Toucher en EPS, entre usages et réticences... 

L’EPS est une discipline d’enseignement dont l’objet spécifique concerne la transformation de la motricité. Le rapport au corps y joue donc un rôle central. Les enseignants ont recours assez fréquemment aux touchers des élèves alors qu’ils en sont assez peu conscients et disent ne pas les rechercher. Geneviève Cogérino vient de publier Magali Boizumault  un article sur ces touchers dans la Revue française de pédagogie (n°191). Elle met en avant la méconnaissance des enseignants sur les communications non verbales et incite les formations initiales à ne pas les occulter.

 

Qu’est-ce qu’un toucher en EPS ?

 

De nombreuses études caractérisant les touchers sont présentes notamment en psycho-sociologie. Ils sont très nombreux, et très variés : par exemple une étude dénombre 38 formes différentes au sein d’une équipe de sports collectifs. Nous les définissons dans notre approche comme un contact entre un segment corporel de l’enseignant et une partie du corps de l’élève.

Au cours de l’étude des entretiens avec les enseignants ont permis de déterminer leurs intentions, les zones qu’ils pensaient toucher ou non et les raisons qui organisaient leurs actions.

 

Quels sont les touchers qui sont utilisés par les enseignants ?

 

Les touchers les plus courants sont réalisés sur le haut du corps, les épaules, le coude, et en cas de risque de chute sur le bassin ou les hanches. Les enseignants n’hésitent pas à toucher des zones plus « gênantes » pour maintenir la sécurité. Quand il n’y a pas d’accident en ligne de mire, ils ont tendance à être en retrait, notamment autour des questions éthiques liées à la relation adulte-enfant. Si, dans leurs propos, ils sont réticents à l’idée de toucher et disent ne pas le faire pour des raisons éthiques, dans les faits de nombreux touchers sont répertoriés (affectifs, communications, techniques, autres). Si un enseignant de notre étude s’est interdit le moindre toucher, pour des raisons idéologiques, notamment par rapport aux problèmes de pédophilie, ce qui l’a amené à se donner cette règle de fonctionnement, la majorité n’hésite pas à consoler, encourager, entrer en contact avec leurs élèves.

 

Cependant, nous voyons qu’en cas de déception visible de l’élève, par exemple après une petite chute, ou après un échec lors d’une tentative inaboutie, les enseignants n’hésitent pas à venir vers l’élève le toucher sur l’épaule, ou le prendre dans les bras pour lui montrer leur soutien. C’est une véritable communication non verbale qui s’installe. L’entretien d’explicitation a révélé une approche quasi maternelle de l’enseignant dans ce cas précis.

 

Comment s’est organisée votre étude ?

 

Il convient en effet de préciser le cadre méthodologique de cette recherche. Trois procédures ont été utilisées : faire un enregistrement vidéo de l’enseignant, puis faire un entretien sans la présence de la vidéo lui demandant s’il pense toucher ou pas et pourquoi il le fait. Et enfin, la troisième procédure étant l’entretien d’auto-confrontation : on présente à l’enseignant ses différents touchers lors de la leçon et on lui demande de les commenter, de les expliquer, de resituer ce geste dans le contexte de cette séance. Une comparaison entre le faire, le dire et le dire sur le faire est alors possible

 

A quoi sert un toucher en EPS ?

 

Afin, de rendre lisible les différents retours, il nous fallait une classification des fonctions potentielles de ces touchers. Nous avons utilisé comme base de travail une recherche sur les touchers au sein du monde infirmier. Cette étude scientifique identifie 4 grandes fonctions : la fonction « technique », « relationnelle », « communicationnelle» et « déshumanisée ». Cette classification nous a servi de grille initiale pour voir s’il était possible de l’appliquer aux touchers apparaissant en EPS.

 

Dès lors, à travers ces 4 fonctions et ces 3 techniques de recueil, nous avons vu que les enseignants avaient une forme de décalage entre ce qu’ils pensaient faire et ce qu’ils font en réalité. Les touchers dans les vidéos sont plus nombreux et leurs fonctions sont aussi plus nombreuses que celles formulées en entretien semi-directif initialement Paradoxalement les enseignants ne sont pas forcément conscients des gestes qu’ils peuvent avoir Mais parfois ils le font de façon volontaire, délibérée et consciente.

 

En premier lieu, les collègues privilégient la fonction technique en entretien semi-directif : ils évoquent les touchers de sécurité, avec notamment la parade. Aucun enseignant ne précise que c’est pour donner le moral ou pour montrer leur attention. Il y une forme d’inconscient derrière ces questions. Par contre, face à la vidéo, ils sont toujours très étonnés, « Ah bon j’ai fais ça ? » avec un discours où le côté relationnel avec l’élève est souligné : «  Là par exemple, je lui montre qu’on est content de lui ». Les collègues sont contents de commenter ces images car au fond d’eux ils pensent que la dimension relationnelle est au cœur du métier. C’est donc la fonction affective qui est omniprésente en auto-confrontation et chaque toucher est justifié au regard de l’élève concerné.

 

Quel(s) rapport(s) les enseignants d’EPS entretiennent-ils avec ces touchers ? L’aspect affectif semble être minimisé ?

