Marie-Sophie Ludwig : Quand des collégiens de Suresnes ressuscitent Paris 1900 

Paris 1900 : l’Exposition Universelle attire 50 millions de visiteurs pour célébrer la foi dans le Progrès. Suresnes 2015 : des 4èmes du collège Henri Sellier, en immersion interdisciplinaire, tentent de ressusciter la Ville Lumière et ses idéaux. Au programme : recherches historiques, création de haïkus, étude d’un roman de Zola, approche des balbutiements du cinéma et de la persistance rétinienne, rédaction de cartes postales imaginaires, réalisation d’un court-métrage et de sa bande-son musicale … La dynamique du projet est particulièrement forte et formatrice. En témoigne ici  Marie-Sophie Ludwig, professeure de lettres : « L’amour pour un pays, pour un patrimoine, pour une histoire ou pour une littérature ne s’impose pas, il se propose et il se construit. A nos élèves originaires de contrées diverses, nous avons eu le souhait de donner à aimer Paris : je crois que nous y avons réussi. «

 

Votre projet porte sur l’exposition universelle de Paris en 1900 : pourquoi un tel choix ?

 

Nos élèves sont Suresnois, donc on pourrait penser que la fréquentation de Paris leur est familière, or j’ai pu remarquer qu’ils sont nombreux à ne pas oser la vaticination parisienne, sauf dans quelques lieux de passage, toujours les mêmes. Il était intéressant de rencontrer dans une promenade historique le Paris littéraire, le Paris qui se présente et s’expose, en suscitant leur curiosité pour un événement d’ampleur, l’Exposition Universelle de 1900.

 

A la fin du projet, les élèves de 4ème concernés par le projet étaient des connaisseurs du Paris de la Belle Epoque, ils avaient mis leurs pas dans ceux des quelque 50 millions de visiteurs venus du monde entier admirer la nouveauté et le progrès.

 

Enfin, pour les professeurs, le sujet était passionnant et très riche. Nous avons accès à des quantités de documents divers. Cette exposition a été filmée par les grands inventeurs du cinéma : les frères Lumière, Méliès, mais aussi l’américain Edison, qui rendent compte de la variété et du foisonnement des attractions proposées, de l’étendue des technologies exposées, de la nouveauté des inventions valorisées. On peut se procurer des cartes postales qui montrent la fascination de ce Paris électrique et dynamique, et le net regorge de témoignages, de plans, de dessins, d’articles sur le sujet.

 

Enfin, nous avons énormément appris avec les élèves, et ceci a dynamisé les séances en  nous faisant évoluer d’une posture traditionnelle et « verticale » pour aller vers une pédagogie collaborative de projet et de découverte.

Une phase importante de travail a porté sur le « lyrisme parisien » : comment l’avez-vous rendu sensible aux élèves ?

 

La première approche a été poétique : Paris est chanté(e) par les poètes et les romanciers, dans une image féminine sublimée. Paris séduit, se laisse conquérir -ou pas- par les Rastignacs ; Paris est plus qu’une toile de fond, plus qu’une métaphore. Paris est un personnage ambigu: presque mythologique, il programme les amours, les mélancolies poétiques, « fourmillante cité pleine de rêves » ou Babylone dangereuse et décadente…

 

Nous avons donc étudié les extraits de romans (Hugo, Balzac, Zola, Maupassant, Sue…) et nous avons saisi l’occasion du Printemps des Poètes pour parer la classe d’hommages poétiques (Baudelaire, Verlaine, Apollinaire, Prévert, Aragon, Brel) à Paris. L’environnement littéraire des élèves a donc été fortement nourri en préalable à la phase de recherche sur l’Expo.

 

Les élèves ont imité la forme poétique étrangère du haïku, facile à travailler, brève et efficace, pour rendre compte du spleen parisien avec une grâce toute japonaise.

 

Pour éclairer l’époque, vous avez aussi étudié « Au bonheur des dames » de Zola : quel travail avez-vous mené sur ce roman pour faire émerger la conscience d’un Paris en mouvement ?

 

Nous employons largement l’exposition virtuelle de la BNF, admirablement documentée.

Le roman « Au Bonheur des Dames » est, d’expérience,  plus facile pour les élèves que d’autres grands ouvrages de Zola. L’étude d’une grande entreprise en fait un objet d’étude du capitalisme naissant en Histoire, et les élèves se sont intéressés à la gestion de la « Maison Mouret » avec une étude de l’entreprise en Technologie. Le roman, en outre, est le récit d’une création au détriment de la destruction d’un autre Paris : nous avons donc étudié de près des descriptions de lieux, de rues, avec des plans et des photographies de l’avant et de l’après-Haussmann. Les élèves ont pu mesurer combien la ville a été remodelée à la fin du XIXème siècle.

 

L’effervescence parisienne a été analysée de près avec une étude synoptique de l’arrivée à la gare Saint-Lazare des protagonistes provinciaux, dans l’incipit du roman et dans les scènes inaugurales des films tirés du roman, avec celui de Duvivier (1929) et de Cayatte (1943). Les élèves se familiarisent donc avec la « grammaire » du cinéma, s’initient au vocabulaire technique et sont invités à justifier leurs préférences entre les deux œuvres dans de courts paragraphes dissertatifs qui leur apprennent les rudiments de l’argumentation.

