La chronique de V. Soulé : "Maitre +" ou CP à 12 ? Qu'en disent les profs ?  

Douze élèves en CP et en CE1 en éducation prioritaire : c'est la grande promesse d'Emmanuel Macron. Difficile d'être contre. Pourtant la communauté éducative ne marque pas (n'exprime pas) un enthousiasme débordant. Scepticisme face aux promesses ? Fatigue des réformes ? Nous avons voulu comprendre avec Francis Da Silva, directeur de l'école élémentaire Jean Moulin de Villiers-le-Bel (Val-d'Oise) classée en REP + (les Réseaux d'éducation prioritaire les plus difficiles).

 

L'école Jean Moulin est un bâtiment tout en long, de plain-pied, bordé par des barres d'immeubles. Elle accueille 260 élèves répartis dans 11 classes. Comme souvent à Villiers-le-Bel, les enfants viennent d'une multitude de pays : de Turquie et plus généralement du Moyen Orient, du Pakistan, d'Inde, du Cap-Vert, etc.

 

L'équipe enseignante est plutôt jeune, dynamique, ouverte aux projets. Souvent, en éducation prioritaire, les professeurs cherchent à partir et tournent beaucoup. A Jean Moulin, pas plus d'un enseignant change chaque année.

                  

L'équipe a discuté du projet d'Emmanuel Macron de limiter à 12 les CP et les CE1 en éducation prioritaire. Et pour cause : l'école est directement concernée. La mesure, qui s'appliquera progressivement, devrait en effet se mettre en place dès cette rentrée dans les classes de CP en REP +.

 

Rêve

 

" Enseigner à 12 élèves au lieu de 20, c'est le rêve pour un professeur ", explique Francis Da Silva. En partie déchargé en tant que directeur, il enseigne à mi temps en CM2.

 

Mais est-ce faisable concrètement ? Et est-on sûr que ce soit si profitable aux élèves, en tout cas davantage que le dispositif " Plus de maîtres que de classes " lancé sous le précédent quinquennat et mis en oeuvre à Jean Moulin ?

 

Durant la campagne, Francis Da Silva avait voulu en savoir plus et avait envoyé un mail à l'équipe Macron. " Et si l'école est trop petite pour ouvrir des classes en plus ? ", avait-il demandé. Ne vous en faites pas, l'avait-on rassuré en substance, il pourra y avoir deux enseignants dans la même classe.

 

" Or, dans ce cas, souligne le directeur d'école, ce n'est plus le même projet. Avec deux professeurs dans la même classe, on fait du co-enseignement, de la co-intervention. Cela ne s'improvise pas. Et on retombe sur ce que fait déjà le maître surnuméraire dans le cadre du Plus de maîtres que de classes. "

 

Ecriture

 

L'école Jean Moulin appartient à l'un des deux REP + choisis dans le Val-d'Oise pour expérimenter dès 2013 le Plus de maîtres que classes. C'est donc la quatrième année que Jean Moulin a une enseignante sans classe attitrée qui accompagne des projets.

 

L'essentiel du temps, l'enseignante surnuméraire travaille avec le cycle 2 - les CP, CE1 et CE2. Et les 25% du temps restants avec le cycle 3 - les CM1, CM2 et 6è. Elle vient en soutien essentiellement lors d'ateliers d'écriture, au coeur du projet d'école.

 

" C'est un dispositif très intéressant, explique Francis Da Silva, durant ces ateliers, les enseignants peuvent se retrouver à trois : l'enseignante surnuméraire s'occupe d'un groupe, la professeure titulaire prend le temps d'expliquer à des élèves ayant des difficultés et enfin la RASED (enseignante spécialisée), basée dans l'école, s'occupe de ceux en grandes difficultés. "

 

Réussite

 

Pour l'équipe, le bilan est largement positif. " Dans les évaluations de nos CP, les progrès sont manifestes, assure Francis Da Silva, la première année, en production d'écrits, le taux de réussite était de 43% . La troisième année, il avoisinait les 51%. "

 

Pourquoi dès lors laisser tomber ce dispositif au profit du 12 élèves par classe ? C'est la questions que l'on se pose à Jean Moulin.

 

" On aurait bien continué un dispositif qui fonctionne, reconnaît le directeur, en plus cela a représenté un investissement de l'équipe, avec du temps de travail pour mettre au point la co-animation dans les classes. "

 

Salles

 

A Jean Moulin, il sera possible de trouver deux salles pour ouvrir deux nouveaux CP à 12 élèves - " On préfèrerait à 13, précise le directeur. Car 4 CP resteraient en dehors et il nous faudrait alors avoir un double niveau avec des CE1, qui serait trop déséquilibré ".

 

Mais cela se fera au détriment d'autres dispositifs. Il faudra prendre la salle réservée à l'UP2A (unité pédagogique pour les élèves allophones arrivants) qui accueille les enfants étrangers. Avec leur enseignante qui vient deux jours par semaine, ils iront alors dans la bibliothèque qui devra être réaménagée.

 

L'autre salle récupérée est une salle de réunion qui sert actuellement aux activités périscolaires, notamment pour ranger le matériel des animateurs. Ils devront se replier dans le préau.

 

Flou

 

Tout cela reste encore flou. Que va devenir l'enseignante surnuméraire dont le poste devrait disparaître ? Pourra-t-on faire des CP à 13 élèves ? N'y a-t-il pas un risque que l'on charge plus les classes supérieures ? ...

 

Il reste aussi un détail à régler, peu évoqué. Avec 2 CP en plus, l'école Jean Moulin comptera 13 classes. C'est au-dessus du seuil de 12 à partir duquel le directeur est totalement déchargé d'enseignement. Il faudra alors trouver un demi poste en plus...  

 

Francis Da Silva reconnaît que " personnellement, s'il avait dû choisir, il  aurait gardé  le Plus de maîtres que de classes. Car on sait que c'est efficace."

 

Regret

 

A l'instar de nombreux enseignants, le directeur exprime surtout un regret : " On enchaîne les réformes, on en lance de nouvelles et on en abandonne d'autres sans même les avoir évaluées. Le système n'arrive pas à se stabiliser alors qu'il en aurait bien besoin."

 

Et ce n'est pas fini. Avec la liberté que le nouveau chef de l'Etat veut laisser aux communes pour décider des rythmes scolaires, ça risque de tanguer encore.

 

A Villiers-le-Bel, on vient d'apprendre que la ville voisine de Garges-lès-Gonesse veut arrêter les activités périscolaires tout en gardant les mêmes rythmes scolaires, qui sont différents de ceux de Villiers-le-Bel, ville qui, elle, gardera les activités périscolaires gratuites qu'elle s'est donné tant de mal à mettre en place ...

 

Véronique Soulé

 

La pétition pour le maintien des maitres +

 

Lire les précédentes chroniques

L'analyse de François Jarraud : Les six travaux d'Emmanuel Macron

Le programme Education du candidat Macrn

Rappel : la réforme des Réseaux d'éducation prioritaire

Et sur le dispositif Plus de maîtres que de classes

Les maitres surnuméraires et Macron

Maitre + portrait

 

 

Par fjarraud , le lundi 22 mai 2017.

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