEPCommuniqReformeCollege.pdf

        Et le syndicat des Inspecteurs d'Académie : http://www.syndicat-ia.fr/actualites/2015/20mai15_reforme-clg_analyse_sia.pdf

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