 

Nous en concluons que Paris se construit et se modifie à l’initiative du préfet Haussmann, sous la plume du romancier et sous l’œil de la caméra… et que ce mouvement n’est pas près de s’arrêter.

 

Le projet présente une forte dimension interdisciplinaire : comment d’autres matières s’y sont-elles intégrées ? quels vous semblent les intérêts de cette interdisciplinarité ?

 

Un projet peut difficilement être mené par un professeur seul : on risque l’enlisement, la perte des objectifs pédagogiques ou didactiques de la matière. Les réunions et les plans de travail recentrent les objectifs sur l’essentiel, et limitent le découragement.

 

 Travailler avec des collègues, c’est apprendre à leur contact, comprendre aussi les difficultés des élèves qui doivent s’adapter à nos « métalangages » si particuliers à nos domaines d’enseignement.

 

Notre fil rouge était l’étude du cinéma : nous avons assisté en Histoire et en Lettres à ses balbutiements, nous avons construit en Lettres et en Physique des flip-books pour comprendre comment cette invention s’appuie sur la persistance rétinienne, nous avons mesuré les améliorations rapides et ininterrompues du cinéma grâce à une exposition sur les Frères Lumière qui se donnait au Grand Palais, nous avons « inventé » une bande-son avec les interprétations de la classe orchestre et les chants de la chorale grâce aux professeurs de Musique et d’Instruments.

 

Vos élèves ont été invités à écrire des cartes postales de visiteurs de l’exposition : selon quelles modalités de travail ? quels ont été les bénéfices particuliers de cette écriture créative ?

 

Cette idée m’est venue d’une promenade chez les bouquinistes : on trouve très facilement des cartes postales de l’année de l’Expo, éditées en grand nombre. Certaines sont accompagnées au verso de quelques mots envoyés à des proches qui évoquent la joie, l’étonnement, l’étourdissement même devant la variété des attractions. Je me suis dit que bien des cartes comme celles-ci ont dû voyager vers des pays lointains. De là est venue l’idée de rédaction qui, imitant la réalité, a suscité l’intérêt des élèves : « Vous êtes un de ces visiteurs de l’Expo et vous décrivez l’une des attractions de l’exposition dans une carte postale que vous envoyez à votre famille restée au pays. »

 

Le langage est donc épiphanie et témoignage empathique : en faisant semblant d’être ces voyageurs de 1900 qui décrivent leurs émotions, les élèves rentrent dans un monde qui leur semblait au départ aussi étrange qu’étranger.

 

Pourtant, la distance s’efface par le lyrisme de l’exercice d’écriture.

 

La production finale est un fort beau court-métrage : pouvez-vous en éclairer le contenu ? quelles ont été les étapes de travail pour parvenir à cette réalisation ?

 

Beaucoup de confiance et d’aides diverses venues des différents partenaires ont rendu ce travail possible ! D’abord le projet a été soutenu et financé par le Conseil Général du 92, dans un projet SIEL, ce qui a permis d’envisager l’écriture et la réalisation du court-métrage. C’est TRaAM (Travaux Académiques Mutualisés) qui a proposé le cadre d’un scénario pédagogique et l’a promu en accord avec la valorisation des pratiques numériques dont nous nous sommes largement servis en amont et qui a abouti au document numérique que vous pouvez consulter.

 

Cependant, la motivation ne suffit pas, il faut des connaissances techniques qu’un professeur, quelle que soit sa motivation ne possède pas toujours… Sans les efforts du SIJ de Suresnes, dont l’équipe d’animation est venue patiemment enregistrer les élèves avec un matériel professionnel, la bande-son aurait été très médiocre. Mais surtout, c’est Guillaume Jousse, notre monteur, qui avec son sens esthétique, a réalisé le film de manière professionnelle. Il a accompagné le groupe dans Paris pour les prises de vue et a fait un montage aussi précis qu’artistique en comprenant parfaitement les allers-et-retours que nous voulions transmettre, entre notre époque et celle de 1900.

 

Quel bilan final tirez-vous du projet ? Quels effets avez-vous perçus en particulier sur la dynamique du groupe ?

 

L’amour pour un pays, pour un patrimoine, pour une histoire ou pour une littérature ne s’impose pas, il se propose et il se construit. A nos élèves originaires de contrées diverses, nous avons eu le souhait de donner à aimer Paris : je crois que nous y avons réussi.

 

Par le jeu, ils se sont identifiés, comme vous l’entendrez dans notre court-métrage, aux visiteurs de cette Expo de 1900 ; ils se sont amusés des trottoirs roulants, ils ont été émerveillés par les possibilités qu’offraient les inventions, ils ont ressenti de véritables émotions pour des gens dont la caméra avait saisi la marche saccadée et le rire muet. Ils leur ont redonné la parole par des textes qu’ils ont inventés et des mélodies d’époque qu’ils ont interprétées.

 

Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut

 

Les productions des élèves sur La Page des Lettres de l’Académie de Versailles

 

Exposition de la BnF sur « Au bonheur des Dames »

 

 

Par fjarraud , le lundi 14 mars 2016.

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