 

Concernant l’aspect affectif, nous sommes évidemment sur le registre des interprétations. Il faudrait un cadre de référence plus précis pour pouvoir en dégager des hypothèses plus vérifiables. Toutefois, nous pourrions avancer l’idée qu’il existe au sein des discours dominants une couche concernant ce qu’il faut faire et ne pas faire, en référence aux instructions officielles. Un enseignant centré sur les apprentissages, un enseignant responsable faisant partie d’une équipe, tout le discours que l’on entend en formation initiale constitue cette première couche qui va être verbalisée au début. Paradoxalement au fond d’eux-mêmes, la plupart ont une relation de proximité avec leurs élèves, parce qu’ils se voient dans des conditions difficiles, à l’extérieur, avec des problèmes de météo, avec des parcours scolaires, physiques ou sportifs différents, avec des difficultés manifestes et visibles. Dès lors les enseignants sont en mesure de percevoir quelque chose de plus profond dans la relation avec les élèves.

 

L’enjeu des touchers permettrait-il une individualisation de l’intervention des enseignants ?

 

Il est en effet frappant dans les entretiens d’auto-confrontation de voir la capacité des enseignants à identifier de manière précise les besoins des élèves. Par exemple, l’enseignant perçoit si tel élève va s’en remettre tout seul ou si au contraire ce dernier semble plus fragile ou plus susceptible de se décourager car il n’a pas réussi et s’il convient d’intervenir ou de lui démontrer son soutien, sa présence, son encouragement. L’individualisation est mise en avant au sein de l’entretien au regard de la spécificité de chacun de leurs élèves

 

N’est-ce pas un problème plus général qui semble être tabou au sein des formations initiales ? Ou encore, n’y a-t-il pas une voie à creuser dans une démarche de formation continue des enseignants pouvant même questionner la nature et fonction des inspections ?

 

Il y a effectivement un « black-out » sur ces thématiques au sein des formations initiales qui sont bien évidemment pilotées par les intitulés des programmes des concours de recrutement. Dès lors, tant qu’il n’y aura pas une thématique sur l’impact des communications non verbales, leurs rôles et leurs limites, celles-ci ne seront pas abordées en formation initiale ou continue.

 

Pourtant, nous pouvons témoigner de la plus-value de ces moments. En général, les enseignants lorsqu’ils se découvrent en vidéo sont d’une certaine façon rassurés et semblent être en cohérence avec eux-mêmes au regard de leurs intentions et de ce qu’ils font en réalité. On a l’impression que la pression des programmes, l’image de l’enseignant idéal les amènent à certains moments à se mettre un bandeau sur les yeux pour ne pas voir sur le fond ce qu’ils font réellement face aux élèves. Et découvrir dans les vidéos cette forme de compatibilité entre ce qu’ils font et leurs valeurs profondes leur fait du bien, ils sont contents, rassurés, ça les libère. Il y a donc une méconnaissance consciente de ce que font les enseignants, concrètement, dans la réalité de leurs leçons. Les interactions sont automatisées, comme un allant de soi. C’est sur cette prise de conscience de la place des interactions et de leur optimisation qu’un travail peut se réaliser.

 

Tant qu’il n’y aura pas un temps pour se mettre d’accord et reconnaître que cela fait partie des savoir-faire des enseignants et doit faire l’objet d’un apprentissage, tant que cela ne sera pas explicité, reconnu, accepté, je ne pense pas que cela rentrera dans les thématiques de la formation continue, ou celles des inspections. La préoccupation majeure concerne les apprentissages des élèves et non leur bien-être, leur confiance en eux, bien que cela ne soit pas incompatible. Peut-être pouvons-nous y voir ici une piste à creuser.

 

Propos recueillis par Antoine Maurice et Benoît Montégut

 

Lire l'article dans la Revue française de pédagogie

 

 

Pour aller plus loin, quelques repères bibliographiques :

Boizumault, M., Cogérino, G. (2015). Les Touchers en EPS : entre usages et réticences ? Revue Française de Pédagogie, 191, 73-87.

Magali Barrière-Boizumault, Geneviève Cogérino, 2010, Les touchers en EPS : catégorisation, croyances des enseignants et perception des élèves. In Actes du congrès de l’Actualité de la recherche en éducation et en formation (AREF), Université de Genève

Boizumault, M., Cogérino, G. (2016). Les communications non verbales des enseignants d’EPS en faveur de l’engagement et de la réussite des élèves. In Zanna, O., Veltcheff, C., Bureau, P.P. « Corps et climat scolaire », Dossier EP&S n°83, Edition EP&S, 93-97.

Barriere-Boizumault, M. (2014). Les communications non verbales dans les activités artistiques : expertise, croyances et mises en œuvre. In G. Cogérino . & M-C Garcia,. L'EPS face au Sensible et à l'Artistique, Editions AFRAPS, 31-48.

Boizumault Barriere, M., Cogérino, G. (2012). La mise en scène corporelle de l'enseignant d'EPS : les communications non verbales au service de l'efficacité de l'enseignant, STAPS, 98, 67-80.

 

 

Par fjarraud , le vendredi 22 avril 2016.

Commentaires

Vous devez être authentifié pour publier un commentaire.

Partenaires

Nos annonces