Bruno Devauchelle : Passer du cours à l'activité avec le numérique ? 

"Si le numérique ne transforme pas la pédagogie, il nous invite à la repenser en offrant des potentialités inaccessibles jusqu'alors". Oui, mais entre cet objectif et la réalité du cours il y a tout le poids des modes et celui encore plus lourd de la tradition. Bruno Devauchelle invite à réfléchir à ce que c'est qu'apprendre, et apprendre avec le numérique.

 

Le cours remis en question par le numérique ?

 

Tout enseignant fait en sorte que l'élève soit en "activité d'apprendre". En général, pour y parvenir, il fait un enseignement. A partir de cette formulation qui se résume à l'expression "faire cours", on peut tirer le fil logique qui associe plusieurs représentations de ce que cela signifie. Très souvent c'est le temps, le lieu, les outils, la personne, la matière, le programme, la place dans la progression et le niveau de classe qui déterminent ce fameux cours. Et bien évidemment, à l'intérieur de ce cadre, il y a la pédagogie et la didactique, le moteur de la transmission. Le langage courant a assimilé, à tort, transmission à magistral, et dans la suite logique, le cours à la situation magistro-centrée, montrant là encore, comment l'expression "faire cours" peut embarquer d'imaginaire et de réel... Car effectivement ce modèle magistral est celui qui est dominant dans les esprits mais de moins en moins dans le quotidien de l'enseignement.

 

Les mises en cause de cette manière de "faire cours" sont de plus en plus nombreuses. Les classes inversées, dans leurs multiples modalités, ne font rien d'autre que d'inviter à repenser l'activité de l'élève en classe. Plus largement, et en particulier dans l'enseignement supérieur, le questionnement sur les manières de "faire cours", se multiplient. L'utilisation quotidienne des ordinateurs portables par les étudiants pendant les cours est de plus en plus une interrogation pour des enseignants : que font-ils derrière leurs écrans ? Quelles activités ont-ils en cours ? Celles-ci leur permettent-elles d'apprendre ? Si l'on en juge par quelques commentaires parfois acerbes d'enseignants, ils ne sont plus "présents" au cours mais sont dans plusieurs activités en même temps, dont certaines sont très éloignées de l'intention enseignante.

 

Quel espace pour le numérique ?

 

Dans l'enseignement primaire et secondaire, l'usage des ordinateurs et tablettes semble rester sous le contrôle et la direction de l'enseignant. Cependant de nombreux témoignages semblent confirmer que c'est le smartphone qui petit à petit grignote l'activité, l'intention et l'attention de l'élève. Parfois hors de contrôle de l'enseignant, ils rentrent petit à petit dans le paysage de la classe et s'intègrent même à l'activité du cours lorsque celui-ci observe et reprend les attitudes spontanée des élèves pour en faire un plus pour l'apprentissage. On observe aussi, dans de nombreuses situations pédagogiques actuelles, la transformation de l'espace. La mise en activité semble alors différente : plus de possibilité de travail de groupe et d'autonomie moins d'activités de type réception, exercice solitaire. Si l'enseignant délègue à la tablette ou à l'ordinateur la conduite de l'activité de l'élève, alors il ouvre des possibilités d'accompagnement différentes et donc d'organisation de l'espace. Attention, il ne suffit pas de changer l'organisation de l'espace pour changer l'activité des élèves, c'est celle-ci qui guide l'organisation. L'utilisation des moyens numériques au sein de l'espace classe est aussi contraignant, comme on l'a vu avec les salles informatiques qui, selon leur agencement apportaient de nouvelles contraintes, ou plus récemment avec des TBI qui finalement étaient des obstacles plutôt que des facilitateurs pédagogiques.

 

Il faut revenir à l'activité de l'élève qui apprend en distinguant ce qui se passe en classe et ce qui se passe hors de la classe. Si l'on s'en tient à l'enseignement scolaire, on s'aperçoit que ce point a été longtemps occulté comme objet de débat. Et pourtant les pédagogies dites actives n'ont pas manqué de rappeler combien il y avait de richesse dans la variété des activités. Cependant la forme scolaire a conforté dans l'imaginaire collectif le cours magistral suivi d'exercices, à l'école (rappelons-nous les fameuses études du soir) et à la maison. Monique Linard, dans un article publié en 2001 (voir ci-dessous) a rappelé le cadre théorique et montré comment technologies informatiques et activité allaient de pair. A la suite de son travail ainsi que de celui de nombreux chercheurs et pédagogues, et surtout de praticiens on peut apporter quelques éléments stables.

 

Quelles activités ?

