Bruno Devauchelle : Les parents, l'école et le numérique 

Les lignes de fractures entre le monde scolaire et la société qui l'entoure passent aussi par l'attitude éducative des parents. La question des médias et du numérique nourrit cette chronique depuis près de trente années. Au moment où certains parlent d'autorité de l'adulte en oubliant trop souvent d'en faire une analyse approfondie, il est intéressant de se pencher sur l'amont de l'autorité dans la relation dissymétrique adulte / jeune. Qu'en est-il de l'autorité lorsque des personnes publiques assument leurs comportements aussi déviants soient-ils aussi bien dans le domaine financier, moral, que relationnel ? Qu'en est-il de l'autorité lorsque les relayeurs d'info (journalistes et autres utilisateurs des médias sociaux) se font les accompagnateurs voire les promoteurs de ces attitudes ? Peut-on avoir de l'autorité quand on bafoue publiquement l'autorité ? Peut-on avoir de l'autorité quand on commet, en famille, des "incivilités ordinaires" au volant par exemple ?


Autorité et exemplarité

L'exemplarité peut sembler être une idée vieillotte, mais l'observation quotidienne conforte l'idée (chère à Albert Bandura) que l'apprentissage par observation / imitation est une des modalités importantes du développement intellectuel, cognitif et affectif de l'être humain. Il n'y a pas de raison que l'usage du numérique échappe à cette modalité. Mais ce qui est important ne se limite pas au geste. Il faut englober le contexte et l'intention du geste ainsi que les cadres de référence de ces actions (culturels, moraux, éthiques etc.…). Je n'imite pas pour imiter, mais j'imite parce que l'action que j'imite a une véritable valeur pour celui que je regarde.

Ainsi lorsque, parent, je suis à table en famille et que je regarde mon smartphone, je signifie une priorité qui dépasse simplement le ici et là. Il y a dans ce geste un signe de séparation, peut-être même de rejet de ce qui entoure celui qui le commet. Pour les autres qui l'entourent, le geste a un sens bien supérieur à celui qui sera revendiqué par celui-là même qui l'a effectué. D'un geste simple, on passe à un geste symbolique porteur d'un imaginaire fort et d'une vision culturelle spécifique. Les enfants dans la famille sont très attentifs à ces signes qui marquent jusqu'à l'identité familiale.

L'interrogation constante des enseignants (relevée aussi dans de nombreux propos et écrits) à l'égard des modes d'éducation familiaux est un indicateur fort d'une distance qui se creuse entre deux espaces de vie. Paradoxalement les médias (de flux surtout, mais aussi interactifs) s'appuient sur un ensemble de moyens publicitaires pour assurer leur pérennité. Mais les contenus publicitaires sont aussi des "exemples", parfois même des "normes" qui s'imposent progressivement à tous. Ainsi certains exemples de modèles comportementaux échappent aux éducateurs, parents, enseignants. Et pourtant ils sont indirectement portés par les médias de flux et interactifs à partir desquels ils se financent. Il y a bien là une tension qui s'instaure.

Les moyens numériques disponibles prolongent et élargissent la palette d'exemples donnés à voir, aussi bien aux jeunes qu'aux adultes. N'avez-vous jamais été choqué par ces publicités qui s'imposent sur l'écran de votre téléphone et qui sont en total opposition avec les contenus auxquels vous accédez (exemple d'une publicité pour des nourritures alors qu'on veut lire un article sur la sécheresse dans les pays du sud et la malnutrition).


Déplacement des formes d'autorité

L'Ecole a historiquement et c'est présent dans l'imaginaire collectif un pouvoir, en particulier pour "modeler les jeunes". Le Cinéma, puis la télévision et désormais Internet portent aussi un pouvoir imaginaire sur l'esprit de chacun. De la propagande à l'effet de la rumeur ou la réputation de masse, le sentiment d'un pouvoir caché est très souvent présent au travers des analyses et commentaires. Les réseaux sociaux numériques impressionnent aussi par leur "viralité". Ce simple terme est évocateur de ce soupçon de pouvoir caché qu'il contient. Depuis Edgar Morin et la "rumeur d'Orléans", mais aussi bien d'autres pratiques plus anciennes encore, on démonte la mécanique de ce pouvoir que MM Beauvois et Joule ou encore Baillargeon ont appelé la manipulation. Les parents sont eux-mêmes interrogés sur leur pouvoir qui s'oppose à celui de l'école. D'ailleurs les questionnements sur l'éducation familiale aux écrans devenus interactifs n'est pas nouvelle et les accusations sont nombreuses (cf. le rapport de l'académie des sciences sur le sujet).

Il est donc question désormais de pouvoir et d'autorité contestés, à en lire certains chroniqueurs et intellectuels. Il semble que c'est davantage dans le glissement progressif, le déplacement des formes de pouvoir et d'autorité au sein de chacun de ces quatre éléments (famille, école, médias, numérique) que se situe le problème. Il y a une sorte de décalage progressif des représentations mais aussi des actions. Pour ce qui est de l'informatique, la difficulté à en faire un élément de la culture ordinaire à l'école depuis plus de trente années en est une bonne illustration. Après la télévision que l'on avait laissée à côté de l'école (pour en faire parfois un bouc-émissaire), l'école a simplement oublié le déferlement de l'informatique et tenterait désespérément (?) d'en rattraper les effets. Si cela est constatable au vu des craintes émises par nombre d'enseignant, cela est contestable au vu de pratiques minoritaires, innovantes ou marginales qui elles, ne posent pas de problème. Les enseignants qui ont su resynchroniser l'acte éducatif scolaire avec le vécu éducatif réel réussissent en termes d'autorité et de pouvoir, pour la plupart. Mais resynchroniser ne signifie pas s'affilier, s'assujettir, adopter, généraliser, mais simplement permettre le lien éducatif.


Crise d'autorité ou décalage au monde ?

De ces glissements des pouvoirs et des autorités dans ces espaces, il convient de proposer une mise en lien éducatif. L'enseignant n'est le rival de personne et personne ne rivalise avec l'enseignant. C'est quand on le positionne comme tel qu'il perd son autorité. Il est d'abord le lien, l'alternative, l'autre possible offert aux jeunes. Qu'il utilise ou non le numérique n'est pas le problème principal. Le risque est l'ignorance et l'incompréhension de ce monde devenu progressivement envahi par ces moyens numériques. Une telle méconnaissance entraîne effectivement une possible méfiance et une possible défiance et surtout une absence de lien...

Lorsque des mondes qui se côtoient se désynchronisent dans leur relation au monde, il y a de fortes chances qu'il y ait un affrontement au moins symbolique. Notre société occidentale vit actuellement un moment charnière à cause de ce risque d'affrontement. Le monde scolaire, confronté à une évolution de société qu'il ne peut qu'accepter comme déjà là, illustre dans cette tension autour des objets numériques et de leur valeur aussi bien symbolique qu'éducative, ces décalages. Déplorer alors la lutte de pouvoir et la perte d'autorité c'est risquer de passer à côté d'un vrai projet pour l'école de demain et celle d'aujourd'hui.


Bruno Devauchelle


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Par fjarraud , le vendredi 05 mai 2017.

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