La chronique de V. Soulé: Des lycéens fans de presse écrite  

Beaucoup prédisent sa mort: la presse écrite serait condamnée à un inexorable déclin face aux réseaux sociaux, aux chaînes en continu et aux jeunes qui ne la lisent plus. Et bien, ça n'est pas si simple... A Nantes, on a rencontré les animateurs d'un journal lycéen, persuadés que la presse écrite a de l'avenir.

 

Connaissez-vous "Les Griffes du Tigre" (1) ? C'est le journal des lycéens de Clémenceau, le grand lycée public du centre de Nantes. Un titre qui fait référence au surnom de Georges Clémenceau, un ancien élève, surnommé "le Tigre" alors qu'il était ministre de l'Intérieur.

 

Ses animateurs ont participé à un débat  (2) le 31 mars organisé par les parents de la FCPE sur le thème: "Liberté de la presse, liberté d'expression". Ils ont fait la démonstration de la vitalité de cette presse lycéenne un peu oubliée, et de leur foi dans le journal papier que l'on dit moribond.

 

Noir et blanc

 

Luka, Joséphine et Elise, présents à la tribune, font partie de la quinzaine de lycéens constituant l'équipe du journal. Tous trois en terminale - deux en ES (Economique et Sociale) et Elise en S -, ils ont entre 17 et 18 ans. Le plus jeune apprenti journaliste, en seconde, a 14 ans.

 

L'objectif est de sortir un numéro par mois. Mais en moyenne, on arrive à 6, chacun tiré entre 200 et 400 exemplaires – moins quand il est en couleurs car c'est beaucoup plus coûteux et le journal est tiré sur l'imprimante du lycée. "Du coup, on opte plutôt pour le noir et blanc, qui peut être aussi fort", explique Luka, le rédacteur en chef sortant.

 

Lorsque le journal paraît, des exemplaires sont déposés au CDI, à la Vie scolaire et surtout sur la table du préau où ils voisinent avec les piles de Ouest France et de Presse Océan. Très vite, il n'en reste plus.

 

Perles des profs 

 

Les rubriques les plus populaires sont les plus légères: les perles des profs  - "C'est bien le signe égal et pas le Sénégal !", s'énerve un prof de maths dans le numéro de décembre 2015 -, l'horoscope – "Sagittaire, Amour: panne de boule de cristal", dans celui février-mars 2016 -, et la BD.

 

Au delà, les lycéens proposent un journal de 20 pages élaboré. Les rubriques distrayantes et servicielles – comme "Les coins sympas de Nantes", "La playlist du mois" ou encore des conseils d'orientation – alternent avec des textes de fond – sur le bilan balancé de la COP21 -, des interviews – avec le dessinateur Fabien Vehlmann, scénariste de Spirou et de la BD Seuls – et avec des analyses – sur Notre-Dame-des-Landes, ou un dossier de 7 pages sur les attentats du 13 novembre.

 

Ode à Bowie

 

Tout cela n'empêche pas les élans du coeur. Comme cet article après la mort de Bowie: "Ses chansons donnent la patate, de la chaleur. De la joie, le sourire. Elles sont puissantes. Elles résonnent. Bowie t'emmène dans l'espace. C'est lui qui brille dans le ciel. Pour toujours. Eclate-toi sur Mars Ziggy!"

 

A la tribune, Luka, Joséphine et Elise ont relaté l'histoire de la presse lycéenne à Clémenceau, reflet de la riche histoire de ce lycée créé en 1808. Deux journaux y furent fondés dès 1855 – L'Eclipse et L'Impartial. Puis il y eut l'éphémère  "En route mauvaise troupe" et "Le canard sauvage". Les ancêtres des "Griffes du Tigre" apparu en 2003.

 

Ils ont aussi souligné le rôle d'un journal lycéen pour faire vivre la démocratie interne, faire entendre la voix des élèves, nourrir les débats. "C'est un endroit où on peut s'exprimer librement, faire des articles sur des choses qui nous tiennent à coeur. On apporte notre regard, c'est une alternative à la presse nationale", ont-ils expliqué.

 

La journée de la jupe

 

Récemment, en 2014, "Les Griffes du Tigre" ont consacré un numéro à la Journée de la jupe, une initiative des lycéens de Clémenceau pour que filles et garçons viennent en jupe, aux plus forts des défilés de La manif pour tous contre le mariage gay.

 

En 2007, il y a eu trois mois de blocage au lycée dans le cadre du mouvement déclenché par la loi Pécresse sur l'autonomie des universités. Dans "Les Griffes du Tigre", bloqueurs et anti bloqueurs se sont affrontés. 

 

Le comité de rédaction vient d'arrêter le plan du prochain numéro, avec 6 pages sur la très controversée loi Travail: un article sur le blocage à Clémenceau, un point sur ce que change la loi, un article pour, un autre contre... Du vrai travail de pro.

 

Journal papier

 

Luka, Joséphine et Elise ne sont pas prêts d'abandonner le journal papier. Même s'ils reconnaissent que beaucoup s'informent sur les chaînes en continu, eux croient à la presse écrite. "La Une d'un journal, ça parle, explique Luka, plus que la Une d'un site où tout bouge tout le temps, et un journal propose des analyses de fond."

 

Depuis deux numéros, tous les lycéens de Clémenceau reçoivent la version pdf des "Griffes du Tigre". Et il existe une adresse mail pour correspondre. Mais impossible de faire un journal lycéen et de susciter la discussion si des exemplaires ne circulent pas, selon nos apprentis journalistes.

 

Luka le rédacteur en chef passe la main. Trop de travail en terminale pour assumer les 2 heures par semaine qu'il y consacrait. Trop de pression aussi. Et "Les Griffes du Tigre", qui y ont consacré un article, déconseillent fortement le stress: "Des élèves stressés, en perpétuelle concurrence et manque de confiance, ne pourront créer une société d'adultes sereins et équilibrés."

 

Véronique Soulé

                            

(1) http://gclemenceau.paysdelaloire.e-lyco.fr/les-associations/les-griffes-du-tigre/

 

(2) http://gclemenceau.paysdelaloire.e-lyco.fr/accueil/liberte-d-expression-liberte-de-la-presse-et-des-reseaux-sociaux--15851.htm

 

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Par fjarraud , le lundi 04 avril 2016.

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