 

Rappelons ici qu'apprendre ne se limite pas à mémoriser/restituer. Mais qu'apprendre c'est d'abord être en réception d'informations, puis en digestion d'informations, puis en assimilation de connaissances et enfin en mise en oeuvre des connaissances. L'apparente linéarité du processus présenté ici ne se voit pas de la même manière lorsque l'on observe un élève, un jeune ou un adulte qui apprend. Il faut aussi noter que parfois cela ne se voit pas. Il faut aussi "éliminer" des connaissances antérieures ou inutiles, ce qui fait aussi partie du processus apprendre. Apprendre est certes complexe mais on l'a souvent réduit à des formes simples en oubliant justement ce qui est "caché". C'est d'ailleurs une des raisons qui amènent à dire que la réussite dans les apprentissages scolaires dépend bien d'avantage de ce qui se passe hors classe de ce qui se passe en classe.

 

Rappelons ici que :

1 - Écouter, regarder, sont deux activités utiles.

2 - Prendre des notes, copier sont aussi des activités de celui qui apprend.

...Mais que l'on peut aussi

- faire réaliser une production individuelle ou collective à partir de supports;

- mettre en projet;

- faire faire des études de cas, analyses de situation, de pratique;

- mettre en place de la confrontation - controverse - délibération;

- organiser des débats argumentés, incluant échanges oraux ou écrits.

3 - Des activités de type classement, structuration, schématisation, mise en système sont très utiles.

4 - Il ne faut pas négliger la simulation interactive, ou encore les jeux (sérieux ou de loisir).

5 - Plusieurs disciplines invitent à l'expérimentation, investigation, problématisation.

6 - Des enseignants invitent à l'enquête, la résolution de problème.

 

Les formes de l'activité ne manquent pas, encore faut-il choisir celles qui sont pertinentes au bon moment (Biggs 2003). Si en plus les moyens du numérique s'ajoutent à ces choix pédagogiques, on peut envisager qu'ils enrichissent les moyens de l'enseignant en permettant :

1 - L’ouverture au-delà des limites, l’accès aux sources

2 - La production multimodale

3 - La diffusion sans intermédiaire

4 - L’échange, la communication, la collaboration

5 - La simulation, l’augmentation, la virtualisation

6 - La schématisation dynamique

7 - L’entraînement, la répétition,

8 - L’interactivité, la relation homme/machine,

9 - La guidance et la délégation du pilotage de l’activité

 

Dans quel contexte ?

 

Penser les "activités d'apprendre" plutôt que de penser "faire cours", c'est s'inscrire dans le renversement proposé depuis maintenant près de trente années : organiser l'enseignement à partir de ceux qui apprennent plutôt qu'à partir de ceux qui enseignent... Les sciences cognitives sont aussi sur cette analyse en allant dans une direction différente et complémentaire : apporter des connaissances sur le fonctionnement du cerveau de celui qui apprend. Certains auteurs ont, dans ce domaine, montré l'importance du contexte dans l'apprentissage. C'est pourquoi l'approche par l'activité ne peut se concevoir en tant que telle si elle ne rattache pas l'activité à un contexte, dont on sait qu'il est une des composantes essentielles du processus apprendre (cf les travaux de didactique professionnelle ou de psychologie fonctionnelle - cognition située).

 

Si le numérique ne transforme pas la pédagogie, il nous invite à la repenser en offrant des potentialités inaccessibles jusqu'alors. Encore faut-il savoir mettre à profit ce potentiel au-delà des modes et des effets de médias qui gâchent souvent le temps de l'analyse et de la réflexion au profit de celui du réflexe et de la popularité.

 

Bruno Devauchelle

 

 

Repères bibliographiques

L'article de Monique Linard : Monique Linard. Concevoir des environnements pour apprendre : l'activite humaine, cadre organisateur de l'interactivité technique. Sciences et Techniques Educatives, 2001, Environnements interactifs d'apprentissage avec ordinateur - EIAO'2001, 8 (3-4), pp.211-238.

Le livre de John Biggs : John Biggs, "Teaching for Quality Learning at University", Open University Press/McGraw Hill, 2003

 

 

Deux sites qui présentent des outils d'évaluation d'une activité d'apprentissage :
http://www.csrdn.qc.ca/discas/Apprentissage/activiteApprentissage.html
http://francois.muller.free.fr/manuel/creerdessituationsdapprentissage/cadre.htm


Par fjarraud , le vendredi 22 avril 2016.

Commentaires

Vous devez être authentifié pour publier un commentaire.

Partenaires

Nos annonces