Cnesco : Le numérique complique-t-il ou aide-t-il l'apprentissage de la lecture ? 

Vous connaissez Docteur Jekyll et Mister Hyde ? C'est le rôle qu'ont endossé deux compères lors de la conférence Cnesco Ifé sur la lecture le 17 mars. D'un coté, Dr Jekyll, alias André Tricot, chargé de montrer comment les supports numériques peuvent aider l'apprentissage de la lecture. De l'autre Mr Hyde, alias Jean-François Rouet, chargé de montrer ce que le numérique  a fait à la lecture. Ces deux interventions passionnantes, sur un sujet totalement neuf, ont clos la conférence. Il revient maintenant au jury d'élaborer une synthèse et des recommandations sur l'apprentissage de la lecture continuée. On en reparlera...

 

Jean-François : les spécificités de la lecture documentaire avec le numérique

 

Pour Jean-François Rouet (université de Poitiers) le numérique a vraiment changé la place de la lecture et l'a extrêmement complexifié. "La lecture ne se déroule pas dans le vide, explique-t-il. Le contexte détermine la disponibilité des textes ainsi que les tâches et les objectifs du lecteur. Les processus de lecture résultent de la triple interaction entre le contexte, le texte et le lecteur".  Il va donc montrer comment le numérique a changé le contexte de la lecture du tout au tout, c'est à dire en quoi les textes numériques diffèrent des textes imprimés, comment le contexte a changé et les nouvelles connaissances et capacités nécessaires.

 

Avec le numérique tout a changé...

 

La première modification tient au format du texte : un texte à l'écran occupe une surface plus petite qu'une page de journal ou même qu'une feuille A4. Sur un écran de smartphone c'est encore plus petit !  Par conséquent l'information numérique sera plus émiettée et il faudra faire des liens entre les éléments avec l'obligation pour le lecteur de jongler avec l'hypertexte.

 

On assiste à une délinéarisation du texte ce qui fait que le parcours de lecture devient indépendant des limites physiques du texte. La lecture par balayage du texte, une compétence qui était réservés qu'à quelques lecteurs précédemment, devient une compétence importante.

 

Le processus de publication est lui aussi affecté. Pour lire et comprendre il faut maintenant se soucier de l'identité de l'auteur et globalement de la question de la validation du texte.  C'est une question que les enseignants retrouvent au quotidien en classe. Et JF Rouet montre des exemples éclatants par exemple sur le réchauffement climatique.

 

Le contexte de lecture change aussi par la surabondance de textes sous des formes diverses (web mais aussi sms) et des formes de communication : sms sur mon téléphone, page web, tablettes présentes dans la classe.  Les jeunes n'utilisent leur téléphone pratiquement que pour écrire. Les 18% qui sont brouillés avec l'écrit sont nettement marginalisés  : ni Facebook, ni SMS . Leurs difficultés sont visibles car l'expression de chacun s'affiche publiquement.

 

Un niveau de difficulté que ne maitrise pas la pseudo génération Y...

 

Pour l'élève qui apprend à lire aujourd'hui le niveau de difficulté est relevé par le numérique. Il doit se demander si l'information est pertinente et déjà faire un choix dans un moteur de recherche. C'est à dire que l'activité de lecture précède l'arrivée même du texte. Il doit savoir évaluer le texte ce qui souvent nécessite de corroborer le texte en le connectant avec d'autres : on a là un haut niveau de compétences en compréhension de l'écrit.

 

Toutes ces compétences existaient avant. Qu'il s'agisse de la capacité à organiser l'information (avec l'hypertexte), de maitriser els outils d'accès (le moteur de recherche) et d'interpréter les organisateurs de la page (titres, liens etc.). Ou encore qu'il s'agisse de compétences procédurales : se représenter l'espace virtuel du texte (JF Rouet explique que c'est la mémoire spatiale classique qui est mobilisée), inhiber les décisions impulsives (cliquer sur le 1er lien du moteur de recherche), et estimer la pertinence de l'information.

 

Ce qui a changé c'est que ces compétences sont passées de compétences rares spécifiques à certains lecteurs à des compétences attendues de tout le monde  du fait du numérique. Elles sont passées de la lecture érudite à la lecture commune.

