La chronique de Véronique Soulé : " Les projets de Fillon sur l'école me terrorisent " 

Au Forum des enseignants innovants des 25 et26 novembre, j'ai interrogé des participants sur une victoire à la présidentielle d'Alain Juppé ou de François Fillon, à la veille du second tour de la primaire de la droite et du centre. Les réponses furent entre angoisse et (lourde) incertitude.

 

Je serai en première ligne

 

Maryse est professeure d'histoire-géo en collège dans la région Nouvelle-Aquitaine : " Je suis professeure d'histoire, je serai donc en première ligne. Fillon veut réécrire les programmes d'histoire pour construire un récit, un roman national. Or l'histoire est une discipline scientifique. Il affirme aussi que l'on n'étudie pas Voltaire à l'école, ce qui est totalement faux. Et cet homme veut gérer le pays !

 

Tout ça me terrorise et je ne le ferai pas. Pourtant, je suis plutôt quelqu'un de loyal à l'institution. Mais on ne peut pas me forcer à aller à l'encontre des mes convictions et de ce à quoi je crois, en matière de laïcité, de droits de femmes...

 

Je crois que nous devons développer l'esprit critique de nos élèves, ainsi que  l'ouverture d'esprit, défendre l'égalité filles-garçons, le respect des différences, le rejet de l'homophobie... Il ne s'agit pas de faire du prosélytisme mais on forme des citoyens. C'est le coeur de notre métier, le coeur de ma pratique. Les candidats de droite ont une vision d'une école déconnectée du terrain. 

 

La ministre de l'Education Najat Vallaud-Belkacem est venue hier au Forum. Elle a vu par exemple ce que l'on pouvait faire en classe media. Elle m'a semblé attentive, sensible à ce qu'on lui montrait. Toutes les innovations que nous sommes venus présenter, va-t-on pouvoir continuer à le faire ? "

 

Une école fantasmée

 

Julie est professeure de français dans le même collège : " En lettres, nous avons une grande liberté, nous pouvons choisir les oeuvres et la façon de les aborder. Allons-nous la préserver ?

 

C'est une école fantasmée que les candidats à la primaire renvoient. L'enseignement de la langue est primordial, disent-ils. Mais la séance de grammaire du matin n'est plus possible. Etudier la langue, oui, mais  au delà des  exercices à répétition cela passe par la lecture et l'écriture.

 

Si Juppé a défendu aussi ce genre de thèses, à mon avis c'est plus pour racoler. La politique scolaire dans sa villle de Bordeaux n'est pas du tout celle-là. J'ai des enfants qui sont scolarisés. Je suis satisfaite, il y a une ouverture à la culture dans les écoles bordelaises. "

 

Il faut voir sur le terrain

 

Guillaume est professeur d'EPS (Education physique et sportive) dans un collège de la Région parisienne : " Les deux candidats affichent des positions disons traditionnalistes. Philosophiquement et sur les valeurs, on a l'impression de ne pas s'y retrouver. Mais je le sais d'expérience : sur le terrain, ça peut être différent.

 

Dans mon collège, je mène des expérimentations et je ne suis pas vraiment soutenu par mon chef d'établissement qui estime qu'en sport, on doit se limiter à faire courir les élèves. La Mairie et le Conseil général, tenus par Les Républicains, ne m'ont jamais mis, eux, de batons dans les roues. Au contraire : le Conseil général a soutenu un projet que l'on a mené avec un collègue.

 

En revanche, avec une autre collègue, on avait imaginé un projet qui entrait parfaitement dans les priorités affichées par la ministre puisqu'il s'agissait de mixité sociale. Le ministère nous a soutenus, verbalement. Mais rien n'a suivi. Et finalement, on a dû renoncer. "

 

Les 39 heures oui si...

 

Daniel est professeur de technologie en collège dans la région Bourgogne-Franche-Comté : " Entre ce qu'ils promettent et ce qu'ils vont faire réellement, il faut voir. Ca peut ne pas être aussi terrible au final. On jugera sur le terrain.

 

Fillon dit qu'il va supprimer 500 000 postes de fonctionnaires. Est-ce qu'il va le faire ? Ils ont déjà promis tout ça... Mais quand ils verront le nombre d'heures qu'on fait déjà, ils réaliseront que ce sera très difficile.

 

Quant à nous faire passer à 35 heures par semaine de présence dans l'établissement,  je dis oui tout de suite, à condition de ne plus rien avoir à faire à la maison et de pouvoir travailler dans le collège, avoir un bureau, une bonne connexion internet... Et je pense que beaucoup sont comme moi.

 

Je suis moi-même déjà une victime des réformes. Au départ, je suis prof en ingéniérie mécanique. Mais quand on a réformé la filière STI (sciences et technologies industrielles), devenue la STI2D (Sciences et Technologies de l'Industrie et du Développement Durable), on n'a plus eu besoin de moi. Et j'ai été viré. Que peut-on faire contre ça ?

 

On m'a dit alors qu'il y avait de la place en collège et je me suis retrouvé prof de techno. Et je m'y plais. Je mène des projets avec les élèves à partir de jeux virtuels, je dois même les mettre dehors à la fin du cours..."

 

Prof 24 heures sur 24 

 

Claudine est professeure en lycée professionnel dans la région Nouvelle-Aquitaine :

" La ministre actuelle Najat Vallaud-Belkacem a montré un vrai intérêt pour notre filière professionnelle. Elle a un discours que j'apprécie et elle fait des déplacements dans des lycées pros, bien plus que  ses prédécesseurs. Si la droite gagne, c'est sûr que cela ne sera pas comme ça.

 

La droite, et notamment Fillon, ne jurent que par l'apprentissage. Les parents de nos élèves seraient sans doute d'accord. Ils sont généralement de milieux défavorisés et cela ferait une petite rentrée d'argent. Mais les entreprises ne prennent pas nos stagiaires. Remarquez, peut-être qu'elles en prendraient plus si la droite était au pouvoir.

 

Nous avons des jeunes qui arrivent souvent cassés. On essaie de les sortir de là. Mais en lycée pro, ils sont plus fragiles et moins matures que les jeunes en Centre de formation des apprentis (CFA).

 

A droite, ils ont aussi la vision du professeur qui ne fait pas grand-chose. Moi, je suis prof 24 heures sur 24. Je ne sais pas m'arrêter. Il m'arrive même de dire que je vais " sauver " ces jeunes, ce qui agace mes collègues.

 

Mes élèves ne sont pas plus faibles que les autres. Je dis qu'ils n'ont pas les mêmes chances. Quand je commence en début d'année, je demande toujours : " Qui prend un petit-déjeuner ? ", " Qui a une chambre chez lui ? ", " Qui dîne en famille ?". Certains rentrent le midi pour préparer le déjeuner des frères et soeurs.

 

En classe, mes élèves disent qu'ils sont " nuls ". Souvent le niveau scolaire est bas, et homogène. A ce propos, s'il y a une alternance à droite, que deviendront les efforts pour plus de mixité ? "

 

Véronique Soulé

 

Lire les précédentes chroniques

 

NB: Plusieurs des enseignants interrogés ayant demandé l'anonymat, nous avons utilisé des prénoms fictifs.

 

 

 

Par fjarraud , le lundi 28 novembre 2016.

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