La chronique de V. Soulé : Quand cessera-t-on de désorienter les élèves ? 

Il rêvait de faire une formation en lien avec la nature. Il s'est retrouvé en Vente. Pour certains élèves, l'orientation est un crève-coeur. Là encore, le changement, c'est pour quand ?

 

On ne compte plus les ministres de l'Education qui promettent d'améliorer l'orientation, d'en finir avec les orientations-relégations qui envoient dans des filières pros non désirées des élèves en difficultés, souvent issus de milieux défavorisés, grandis dans des quartiers difficiles ou dans des zones rurales appauvries.

 

Généralement, cela va avec un discours plein d'allant sur la voie professionnelle que l'on promet de revaloriser. Demain, assure-t-on, elle sera aussi attractive que la voie générale et, dans une moindre mesure, technologique.

 

Voie d'excellence

 

Xavier Darcos, premier ministre de l'Education de l'ère Sarkozy (2007-2012), disait qu'il allait mettre la filière pro à égalité avec les deux autres. Il créa un bac pro en trois ans et en profita pour supprimer des postes. La voie pro mérite mieux, clamait son successeur Luc Chatel.

 

Pour le socialiste Vincent Peillon, la revalorisation de la voie pro était l'un des piliers de la Refondation de l'école. Son éphémère successeur Benoît Hamon y alla aussi de son couplet. Et Najat Vallaud-Belkacem parle en veux-tu en-voilà d'une "voie d'excellence".

 

Sur le terrain, c'est une tout autre histoire. Loin des Lycées des métiers que les ministres visitent avec des filières nobles offrant des débouchés, on ne se bouscule pas. Et souvent les professeurs voient arriver des jeunes désabusés, démotivés, qui ne voulaient pas être là.

 

Récemment, je faisais une enquête sur des jeunes engagés à ATD Quart Monde, l'association où je travaille. Sur les cinq rencontrés dans le cadre du groupe jeunes d'Ile-de-France, 2 étaient contents de leurs filières et 3 avaient connu des orientations subies.

 

"L'horticulture ça n'était pas mon truc"

 

A la fin du collège, Kelil, 20 ans, ne manquait pas d'envies : travailler en lien avec la nature, dans la photo ou dans les arts. "On m'a plutôt découragé, disant que ça n'était pas pour moi". Il a tout de même postulé à des bacs pros dans ces secteurs. Refus. On lui a finalement attribué une place en Vente. "Je me suis retrouvé en lycée pro dans une classe difficile, c'était impossible de travailler, j'ai tout lâché."

 

Il a ensuite cherché du travail. En vain. Il a fait du bénévolat. Aujourd'hui il prépare le Bafa, une formation financée par la mission locale. "Il paraît que je suis bon dans l'animation, j'ai un contact facile, je vais me lancer", explique-t-il.

 

A la fin du collège, Lorena, 17 ans, se voyait travailler dans les ressources humaines. Elle ne sait pas trop comment, elle s'est retrouvée en Bac Pro Services de proximité et vie locale. Loin de l'avenir qu'elle imaginait. Mais pour l'instant, ça lui plaît.

 

Christopher, 22 ans, était en CAP Horticulture. Il lui a manqué un point pour le décrocher. Il a laissé tomber et depuis cherche du travail. Son rêve: être mécanicien-carrossier. "L'horticulture, ça n'est pas mon truc", confie-t-il.

 

Certains de ces jeunes parlent en rigolant de "désorientation", allusion au sketch cruel de Djamel sur une conseillère d'orientation, dans un collège de quartier difficile, à qui il confie son désir de devenir médecin ... et qui le voit brancardier.

 

Une expérimentation qui ne change rien

 

Ce serait faux de dire que rien n'est fait pour améliorer l'orientation et atténuer les injustices à la fin du collège, dans le passage en second cycle.

 

La DEPP (la direction statistique du ministère) vient de publier un bilan de l'expérimentation "Le dernier mot aux parents" menée dans 107 collèges – les parents ont la haute main sur l'orientation de leurs enfants en fin de troisième. Bilan: ça ne change pratiquement rien. On ne voit aucune augmentation ou diminution majeure des taux de passage vers la seconde générale et techno ou vers la voie pro.

