La chronique de Véronique Soulé: Une directrice face au défi des moins de trois ans 

Scolariser les enfants de moins de trois ans de milieux défavorisés, afin de combler leur handicap de départ, est une mesure phare de la la Refondation de l'école. Mais c'est plus compliqué que prévu. La ministre Najat Vallaud-Belkacem s'est récemment inquiétée du fait que cela prenait du retard (1). Témoignage d'une directrice qui doit ouvrir une classe de moins de trois ans à la rentrée.

 

 

Corinne – elle a préféré rester anonyme – est directrice d'une école en REP+ (réseau d'éducation prioritaire renforcé) dans un quartier populaire parisien. Son inspecteur lui a annoncé qu'elle aurait une ouverture de classe à la rentrée, pour des moins de trois ans. Comment va-t-elle s'y prendre ?

 

Corinne est plutôt favorable à l'idée. Dans le quartier, elle voit des mamans qui ne parlent pas ou peu le français et qui arrivent complètement perdues à l'école, osant à peine entrer. Les enfants accusent souvent un retard de langage et/ou de comportement en classe.

 

Mais entre la bonne idée et la réalisation, il y a un pas. Corinne doit relever trois défis.

 

1. Comment trouver les enfants ?

 

Aussi incroyable que cela puisse paraître car il a été lancé en début de quinquennat, le dispositif semble encore assez mal connu, des familles et des partenaires de l'école. Il arrive même que dans les mairies, on réponde aux parents qu'il faut attendre 3 ans pour s'inscrire.

 

"Pour trouver les enfants, ce n'est pas simple, explique Corinne. Car ils doivent répondre à un certain nombre de critères: ne pas fréquenter de structures collectives comme les crèches, avoir des parents qui ne travaillent pas, venir de familles très éloignées de la culture scolaire, notamment allophones.

 

"Je regarde d'abord le logiciel des mairies où sont enregistrés les enfants de deux ans. Je contacte alors les familles pour le leur proposer et vérifier qu'ils répondent aux critères. Mais il y a très peu d'inscrits: 6 ou 7 aujourd'hui alors que ma classe doit compter 18 élèves.

 

"L'essentiel est le bouche à oreille. Je connais des parents de mon école qui ont des plus petits et je leur propose. Je demande à la directrice de l'école voisine si elle pense à des familles. J'en parle aussi aux représentant des parents d'élèves, s'ils connaissent des gens dans leur immeuble, leur voisinage.

 

"L'inspecteur nous a dit que si l'on en trouvait 13, 14  ou 15, ce serait déjà bien. Je crois que chaque directrice fait un peu sa tambouille. Quitte à s'arranger avec certains critères. En fait, ce qui m'étonne le plus, c'est que l'on n'ait pas déployé une vraie politique pour mettre en place ce dispositif. Là, on improvise un peu."

 

2. Comment gagner les enseignant-e-s ?

 

Les enseignant-e-s ne sont pas forcément enthousiastes à l'idée d'accueillir des petits bonshommes de deux ans, en couches, n'ayant connu que leur maison. Ils ou elles ont été formé-e-s pour enseigner en maternelle. Et se sentent démunie-e-s.

 

Le 5 avril dernier, au lendemain de la déclaration de la ministre appelant à un nouvel élan (2), le principal syndicat du primaire, le SNU-ipp, a réclamé "un soutien des équipes enseignantes". "L'objectif ne peut pas être de faire du chiffre", avertit-il.

 

"Mon équipe n'était pas très partante, reconnaît Corinne. Le premier argument était de dire que c'est un autre métier. Et qu'elles ne sont pas formées. C'est vrai. Il y aura de la formation mais l'an prochain, sur le temps de travail.

 

"L'autre critique portait sur le fait que l'on allait constituer des classes avec une seule catégorie sociale, des classes-ghettos. Ce qui n'est pas faux. Mais on peut faire aussi des classes de double niveau, pour mélanger les enfants.

 

"La formation des enseignants est, d'après moi, un problème plus général. Les jeunes qui arrivent sont de milieux plutôt favorisés depuis qu'il faut un bac plus cinq. Elles ne connaissent pas les milieux populaires et ne savent pas comment réagir avec les parents. Elles n'ont reçu aucune formation sur ce sujet. Pas plus que sur les touts-petits..."

 

3. Comment être sûr que ce soit efficace ?

 

Il existe un débat de fond, des chercheurs estimant que l'efficacité de la scolarisation précoce n'est pas du tout prouvée (3), d'autres arguant du contraire.

 

Si l'on en reste au terrain, on peut s'interroger sur les conditions de mise en place de ce dispositif. Les écoles maternelles sont-elles équipées pour accueillir des touts-petits ? Cela suppose des jeux et des installations spécifiques. Et une "Atsem" – personne assistant les profs, rétribuée par la mairie – en permanence dans la classe avec l'enseignante. 

 

"Pour tout dire, pour moi, la solution idéale pour ces enfants reste la crèche, confie Corinne. Il y a un bien meilleur encadrement et des locaux vraiment adaptés. Mais on manque terriblement de crèches. Et pour ces familles, il faudrait des places gratuites ou à un prix minime.

 

"A l'école, on peut faire des choses positives mais à certaines conditions. La principale est que l'on travaille avec les parents. Leur parler le matin quand ils accompagnent les enfants, lorsqu'ils viennent les chercher en fin de matinée, leur permettre de rester dans la matinée. Afin qu'ils puissent découvrir ce qu'est l'école, un univers souvent inconnu pour eux, qu'ils comprennent que c'est un lieu où on apprend, qu'ils adhérent, qu'un lien de confiance s'établisse.

 

"Nous avions quelques enfants de deux ans l'an dernier – ils servent souvent de variable d'ajustement dans les écoles pour remplir une classes. Nous avons constaté que cette année en petite section, ils marchaient très bien. Leurs mamans entrent dans la classe avec eux, leur disent d'écrire leurs noms. Avant, elles restaient sur le pas de la porte et partaient vite."

 

Véronique Soulé

 

(1) Dans le Café

 

 

 

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Par fjarraud , le lundi 11 avril 2016.

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