Hervé le Treut : Comment enseigner le climat aux élèves ? 

Comment un enseignant de SVT doit-il s’y prendre pour enseigner le climat ? Quelle posture adopter face aux apprenants sur ce sujet de société ? Dans un entretien accordé au Café Pédagogique, Hervé le Treut, climatologue et directeur de l’Institut Pierre-Simon Laplace, conseille « de pas culpabiliser les comportements individuels aux jeunes âges ». Le chercheur invite les enseignants à « distinguer le prévisible de l’imprévisible dans l’évolution des systèmes naturels ». Le climatologue regrette aussi la méconnaissance des phénomènes scientifiques chez les décideurs qui conduit à accepter des arguments d’autorité.

 

Que reste-t-il de la COP 21 ? Comment poursuivre l’élan ?

 

De la conférence, il reste un texte onusien très important. Ce texte porte  une  utopie,  souligne l’importance des enjeux, et de ce point de vue j’aime bien le comparer à la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Le texte issu de la COP 21 engage la planète à se débarrasser de l’usage du charbon et du pétrole durant la deuxième moitié de ce siècle. Il est important de revenir en classe sur ce que signifient de tels enjeux et aussi de le relayer auprès des opinions publiques, des milieux économiques et financiers.

 

Je pense que des formations sont nécessaires, même pour des enseignants de SVT, pour bien décrypter l’accord de Paris. Les problèmes qui sont devant nous sont en mutation rapide et demandent une compréhension de fond qui permette de s’y adapter. Aujourd’hui, on émet beaucoup plus de gaz à effet de serre qu’il y a 20 ans ; il se stocke dans l’atmosphère et un retour en arrière est  impossible : il faut inventer le futur.

 

Le problème s’est aussi élargi : on doit parler de climat, d’environnement mais aussi de politique et de ressources. Par contre, il est inutile de stresser les enfants. Je pense qu’il faut éviter le caractère moralisateur presque catéchétique. Il faut plutôt leur apprendre à se confronter aux réalités et aux choix  inévitables. Il  est par exemple nécessaire de comparer les risques de l’énergie nucléaire et le risque climatique.  Dans tous les cas, les citoyens de demain doivent être capables d’argumenter et de maîtriser la variété des enjeux. Je le répète, il ne faut pas culpabiliser les comportements individuels aux jeunes âges.

 

Vous intervenez dans un colloque intitulé « Développement durable, changement climatique et éducation ». Quels étaient les objectifs du colloque ?

 

Le colloque organisé par l’Académie des Sciences sera l’occasion de faire un état des lieux et de consolider un partenariat avec l’Agence Française de Développement pour aborder une pédagogie qui s’inscrive l’espace francophone. Il y a beaucoup à faire. Il faut en particulier pouvoir passer aujourd’hui d’une vision globale du réchauffement climatique à des décisions régionales qui prennent en compte les problèmes socio-économiques et la protection de la biodiversité. Je suis optimiste : beaucoup d’outils peuvent aider, en particulier ceux qui sont associés à Internet, comme les Moocs.

 

Vous avez enseigné la dynamique climatique à Sciences Po. Quel regard avez-vous sur nos décideurs ? Pour quel niveau de culture scientifique ?

 

J’enseigne surtout dans des écoles scientifiques, et à l’UPMC. Mais je fais des interventions dans des contextes variés, à Sciences Po et aussi un peu partout en France. Le principal obstacle à des prises de décision éclairées est la faiblesse du processus de remise en question face à un contexte rapidement évolutif. Il y a toujours une difficulté à vouloir changer ses idées et un manque de compréhension de ce qui est en jeu amplifie cet effet. Une enquête de l’Ademe et Sciences Po réalisée par Daniel Boy chaque année depuis plus d’une décennie sur « les représentations sociales de l'effet de serre et du réchauffement climatique » indique que seuls 15% des personnes interrogées cite les gaz ou le CO2  comme cause de l’effet de serre.

On voit là une méconnaissance profonde des phénomènes scientifiques. Cette incompréhension de ce qu’est réellement l’effet de serre conduit souvent à accepter –ou à refuser– des arguments d’autorité.

 

L’évolution du climat est désormais enseignée dès le collège. Quels conseils donneriez-vous aux enseignants ? Quelle place accorder à la modélisation ?

 

C’est une très bonne nouvelle d’aborder ces notions dès le cycle 3. Je crois qu’il est important de croiser les regards et de mener des projets dits pluridisciplinaires. Les enseignants d’histoire-géographie, sciences physiques, philosophie et SVT bien-sûr peuvent apporter une dimension d’ouverture sur ces vastes sujets. Les EPI (enseignements pratiques interdisciplinaires), pourquoi pas ? Mais il faut alors en faire quelque chose de fondateur pour les apprenants.

 

Ce qui est fondamental, c’est d’apprendre à distinguer le prévisible de l’imprévisible dans l’évolution des systèmes naturels, à distinguer la part des risques et à inscrire ces connaissances dans un cadre large qui leur donne du sens : à quelle vulnérabilité sociale, économique, écologique ces risques renvoient-ils ?  Si l’on en revient à mon métier, les lois de la physique et les modèles qui en découlent doivent apporter un éclairage important, même s’ils ne disent pas tout. « Je lâche une balle de ma main : elle tombe ou pas ? Je mets du dioxyde de carbone dans l’atmosphère, conséquence ? ». Je parlerais ici de pédagogie éclairante, mais il faut aussi apprendre à la contextualiser.

 

Vous intervenez régulièrement devant des lycéens. Que ressort-il de ces rencontres ?

 

Toujours très heureux de pouvoir rencontrer des lycéens, je prends plaisir à me déplacer quand je le peux. J’apprécie le côté « page blanche » des élèves. Beaucoup sont avides d’apprendre et n’ont pas d’a priori très fort : c’est aussi une responsabilité pour les enseignants.  Pour eux, il est important de mettre un visage ou des visages sur les activités scientifiques. Il est essentiel de leur rappeler que le savoir se conquiert, que les chercheurs doivent en permanence s’informer et mettre à jour leurs connaissances.

Avec internet, il est aisé pour les jeunes de penser que tout le savoir est déjà disponible. Je leur rappelle qu’il y a encore beaucoup de questions à se poser et qu’on peut même en faire une carrière.

 

Comment s’est construite votre vocation scientifique ? Pourquoi le climat ?

 

En 1973, j’étais en terminale. Je me souviens très bien d’un débat organisé suite au premier sommet de la Terre de Stockholm en juin 1972. Cette table ronde dans mon lycée qui rassemblait différents enseignants et même l’aumônier m’a passionné. Est-ce à l’origine de ma vocation ? Je dirais rétrospectivement que cela a dû cristalliser quelque chose…  Sinon, j’ai toujours été passionné par la géologie, la paléontologie et la géographie. A l’école primaire, rechercher les fossiles en Charente-Maritime m’enthousiasmait. Après l’école normale supérieure en mathématiques et physique, je suis retourné vers les sciences de la planète.

 

Entretien par Julien Cabioch

 

Programme du colloque

Institut Pierre-Simon-Laplace

Le climat en questions

Enquête Ademe

Dossier Climat du Café Pédagogique

 

 

Par fjarraud , le mardi 15 novembre 2016.

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