Cyril Mistrorigo : Ciel ! Des robots en cours de français ! 

Les robots vont-ils nous envahir ? La question parait relever de la science-fiction, un genre au programme de 3ème via le thème « Progrès et rêves scientifiques ». Professeur de lettres au collège d'Egletons en Corrèze, Cyril Mistrorigo ne s’est pas contenté de l’aborder : il a amené ses élèves à programmer des minirobots pour leur faire suivre le parcours d’un héros dont ils ont imaginé l’odyssée interplanétaire dans une rédaction. La séquence s’avère très riche tant, par-delà l’intérêt et le plaisir du codage, elle met en jeu bien des valeurs et des dispositifs susceptibles de stimuler les apprentissages, de revisiter la littérature ou de créer du débat : créativité et collaboration, interdisciplinarité, communication via les réseaux sociaux, utilisation des appareils numériques des élèves … Bilan par une élève : « On avait des règles, on était encadrés, mais le fait de vraiment pouvoir s’exprimer était intéressant : M. Mistrorigo nous laissait libres de nos choix ».

 

La séquence porte sur un projet de création autour de la science-fiction : pouvez-vous en éclairer les principales étapes ?

 

Pour faire simple, les points clefs de cette séquence sont les séances de programmation des robots ainsi que le débat sur le progrès scientifique. Dès le début de la séquence, les élèves ont su que l’un des sujets de rédaction comportait la programmation de robots qui allaient jouer le rôle de leur héros ou héroïne (mais le codage allait de toute façon être pratiqué par tout le monde). Le travail d’écriture devait présenter des liens avec l’Odyssée (importance des LCA en cours de Français) ; en effet le héros ou l’héroïne tente de retrouver sa planète et croise sur son trajet des lieux et des ennemis qui font référence à ceux de l’œuvre d’Homère.

 

Comment les mini-robots s’intègrent-ils aux activités de français ?

 

Il y a eu en fait deux travaux en lien avec les mini-robots. Le premier était une évaluation autour d’un récit oral : les élèves n’avaient droit qu’à une seule écoute d’un texte et ils devaient reproduire le trajet exact de l’histoire (trois niveaux étaient disponibles). On a pu constater à cette occasion que se révélaient des élèves souvent effacés. Le codage a permis ici de redistribuer les cartes scolaires habituelles.

 

Le second travail était celui de la programmation en lien avec les textes créés par les élèves eux-mêmes. Ils ont dû schématiser leur récit, insérer les quatre maquettes qu’ils avaient créées avec le plasticien Maxime Thoreau, sous le regard bienveillant de leur enseignante d’Arts plastique Isenau Bellintani. Certains se sont mêmes pris au jeu d’illustrer, de colorier et donc de s’approprier pleinement ce parcours.

 

De quel matériel disposez-vous ?

 

Nous avons travaillé avec des Ozobots : les raisons ont été évoquées par le DANE adjoint de l’Académie de Limoges, François Coutarel, un ancien enseignant de SVT. Cet homme fait partie de tous ces membres de l’Education nationale qui opèrent dans l’ombre, vous ouvrent des portes, vous donnent des clefs et vous encouragent, en toute humilité : une perle, quoi. Les Ozobots sont moins chers que d’autres robots, surtout pour le déploiement qu’a permis la DANE de Limoges (270 robots prêtés dans toute l’académie, de la maternelle au secondaire).

 

Comment s’opère le travail de programmation ?

 

Le travail de programmation a été appris via un tutoriel d’utilisation des Ozobots, qui a été consulté en amont de la première séance. Lors de cette séance, qui était censée être un travail à réaliser tout seul, certains élèves ont demandé de l’aide, et très rapidement, des camarades, qui avaient déjà terminé leur activité, ont spontanément proposé leur soutien. J’ai laissé faire, puisqu’il s’agissait là d’une forme de coopération. Et très vite, la notion de travail personnel et isolé s’est effacée au profit d’une réflexion de groupe, ce qui est bien plus important à mes yeux, surtout pour des graines de citoyens.

 

Et c’est exactement ce qui s’est reproduit lors de la seconde séance de programmation. Les élèves qui avaient choisi le sujet nécessitant le codage ont créé des équipes pour les aider à mettre en place leur parcours, et chacun s’est engagé à une place qui lui convenait et dans laquelle il se sentait utile. Les programmateurs ont donc été ces élèves, habituellement en retrait, mais tenant un rôle capital, et sans aucune gêne.

 

Quels vous semblent les intérêts d’intégrer au français un tel travail avec des robots ?

 

Travailler avec des robots dans le cadre de la Science-Fiction paraît presque évident. Entre vaisseaux spatiaux et humanoïdes, ils avaient déjà pris une place particulière dans nos discussions. En outre, ils figuraient concrètement, à petite échelle, les moyens de mobilité des héros ou héroïnes.