 

Il y a le poids des habitudes, des collèges qui orientent massivement en pro, d'autres très rarement... Il y a aussi les parents qui n'ont pas les mêmes armes pour se battre afin que leur enfants aient eux aussi leurs chances.

 

Véronique Soulé

 

Lire les précédente chroniques

Le dernier mot laissé aux parents ne change rien

 

 

Par fjarraud , le lundi 14 décembre 2015.

Commentaires

  • Viviane Micaud, le 15/12/2015 à 12:24
    Je suis très étonnée du dernier paragraphe de Véronique Soulé. En effet, elle ne donne pas l'explication qui permet de comprendre.

    L'éducation nationale fait une différence entre "orientation" et "affectation". L'orientation est le droit ou non d'aller en 2nde générale. L'affectation, est l'affectation dans une filière ou dans un établissement. 
    Or le problème qui est toujours nié par ceux qui se nomment "progressistes" se trouvent dans l'affection dans les filières du professionnel. (Je l'écris depuis 2010 et j'avais prévu le résultat de l'expérimentation du dernier mot au parent pour l'orientation et non pas pour l'affectation qui est toujours faite par un logiciel aveugle et basée sur le note de 3ème). 

    Aujourd'hui un jeune qui arrive en 6ème en maîtrisant insuffisamment la lecture et l'expression est condamné à être à partir de la 4ème devant des devoirs qu'il ne peut réussir quels que soient ses efforts et finir en fin de troisième avec des savoirs extrêmement faible et ayant intégré son incapacité à réussir. Tous les profs de professionnel vous expliqueront le travail qu'ils doivent faire pour reconstruire l'estime de soi et pour comprendre les bases qui manquent (les élèves n'expriment pas leur manque et font semblant de comprendre) et les reconstruire. Leur donner le droit d'aller en 2nde générale est une solution inadaptée. Avant le dernier mot aux parents pour l'orientation, la quasi-totalité de ceux qui avaient une chance raisonnable de réussir une 2nde y étaient admis s'ils faisaient le processus jusqu'au bout. Le doute est en faveur du choix de la famille. Il est absolument impossible, dans une classe de 35 élèves focalisée sur les savoirs nécessaires à la réussite en université, de faire récupérer des lacunes incrustées depuis le CE2 à un jeune qui a intégré son échec. 
    Le problème est dans l'affectation. Le nombre de places en professionnels est en regard des débouchés de la filière. Il faut être réaliste: Quelle chance un jeune sans relation aurait de trouver un travail dans une filière qui forme 5 fois plus de professionnels que ce que la profession a besoin? Les places dans les filières de professionnel sont forcément limitées. Le problème est que l'affectation ne fait pas sur la motivation mais sur les notes.
    Comme l'affectation se fait sur un logiciel qui se basent sur les notes, il y a une hiérarchie des filières du professionnel, sur laquelle il y a une omerta dans les milieux bien pensants, mais que les COPs connaissent bien. En fonction des notes, les COPs indiquent à l'élève les filières où il a une chance d'être pris et celles où il est sur d'être refusé y compris s'il est capable de prouver sa motivation pour le métier. Ceci crée de l'incompréhension et de la frustration. Il s'agit d'une hypocrisie imposée par le système tellement délétère que je ne trouve aucune excuse à ceux qui continuent à la faire perdurer.
    Par ailleurs, à cause de cette affectation par un logiciel, le jeune n'a pas les moyens de faire le chemin cognitif pour se projeter dans son métier futur. 
    Il existe une solution : donner la main à ceux qui accueillent pour "sélectionner" sur la motivation pour le métier, sachant qu'ils ont "ordre" d'avoir une diversité des profils. Les places sont  affectées au fur et à mesure et le dernier quart bloqué. Il est possible d'imposer les derniers élèves si les lycées professionnels ne jouent pas le jeu. Les établissements auront intérêt à choisir les jeunes qu'ils vont faire réussir, plutôt que se les faire imposer. 
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