L'hebdo Lettres : Yoan Fontaine : Du speed booking au lycée, pour faire vivre la littérature  

On connait sans doute le speed dating : une série de rapides entretiens pour trouver un partenaire amoureux. On connait moins le speed booking : un dispositif qui invite les participants à se promener de table en table pour partager leurs coups de cœur littéraires. Plusieurs enseignants de collège et de lycée dans la Sarthe ont adopté ce système original pour que l’amour de la lecture se diffuse dans leurs classes. Le speed booking, témoigne ici Yoan Fontaine, professeur au lycée Bellevue au Mans, développe des compétences d’argumentation et d’oral. Il fait vivre à l’Ecole le plaisir de la littérature, et, par son organisation même, des valeurs aussi essentielles que la curiosité et le partage.

 

Le «  speed booking » est une pratique peu connue : de quoi s’agit-il exactement ?

 

L’idée s’inspire des « speed dating », « rencontres rapides », qui sont une façon d’effectuer des rencontres. Chacun dispose de quelques minutes pour se présenter à quelqu’un, puis passe à une autre personne.

 

Des variantes ont vu le jour. Dans le domaine professionnel, les « speed meeting » sont l’occasion de mettre en rapport des chefs d’entreprises et des demandeurs d’emplois. Dans le domaine du livre, les initiatives de « speed booking », dans certaines bibliothèques par exemple, invitent chaque participant à présenter à d’autres personnes, dans un temps très limité, un livre qu’il a lu, dans le but de le faire découvrir.

 

Pourquoi avez-vous décidé d’intégrer ce dispositif comme pratique scolaire ?

 

 Transposés dans le cadre de la classe ou d’une rencontre interclasse, ces « speed booking » constituent un mode dynamique de restitution des lectures : une façon de rendre actifs et attractifs les échanges littéraires entre élèves. Ces séances créent un évènement stimulant et vivant autour des expériences de lecture. Différentes pratiques ont pu ainsi être expérimentées par des collègues dans des classes de collège et de lycée. On a vu ces échanges stimuler l’envie de partager, éveiller la curiosité, créer une émulation.

 

En parallèle, les élèves travaillent de multiples compétences. Ils apprennent à développer une culture littéraire, affirment leur sensibilité, exercent la construction d’un jugement sur les œuvres lues ainsi que la capacité à l’exprimer. Le travail des compétences d’oral est donc particulièrement riche. Le dispositif conduit par exemple les élèves à reprendre une même présentation devant plusieurs camarades. La prestation ainsi reconduite, peut être améliorée, enrichie, précisée. Les inhibitions tombent peu à peu. L’argumentaire s’affirme.

 

Comment la séance de speed booking est-elle préparée avec les élèves ?

 

La séance est préparée en amont, d’abord par un choix d’œuvres proposées à la lecture. Différentes modalités peuvent être retenues : œuvres à lire en lecture cursive en prolongement d'une séquence ou d'un objet d'étude, liste de livres conseillés sur l'année ou participant à un prix littéraire, œuvres présentées dans le cadre d’un travail avec les professeurs documentalistes...

 

Le projet de restitution est présenté et les élèves doivent sélectionner, lors de la lecture, les informations qui serviront à leur présentation orale. Celle-ci se construira autour de plusieurs axes : une  brève présentation de l’histoire et des thèmes principaux, un point de vue argumenté sur le livre, le choix d’un bref extrait à faire partager pour donner à entendre le texte et mettre en appétit.

 

Les élèves lisent alors en autonomie. Pour les aider à préparer cet échange, une consigne de travail écrit peut être donnée. Dans les expériences mises en place, certains professeurs invitent à accompagner la lecture par la tenue d’un journal du lecteur : il  conduit les élèves à choisir parmi plusieurs propositions d’écriture (imaginer une autre fin, un autre personnage…). L’objectif est alors de s’approprier le livre lu, d’entrer dans ses enjeux, par l’écriture. D’autres demandent la réalisation d’un flyer contenant une brève présentation de l’histoire, une illustration, un slogan, un logo, une  citation ou un extrait. Le flyer peut ensuite être laissé à ceux qui écoutent. Ce travail devient l’occasion de réfléchir aux stratégies graphiques, argumentatives qui conduisent à une communication efficace.