 

La difficulté est palpable. JR Rouet cite en exemple l'incident survenu à Péronne où 300 lycéens sont descendus dans la rue parce qu'un bruit de suppression des vacances d'été avait circulé sur Facebook. "Il a fallu 3 heures de discussion pour expliquer aux lycéens qu'il ne faut pas croire tout ce qu'on lit et écrire tout ce qu'on lit". Le niveau de maitrise nécessaire aujourd'hui est plus élevé.

 

Par conséquent , pour JF Rouet, le numérique a affecté les textes, les contextes et les processus de lecture. La lecture numérique sollicite des processus de plus haut niveau : l'examen visuel et cognitif rapide, l'évaluation de la qualité de l'information, l'intégration d'informations issues de sources variées. Evidemment tous ces processus ne sont pas acquis par tous les élèves, contrairement au discours sur la "génération Y".

 

Dernier point à retenir pour tous ceux qui se lancent dans l'EMI : pour JF Rouet toutes ces capacités ne sont pas accessibles avant 11 ou 12 ans. Il est donc inutile de tenter de les enseigner. Pour autant   on aura bien compris qu'il faut davantage d'éducation qu'avant.

 

André Tricot : les supports numériques facilitent-ils l'apprentissage de la lecture ?

 

Spécialiste du numérique éducatif, André Tricot (Université de Toulouse 2) doit mesurer les capacités des outils numériques pour l'apprentissage et la pratique de la lecture.

 

En ce qui concerne l'apprentissage de la lecture, A Tricot souligne l'existence d'outils numériques dédiés pour apprendre à reconnaitre des mots écrits. Le numérique apporte des spécificités comme les retours immédiats aux actions de l'élève. On n'a par contre pas d'études montrant l'efficacité des outils non dédiés.

 

Sur l'apprentissage de la compréhension, "l'important n'est pas le numérique mais l'enseignement de la compréhension". A Tricot cite des apports possibles grâce à des outils dédiés mis en évidence par JF Rouet.

 

En ce qui concerne le numérique pour lire et apprendre, pour A Tricot les outils numériques permettent des enrichissements des textes mais ils donnent aussi la possibilité de concevoir des supports particulièrement mauvais avec des exigences telles que les élèves apprennent difficilement. A Tricot rappelle les 9 principes de Mayer pour concevoir un support numérique éducatif. "Pas certain que tous les concepteurs de supports les connaissent"...

 

Les outils doivent aussi respecter l'ergonomie de la classe en terme d'espace, de temps, de pratiques. "On peut avoir des outils géniaux mais qui ne sont pas compatibles avec la classe".

 

En ce qui concerne la pratique de la lecture, A Tricot revient sur ce que JF Rouet a exposé : le numérique a relevé le niveau des capacités attendues. De nouvelles tâches sont attendues comme la recherche d'information, la validation de l'information...

 

La conclusion est donc très balancée. Si le numérique apporte des informations plus riches et plus complexes, des lectures plus engageantes et intéressantes et donc s'il peut améliorer l'apprentissage de la lecture, le numérique a aussi apporté de nouvelles exigences chez le lecteur comme chez le concepteur. Mr Hyde l'emporte-il sur Dr Jekkyl ?

 

François Jarraud

 

La conférence de consensus sur la lecture

 

 

 

Par fjarraud , le vendredi 18 mars 2016.

Commentaires

  • veronica4, le 21/03/2016 à 06:29
    Le doute a été levé il y a quelques années http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/11/20/la-memoire-prefere-le-papier-a-la-tablette_1442738_3232.html

    "

    La mémoire préfère le papier à la tablette

    Comment expliquer ces écarts ? Des différences entre les deux supports (éclairage, contraste, etc.) peuvent influer. M. Eskenazi avance, lui, l'hypothèse selon laquelle le lecteur du journal papier peut en évaluerl'épaisseur au toucher. Ce qui n'est pas le cas avec une tablette tactile. Une lecture plus précipitée du même contenu sur iPad serait ainsi la manifestation du désir d'évaluer rapidement l'étendue de la lecture que l'on a encore devant soi. Quelle que soit l'explication, les résultats de cette étude - qui devront être confirmés par d'autres expériences - interroge sérieusement le déploiement de l'iPad en milieu scolaire, déjà engagé dans certains départements."

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