Doit-on laisser les élèves personnaliser leur tablettes ?  

Les tablettes, ordinateurs portables et autres smartphones sont d'abord des appareils individuels, personnels. La proximité physique de l'appareil dans le temps et dans l'espace avec celui qui l'utilise favorise ce passage d'un objet parmi d'autre à un bien personnel, parfois personnalisé. Et cette personnalisation est permise voire incitée par les concepteurs qui ont bien compris l'importance commerciale de cet aspect visible de l'appropriation qui est la modification de l'objet, neutre, pour en faire un bien personnel, différent de celui des autres, en partie, mais surtout miroir de soi.

 

Lorsque l'on décide de distribuer des appareils de ce type dans les établissements scolaires, les élèves sont prompts à tenter de personnaliser les machines qu'ils utilisent. Après les fonds d'écrans "sauvages" des salles informatiques des établissements qui ont amené à un verrouillage important de ces possibilités, le développement des tablettes et ordinateurs portables pose la même question. La réponse la plus courante est la suivante : dès qu'un objet technique est fourni par l'école, la personnalisation n'est pas autorisée. Cela s'entend en premier lieu pour tous les objets "partagés", c'est à dire utilisés par plusieurs élèves au cours de la journée, ou de l'année, ce ne sont pas des objets personnels. Dès lors que l'objet est avec l'élève tout au long de l'année, à l'école mais aussi à la maison sans pour autant qu'il en ait la "propriété", c'est souvent la règle du manuel scolaire qui s'applique : une caution est censée freiner ou interdire toute "dégradation" qu'elle qu'en soit la nature.

 

La tablette scolaire un équipement personnel ?

 

Nombre d'élèves ont griffonnés sur leurs livres, et aussi sur leurs tables de classe qu'ils avaient comme compagnon de tous les jours. Rappelons les anciennes salles d'études dans lesquels les élèves passaient de longues heures. Une visite approfondie des bureaux de chaque élève, en fin d'année montrait le degré de personnalisation observable dans les graffitis et autres gravures. Car une des caractéristiques humaines (mais aussi animale) semble être de "marquer son territoire" soit pour désigner la frontière aux autres, soit pour s'approprier son environnement proche (ou les deux). Cet aménagement du "poste de travail" est une des caractéristiques de l'appropriation montrée jadis dans le livre "l'établi" de Robert Linhart. Il n'est donc pas étonnant que pour les tablettes il en soit de même.

 

Lors d'entretiens menés avec des élèves de cinquième dans un collège rural de Saône et Loire, sur 25 élèves, 21 disposaient d'une tablette personnelle à la maison, 2 la partageaient, 2 n'en avaient pas. L'établissement scolaire lui tentait de proposer l'utilisation de tablettes dans le cadre des activités d'apprentissage, mais bien sûr en limitant la personnalisation. Dans ce cas comme dans d'autres focus group réalisés dans divers établissements, nous avons pu identifier ce fort équipement à domicile et donc le fait que ces tablettes soient un équipement d'abord individuel, personnel, personnalisé. Dans le même temps l'expression "tablette scolaire" désignait pour les élèves, cette différence fondamentale déjà connue avec l'ensemble du matériel scolaire.

 

Comment faire du collectif avec des tablettes individuelles ?

 

Cela rappelle que, dans l'espace scolaire, la personnalisation doit être limitée. Au nom de l'égalité ce refus de la personnalisation est important aux yeux principalement des tenants d'une école "traditionnelle" et "républicaine". De plus l'école étant le lieu de la construction du "vivre ensemble", bien que ce soit dans un contexte de concurrence interindividuelle traduit par la quête de la réussite scolaire, la personnalisation des objets utilisés va à l'encontre de ce projet. Le cas du doudou que l'on demande aux enfants d'abandonner à l'entrée dans l'école en est un symbole. Ce n'est d'ailleurs pas pour rien que Serge Tisseron dans son ouvrage sur les "petites mythologies d'aujourd'hui" (Aubier 2000, ouvrage qui mériterait une réécriture actualisée) associe doudou et téléphone portable. Ainsi tablettes et encore davantage smartphones sont en train de devenir des objets qui portent le symbole de la rivalité "maison-école" et le questionnement sur le BYOD (AVAN) est le symptôme de la crise qui émerge.

 

Comment construire du collectif avec des objets personnalisés ? Par les réseaux numériques diront certains ! En interdisant les objets personnels diront d'autres ! En empêchant toute personnalisation des objets scolaire même lorsqu’ils sont attribués individuellement (à la maison et à l'école). En fait la question qui se pose est celle des vecteurs de construction de la citoyenneté contemporaine. Fondée jadis sur le sens collectif incarné par l'école, lieu à part, cette citoyenneté se trouve confrontée à la question de la construction identitaire : comment je fais pour exister si je n'ai pas de tablette, pas de smartphone ? La distribution de matériels à chaque élève par les institutions (rappelons-nous le cartable numérique des Landes) n'est pas nouvelle. Il fait l'objet de questionnement dans les salles des professeurs.

 

Le collectif inclut l'individuel ?

 

Lors d'expérimentations récentes, les enseignants ont critiqué le fait que les tablettes allaient à la maison. Toutefois, certains, après un temps d'adaptation se sont mis à envisager de nouveau cette possibilité, y voyant la possibilité d'évolution pédagogique (thème de l'inversion fort à la mode en ce moment). Ces derniers ouvrent un possible nouveau : et si le collectif passait désormais aussi par l'association du milieu familial. Les campagnes successives sur la place des parents à l'école, fortement promues depuis le début des années 2000 semblent aller dans ce sens. Ainsi, construire le vivre ensemble s'élargit aussi au cercle familial, initialement exclu.

 

Reste un autre point important : peut-on faire travailler collectivement les élèves s'ils disposent de tablettes individuelles en classe ? L'image traditionnelle de l'isolement de l'enfant presque accro devant son écran est souvent présente dans l'imaginaire collectif. L'observation des classes montre que, dans un premier temps, les enseignants ont du mal à envisager des scénarios pédagogiques collectifs et collaboratifs lorsque leurs élèves ont des tablettes. Aussi préféreront-ils des pratiques de différenciation pédagogiques individualisées. Mais dans un deuxième temps, et se rendant compte des limites de l'instrumentation par les tablettes, les enseignants font évoluer leurs pratiques et remettent du collectif dans leur scénario, quitte à faire mettre les tablettes de côté au moins temporairement ou simplement d'en faire un auxiliaire (consultation de ressources, dictionnaire etc.). Dès lors les tablettes, personnalisées ou non, peuvent s'insérer dans un paysage scolaire qui veut développer le vivre ensemble.

 

En tentant de réconcilier personnalisation et collectif, le monde scolaire peut trouver une nouvelle dynamique pédagogique avec le numérique. Cependant on s'aperçoit que cela suppose une maturité technique et pédagogique suffisante et surtout un cadre scolaire porteur de ces initiatives. Collectif ne s'oppose pas à personnel, il s'oppose à individuel. Encore faut-il que lorsque l'on réfléchit à la place du personnel dans l'espace scolaire, on précise la place des interactions humaines et leur richesse dans l'apprentissage. De nombreux témoignages semblent aller dans ce sens. Mais il faudra approfondir et surtout analyser la qualité de la scénarisation pédagogique des situations d'utilisation des matériels personnels en classe.

 

Bruno Devauchelle

 

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Par fjarraud , le vendredi 03 juillet 2015.

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