 

Quels dispositifs précis avez-vous mis en place pour que la séance de rencontre se déroule au mieux ? Dans quelle ambiance la séance s’est-elle déroulée ?

 

Les échanges se déroulent dans un lieu suffisamment vaste, CDI, grande salle, ou plusieurs salles. La rencontre peut être organisée avec un professeur documentaliste, ce qui peut faciliter l’encadrement.

 

Un chronomètre projeté au tableau indique aux élèves le temps imparti (3 minutes) pour réaliser leur présentation. Le professeur peut également signaler le moment de début et le moment de fin des présentations. Dans tous les cas, il est important d’imposer un cadre précis pour que l’enchaînement des présentations reste fluide.

 

A la fin de chaque présentation, un bref temps est laissé pour prendre quelques notes, changer de place. Un autre échange peut alors commencer. En fonction des effectifs, il peut être judicieux de constituer des groupes de lecteurs. A titre d’exemple, sur une classe de 30 élèves, il est possible d'envisager 5 groupes de 6 élèves. Dans chaque groupe, les élèves ont lu des livres différents. Chaque élève présente son livre plusieurs fois.

 

Les professeurs assurent l’organisation, la gestion du temps. Les élèves font le reste.

 

Au lycée, les élèves ont été invités à évaluer les prestations de leurs camarades : selon quels critères ? qu’apporte cette évaluation par les pairs ?

 

Dans l'expérimentation retenue au lycée, les élèves évaluent la prestation de leurs camarades en suivant des critères établis à l'avance et collectivement : maîtrise de l’histoire, capacité à dégager les enjeux principaux, pertinence du choix de l’extrait, capacité à susciter l’intérêt et la curiosité, élocution fluide et rythmée, argumentaire efficace.

 

Dans la perspective de l’épreuve orale du bac, l’idée est d’exercer les élèves à l’expression orale, mais aussi de les mettre en situation de s’évaluer, d’être attentif aux prestations des autres afin de bien intégrer certains critères de réussite, de prendre conscience en les observant des qualités et des défauts à l’œuvre dans cette situation. Pour les élèves évalués, c’est aussi un regard, différent de celui du professeur, porté par d’autres élèves sur leur prestation orale.

 

L’évaluation suivait également un autre objectif : faire remonter en grand groupe les prestations les plus convaincantes afin de les faire partager à tous.

 

Au final, quel bilan tirez-vous de l’expérience : quels en sont les profits pour les élèves (individuellement et collectivement) ? quelles perspectives de prolongement ou d’amélioration lui voyez-vous ?

 

L'aspect ludique du dispositif a pu stimuler les prestations. L'activité est vivante, les élèves  apprécient son dynamisme.

 

De nombreuses compétences sont travaillées : l’expression orale, la culture littéraire, l’autonomie et le jugement, tout en créant une émulation collective assurant une cohérence et une culture commune dans le groupe.

 

Il est possible de renforcer encore l’entraînement des élèves à l’oral. De la même façon qu’on leur apprend à réécrire pour améliorer leurs productions écrites, l’oral peut être travaillé dans le même esprit. Les élèves peuvent enregistrer leur présentation avec un logiciel d’enregistrement (Audacity) ou un site d’enregistrement en ligne, refaire leur enregistrement jusqu’à aboutir à une prestation satisfaisante. Ils apprennent ainsi à s’écouter, à retravailler leur prise de parole. Les fichiers définitifs, mis à disposition de la classe dans un espace commun (ENT de l’établissement, blog de classe ou du CDI…), peuvent ensuite constituer une bibliothèque sonore, être écoutés à la manière de podcast ou de capsules audio pour découvrir des livres dans un temps bref.

 

Enfin, cette étape d’entraînement peut permettre de gérer l’hétérogénéité des niveaux. Les élèves prennent le temps de perfectionner leur intervention. Il est possible de créer des binômes de niveaux hétérogènes pour que les élèves s’entraident et se conseillent.

 

Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut

 

Sur le site de l’académie de Nantes

 

 

Par fjarraud , le lundi 19 octobre 2015.

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