 

Mais ce n’est pas tout. Le codage, comme l’esprit critique, l’EMI, etc. sont des entrées qui permettent de faire oublier aux élèves les disciplines telles qu’ils ont l’habitude de les voir, et, souvent, de les tenir à l’écart. Ces robots ont été un véritable détournement pédagogique pour revisiter l’Odyssée, découvrir Bradbury ou Orwell, relire Verne ou Barjavel ; et créer du débat, du dialogue, du lien entre élèves.

 

Le travail présente une dimension interdisciplinaire : selon quelles modalités et avec quels profits ?

 

Le travail en projet me paraît de plus en plus nécessaire. Un élève peut passer 50 minutes sur le système solaire, puis 50 minutes sur Louis XIV, puis 50 minutes sur le plus-que-parfait, puis 50 minutes sur le calcul de l’aire d’un triangle, et tout ça dans la même matinée, sans aucune cohérence des apprentissages entre eux, mais avec la même exigence d’efficacité de la part des quatre enseignants qu’il aura croisés.

 

Les projets permettent de poser le temps sur une voire plusieurs journées, et permettent de créer du sens à des disciplines qui trop souvent se côtoient sans se parler. Grâce à l’invitation de notre enseignante d’Arts plastique, nous avons eu la même classe, pendant une journée, et nous étions quatre : le plasticien et trois professeurs. Imaginez le soutien pour les élèves et le plaisir pour nous.

 

Le collège invite souvent au cloisonnement puisque les enseignants sont spécialistes de leur propre discipline mais ne transposent que rarement leur savoir-faire à une autre matière. Et pourtant, les élèves ont besoin que ce qu’ils apprennent aille dans le même sens, que cela fasse sens.

 

Du début à la fin de la séquence, vous semblez essayer de motiver le plus possible les élèves : par quels moyens ?

 

Le fait de partager le projet en ligne a beaucoup profité à la classe. Ils savaient que les travaux auraient comme destinataire, non plus leur enseignant, mais le monde en ligne, ce qui est beaucoup plus intéressant. Et c’est en regardant des projets comme i-voix notamment, que l’on peut comprendre qu’il y a dans les outils de partage, et principalement les réseaux sociaux, qu’ils utilisent, un enjeu quant à la motivation des élèves.

 

Et puis, j’ai fait pas mal de sports collectifs plus jeune, alors on applaudit, on crie, on sautille, on rit, on se motive. On forme une équipe.

 

Les élèves sont amenés à utiliser parfois leurs propres smartphones dans la classe : pourquoi ce choix ? cet usage des appareils personnels pose-t-il des difficultés ? comment les avez-vous résolues ?

 

Le smartphone est extrêmement pratique, surtout quand il manque du matériel. Les élèves connaissent parfaitement les manipulations à faire, et je vois qu’ils comprennent sans aucun problème que cela représente un enjeu en terme d’efficacité et d’ouverture sur le monde.

 

En fait on ne fait que transposer les situations qu’ils vivent dans la rue ou chez eux à l’intérieur de la classe. On utilise parfois le réseau du collège, qui est sécurisé, et parfois non, car on a besoin d’aller plus loin. J’ai remarqué d’ailleurs que dans le cadre d’un projet et quand on donnait de l’importance à ceux qui utilisaient leur téléphone, il n’y avait aucun abus. Et puis, y a-t-il une façon plus logique de parler des droits, des risques, des avantages de cet objet si ce n’est en s’en servant avec un adulte qui peut clarifier tout cela ?

 

Au final, quels autres usages des robots pensez-vous possibles en cours de français ? Quels conseils donneriez-vous à des collègues tentés d’utiliser eux aussi des robots dans leurs cours ?

 

Avec des 5èmes, nous avons déjà travaillé autour de la grammaire. La grammaire, c’est le côté scientifique et mécanique de notre discipline. Nous avons expérimenté les robots pour montrer ce qui devait se passer au niveau de notre raisonnement quand nous voyions l’auxiliaire être ou l’auxiliaire avoir dans le cadre du participe passé. C’était assez amusant. Et ça dédramatise les règles, l’orthographe, le correct.

 

Et pour les collègues qui sont intéressés, la meilleure salle des profs pour en parler, comme le disait l’IAN de Lettres de l’Académie de Caen, Grégory Devin, c’est Twitter. Il y aura toujours quelqu’un pour vous aider, vous orienter vers un tutoriel, imaginer un défi en ligne interclasse et interacadémie.

 

Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut

 

Une production d’élève en vidéo

Interview de l’élève sur le travail mené

Présentation des différentes étapes de la séquence

Un bilan en vidéo par Cyril Mistrorigo

Présentation du travail en arts plastiques

Les écrits des élèves sur Padlet

Le site de Cyril Mistrorigo

 

 

 

 

Par fjarraud , le lundi 29 mai 2017.

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