Alors que l'on célèbre les 30 ans du bac pro, la voie professionnelle reste en France largement méprisée – une voie de second ordre destinée aux élèves en échec, n'ayant pas d'autre choix... Certains, pourtant, la choisissent et le revendiquent. Comme Michelle, 17 ans, en deuxième année de bac pro Gestion Administration.
Michelle – "en fait mon prénom est Henri Michelle mais ça fait masculin" – est élève au lycée professionnel Suzanne Valandon, dans le 18ème arrondissement de Paris. Un petit établissement où, dit-elle, "je me sens bien, avec des amis et des profs sympas. Et pas plus de 15-16 élèves par cours".
En troisième, son professeur principal l'avait encouragée à demander la voie générale, et ce malgré les absences qui avaient émaillé son année. "J'avais eu le brevet un peu à ma surprise, reconnaît-elle, car j'avais pas mal manqué à cause de problèmes familiaux, mais mon prof trouvait que j'avais des capacités".
"Avec un master, ils restent assis chez eux"
Mais Michelle ne veut rien entendre: ce qu'elle veut, c'est le pro. Elle a déjà une idée bien précise de ce qu'elle veut faire plus tard: travailler dans la comptabilité. "J'aime les chiffres, je ne sais pas d'où ça m'est venu. Je ne suis pas mauvaise en maths, pas mauvaise non plus en français. Mais je me sens plus à l'aise avec les chiffres."
Michelle s'est fixé un itinéraire: décrocher le bac pro, puis enchaîner avec le BTS (Brevet de technicien supérieur, en deux ans après le bac) Gestion Comptabilité, qu'elle veut faire en alternance. "A quoi bon des études longues, ajoute-t-elle, il y en a qui ont des masters et qui se retrouvent sans travail, assis chez eux à ne rien faire."
La lycéenne veut, elle, "se lancer vite": "je veux aider ma mère, avec tous ses problèmes." Agente de surface, sa mère élève seule ses deux filles. La séparation d'avec son compagnon s'est mal passée. Toutes les trois se sont retrouvées à un moment ballotées d'hôtel en hôtel. Elle sont aujourd'hui hébergées, provisoirement, dans un deux-pièces à Argenteuil (Val d'Oise).
"Beaucoup croient qu'on ne vaut rien"
"Je sais ce que les gens pensent souvent des lycéens professionnels, que l'on ne vaut rien, que l'on n'est pas capable de faire autre chose, explique Michelle, en fait il y en a beaucoup qui, comme moi, pourraient suivre dans l'enseignement général. Mais pour des raisons diverses, ils ont choisi le professionnel."
"C'est un choix, un choix de vie, poursuit la lycéenne, et ce n'est pas parce qu'on est nul. Chacun a son intelligence, sa manière d'être. On doit respecter ça. On ne peut pas juger quelqu'un pour son choix".
"La voie professionnelle est une voie d'expérience, ajoute Michelle, on pratique, on apprend en entreprise, on n'utilise pas le théorème de Thalès mais des calculs qui vont servir à ce qu'on veut faire plus tard".
"On allait acheter des packs d'eau"
Pour l'instant, Michelle est satisfaite de son choix. En vue du BTS, elle a pris, en plus, l'option Comptabilité. Le problème, pour elle, est de trouver des stages en entreprise, obligatoires pour valider son cursus. "Quand je demande autour de moi, beaucoup me répondent qu'ils ont trouvé par leur oncle, par l'ami de leur soeur... Moi je n'ai aucune connaissance."
L'an dernier, elle s'est retrouvée dans un centre de formation où elle estime avoir perdu son temps. "On était deux, la dame qui était notre référente nous envoyait au Franprix acheter des packs d'eau ou des paquets de gâteaux. A part ça, on devait recopier sur ordinateur les fiches des nouveaux inscrits. Pendant 5 semaines".
Cette année, grâce à un professeur, elle a fait son stage au siège d'ATD Quart Monde à Montreuil. C'est là que je l'ai rencontrée (1). Elle est allée dans tous les services et se félicite d'avoir beaucoup appris. Elle rêve de revenir pour son second stage, en mai.
Véronique Soulé
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(1) l'auteure de cette chronique est rédactrice en chef du journal d'ATD Quart Monde - https://www.atd-quartmonde.fr/