Bruno Devauchelle : Médias de flux, télé et numérique 

Si Internet et le numérique ont pris petit à petit une place essentielle dans l'environnement techno-culturel de chacun de nous et en particulier des plus jeunes, la télévision n'a pas dit son dernier mot. Les meubles encombrants comme les télévisions à tube cathodique et l’ordinateur de bureau sous forme de tours sont de moins en moins présents, remplacés soit pas d'immenses écrans plats soit par des ordinateurs portables ou des tablettes. Regarder les programmes de télévision ce n'est plus regarder le poste de télévision, mais plutôt un écran, n'importe lequel, qui donne accès à des émissions en flux continu. Or ce flux continu semble être porteur et au vu du nombre de chaînes et des bagarres pour exister sur ce vecteur de transmission, c'est qu'il y a probablement en réception des spectateurs qui en sont friands.

 

Le flux plus fort que l'interactif ?

 

A lire les statistiques de fréquentation des médias, la durée moyenne devant une télévision de flux serait d'environ 3h par jour (variable selon les âges, les modèles d'enquête). Au-delà des statistiques, ce qui impressionne, c'est le crédit accordé à la télévision par les spectateurs. Lors d'échanges récents avec des enseignants, nous avons été frappés par la place des références issues de la télévision dans leurs argumentations. La fameuse phrase "dans un reportage, une émission, j'ai vu que...". Ajouté à cette phrase l'idée même de solidité argumentaire tirée de cette source. Pour le dire autrement nous sommes non seulement confiants dans ce qui se "dit à la télé" mais nous sommes aussi perméables aux propos tenus qui entrent donc dans "l'espace personnel de connaissances".

 

Le baromètre TNS-Sofres de janvier 2016 conforte cette analyse. Les statistiques proposées par ces enquêtes mettent côte à côte télévisions, radios, journaux et internet. En d'autres termes, face à la difficulté à trier, hiérarchiser, analyser, comparer les informations, nous préférons nous en remettre aux autres (professionnels des médias) qu'à nous-mêmes (amateurs perdus sur Internet). Cette analyse pose question à l'éducateur qui, lui-même, qu'il le veuille ou non, se débat entre une posture de média de flux ou de média interactif. Si l'on en juge par les taux de fréquentation et de confiance, on aurait plutôt intérêt à être en flux qu'à être interactif.

 

Les ambigüités du décryptage de l'information

 

On peut essayer d'analyser l'hypothèse suivante : l'humain, face à un ensemble complexe d'informations variées, préfère déléguer son esprit critique à des intermédiaires que d'effectuer le travail difficile de discernement. Si cette hypothèse se confirme cela pointerait une forme de faiblesse du jugement critique. En préférant s'en remettre à un intermédiaire qui va faire le travail d'analyse à votre place, on renonce à la démarche. Parfois on s'en sent incompétent, et donc on fait confiance. Certes, diront certains, mais nous comparons les intermédiaires entre eux. C'est un peu ce que la semaine de la presse et des médias dans l'école (CLEMI) nous propose de faire en premier. Analyser le comportement de ces intermédiaires, décrypter leurs langages, pour pouvoir en être moins dépendants est la première étape. En essayant de faire comprendre à des jeunes comment se comportent les médias, comment ils se fabriquent même (cf. la proposition d'un média par établissement scolaire), on met en place une approche ambigüe : d'une part on développe le décryptage, d'autre part on renforce l'importance de ces médias de flux. A moins qu'on ne prenne la précaution d'expliciter les contraintes complémentaires de ces médias de flux : rentabilité, publicité, ligne éditoriale etc.

 

L'impact des médias de flux et plus particulièrement la télévision est réel et malheureusement cela ne facilite pas le travail d'éducation. La vidéo est à mettre en regard du flux audiovisuel proposé par la télévision. Si le visionnage de vidéo semble de plus en plus massif chez les jeunes (mais les statistiques sont difficiles à obtenir de manière fiable et pas uniquement déclaratives), la télévision constitue encore pour l'instant un repère. Que ce soit les journaux télévisés, les documentaires, ou les émissions thématiques, mais aussi les émissions distractives, tous constituent une sorte d'arrière-plan culturel commun, en particulier chez les adultes. Même si les statistiques concernant l'usage des jeunes semblent indiquer une nette diminution, en particulier à l'adolescence, il reste cependant une forte imprégnation.

 

Développer l'intelligence d'usage

 

L'éducation aux médias de flux et à la télévision en particulier ne peut être laissée de côté. L'impact actuel des séries télévisées, par exemple, (cf. les travaux déjà anciens de Dominique Pasquier sur Hélène et les garçons) ne s'est pas estompé. Simplement les modes de visionnages évoluent dans une sorte de continuité médiatique : diffusion en flux et accès interactifs se complètent, s'articulent. C'est aussi ces nouvelles formes d'usage qui peuvent être une opportunité pour amener les jeunes (et les adultes) à s'efforcer d'utiliser ces liens pour aller plus loin que ce que les flux proposent.

 

C'est donc l'intelligence d'usage qu'il convient de développer. Cette analyse croisée et critique entre les deux espaces de mise à disposition devrait amener à terme le spectateur à devenir plus attentif à ce qu'on lui propose. Après avoir vu un journal télévisé, pourquoi ne pas se donner les moyens d'aller voir plus loin que ce qui nous est dit de manière souvent péremptoire. Ce ton souvent autoritaire de celui qui a la parole devant la caméra est une modalité dont on ne mesure pas assez l'effet en réception. Les chroniqueurs, les experts, les journalistes spécialisés convoqués par l'animateur sont souvent dans cette posture qu'ils perçoivent comme légitime : puisque l'on le donne la parole, c'est que j'ai quelque chose de vrai à dire... Malheureusement ce n'est pas toujours le cas, mais comment le discerner ? C'est tout l'enjeu d'une éducation aux médias et à l'information qui peut désormais s'appuyer sur le plurimédia pour éviter les nuisances du monomédia...

 

Bruno Devauchelle

 

Les chroniques numériques de B. Devauchelle

 

 

 

 

Par fjarraud , le vendredi 11 mars 2016.

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