La chronique de Véronique Soulé : Le pot de départ de Najat 

Publier une chronique le jour de résultats électoraux, dans une présidentielle aussi incertaine, franchement ça n'est pas un cadeau. On a toutes les chances de tomber à côté de la plaque. Ignorer l'actu et parler de toute autre chose ? Ca ne ferait pas un peu bizarre ? Devant ce dilemme, j'ai opté pour un sujet sûr : le départ  de Najat Vallaud-Belkacem de la rue de Grenelle. L'occasion de dire au revoir à une ministre vraiment sympa.

 

 Pour être honnête, c'est Najat Vallaud-Belkacem elle-même qui m'a soufflé l'idée. Vous en connaissez beaucoup, vous, des ministres qui invitent les journalistes à un pot de départ ? C'est rare, même rarissime.

 

Généralement, les ministres partent sans autre forme de procès. Soit ils ont décroché une promo et ils sont déjà tout entier dans leurs nouvelles fonctions où ils jouent gros. Soit ils sont débarqués lors d'un changement de majorité ou de gouvernement. Et là, ils ravalent leur amertume - c'est injuste, pensent-ils immanquablement – et ils n'ont aucune envie de parader devant la presse.

 

1 857 communiqués

 

Le 19 avril, les journalistes Educ ont reçu une invitation pour venir le 25 avril à midi  rencontrer une dernière fois la ministre sortante. Un " moment convivial " où ils pourront échanger avec Najat Vallaud-Belkacem sur ses deux années et demie passées rue de Grenelle.

 

L'invitation est rédigée sur un ton humoristique, rare en ces temps démoralisés et démoralisants. Le chargé de com y dresse le compte méticuleux de l'activité médiatique de cette ministre ultra communiquante :

- 79 conférences de presse tenues depuis sa nomination le 24 août 2014,

- 1 857 communiqués et dossiers de presse,

- 482 déplacements partout en France,

- 1 214 échanges " dans lesquels nous avons coopéré pour contredire les fausses informations qui envahissaient les réseaux sociaux ", etc.

 

Elle est quand même sympa, Najat Vallaud-Belkacem !, s'est-on exclamé en son for intérieur en découvrant le mail. Pas chichiteuse, simple, humaine, même s'il ne faut pas exclure tout calcul politique dans cette démarche conviviale, alors que souvent tout paraît si calculé chez les ministres et les hommes et femmes politiques.  

 

Polar

 

Ses deux prédécesseurs socialistes n'avaient pas eu de tels gestes. Nommé ministre le 16 mai 2012 après la victoire de François Hollande, Vincent Peillon n'avait pas été reconduit dans le second gouvernement Valls en avril 2014. Entretemps, il s'était embourbé dans la réforme des rythmes scolaires.

 

Tout à coup silencieux, fuyant la presse, il avait fait savoir par ses proches qu'il ne s'était pas battu pour rester, déplorant un manque de soutien et estimant ne plus avoir avoir les moyens de mener la Refondation. On lui prêtait alors l'idée de plaquer la politique et ses basses oeuvres, et de ne plus faire que philosopher.

 

On découvrit plus tard qu'il avait repris l'enseignement de la philo à Neuchâtel, en Suisse, et qu'il avait écrit un polar - pas mal ficelé selon les critiques. Plus récemment, on se souvient de sa réapparition ratée à la primaire de la gauche en janvier 2017 - il n'avait recueilli que 6,5% des suffrages.

 

Usinage

 

Benoît Hamon est un autre cas de figure. Il aurait été vain qu'en partant, il propose " un moment convivial " pour faire le bilan de son passage-éclair rue de Grenelle - 147 jours pile poil. Il restera dans les annales comme le ministre de l'Education qui n'a pas fait de rentrée - il partit un 25 août 2014. Participant à la Fête de la rose d'Arnaud Monteboug, il le suivit dans sa fronde contre François Hollande.

 

Après Peillon le visionnaire, Benoît Hamon se présentait comme " l'usineur " qui allait appliquer les réformes pensées par son prédécesseur. En fait d'usinage, il a poli vite fait quelques pièces en les éborgnant un peu au passage.

- Sur la réforme des rythmes scolaires si mal engagée, il a autorisé les écoles à arrêter les cours le vendredi midi. Un contresens par rapport au but de la réforme qui était d'étaler davantage les cours au fil de la semaine et d'atténuer la coupure du week-end.

- Il a lâché les " ABCD de l'égalité " contre lesquels défilaient les troupes de La Manif pour tous, promettant à la place un dispositif bien plus ambitieux de lutte contre les préjugés sexistes – essentiellement de la formation des enseignants.

 

Communication

 

Najat Vallaud-Belkacem était arrivée, modeste, souriante, lisse, presque neutre. Après Peillon le refondateur et Hamon  l'usineur, la nouvelle ministre suscita une attente plutôt bienveillante, mélange de perplexité et d'espoir.

 

On ne dressera pas ici un bilan détaillé de son action (1). Pour l'essentiel, elle n'a fait que suivre la ligne tracée par la loi de Refondation de juillet 2013, mettant en place plusieurs promesses avec un goût prononcé pour la communication. On finit par s'habituer à la voir et/ou l'entendre répéter et vanter à l'infini ses actions dans les medias – d'où les chiffres impressionnants sus-mentionnés de communiqués, de déplacements...

 

Mitigé

 

Najat Vallaud-Belkacem restera comme la première femme nommée au portefeuille de l'Education nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, et aussi sans doute comme une ministre appliquée, tenace et pleine de bonnes intentions, mais au bilan mitigé.

 

Quoiqu'on pense de la réforme du collège, elle manqua de doigté avec les enseignants et de concertation avec les syndicats. Sur des thèmes qui lui sont chers comme la mixité sociale dans les établissements, les expériences lancées ici et là en restent à des balbutiements.

 

Le principal objectif de la Refondation était de lutter contre les inégalités que l'école perpétue, voire creuse. Aura-t-on avancé durant ce quinquennat ? Comme Vincent Peillon, Najat Vallaud-Belkacem aime à dire que le temps de l'école n'est pas celui de la politique et qu'il faudra attendre pour mesurer l'impact des réformes. Mais beaucoup n'ont plus envie d'attendre.

 

Véronique Soulé

 

(1) Le bilan du quinquennat par François Jarraud

 

Les chroniques précédentes

 

 

 

Par fjarraud , le lundi 24 avril 2017.

Commentaires

  • alerteducation, le 25/04/2017 à 18:53
    Bilan plus que mitigé, certes! Par 3 fois la Ministre a été invitée à des rencontres internationales de la plus haute importance ( Heraklion, Bruxelles, Amsterdam), dont j'ai été informée et auxquelles j'ai participé. Par 3 fois elle a décliné l'invitation et n'a délégué aucun collaborateur! A croire que l'on peut transformer notre système obsolète sans s'inspirer de ce que nous apprennent ceux qui réussissent mieux. Prenons la "mission STEM France", lancée en Août 2015 à l'initiative de 2 ministres (Economie, Education) et un Secrétaire d'Etat (Recherche et Enseignement Supérieur), tout prête à penser que l'instigateur en était Emmanuel Macron, car depuis son départ de Bercy, elle est devenue lettre morte.

  • bapt08, le 24/04/2017 à 12:00
    Je vous renvoie à votre article Quel avenir pour le lycée professionnel ? du 20 janvier 2017. pour conclure celui-ci

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