Meirieu : Quel avenir pour l’innovation dans l’Ecole ? 

"Les neurosciences ne feront jamais la classe !" Il faut oser le dire dans le contexte actuel que Philippe Meirieu rappelle : celle d'un ministre de droite qui se présente comme innovateur. C'est l'occasion pour P Meirieu de revenir sur ce qu'est l'innovation pédagogique et sur les rapports entre enseignants innovateurs, chercheurs et administrateurs.

 

L’émergence d’une nouvelle alliance

 

Nous voilà dans une situation paradoxale : un ministre issu de la droite et qui vient, successivement, de « cocher » la plupart des marqueurs de droite (la suspension de facto de la réforme des collèges et des rythmes scolaires, le « retour », au moins rhétorique, au redoublement, la dénonciation du « pédagogisme », etc.) apparaît, aujourd’hui, à certains innovateurs – pourtant, pour la plupart, de sensibilité de gauche – comme le garant de la possibilité de poursuivre, voire d’amplifier, leurs innovations. C’est, d’abord, le signe d’un rendez-vous manqué (ou presque) entre la gauche et l’innovation pédagogique, comme entre la gauche et les « militants pédagogiques ». Les quelques sursauts dans ce domaine ne sont apparus que dans les derniers mois de la précédente mandature, après une période d’assez grande indifférence.

 

C’est, évidemment, lié aussi à la personnalité et à l’action du nouveau ministre dans ses fonctions antérieures : en Guyane comme à Créteil, il avait « sanctuarisé » quelques innovations emblématiques ; à la DGESCO, il avait soutenu plusieurs opérations pour valoriser les innovateurs. Mais, c’est aussi, et surtout, le signe d’une alliance politique nouvelle qui s’ébauche, très caractéristique de la « macronie », entre le libéralisme et l’innovation : le « service public » est, certes, considéré comme un « filet social » indispensable, mais c’est dans ses marges ou à l’extérieur que l’on identifie, repère et soutient ceux et celles qui font progresser le système et préparent le futur.

 

Certes, l’histoire de la pédagogie nous montre que ce n’est pas toujours faux… même si Jules Ferry et Ferdinand Buisson ou bien Jean Zay ont pu démontrer que le contraire était possible. Mais c’est aussi le signe d’un terrible renoncement et d’un grave danger pour l’avenir. Renoncement à une transformation pédagogique du système par les acteurs du service public lui-même, assignés, au mieux, à singer les « expériences » qui auront réussi à l’extérieur.

 

Danger de constitution d’un double réseau : un réseau « dynamique » mais marginal et un « réseau technocratique » central. Le premier aura toutes les attentions des médias car il apparaîtra comme « libéré », le second, lui, traînera l’image de « sclérosé ». Le premier sera encouragé et évalué a posteriori, le second administré, suspecté et contrôlé en continu. Le premier attirera dans ses filets les « héritiers » de toutes sortes (intellectuels, écologistes, adeptes de la spiritualité orientale, afficionados d’une vision « naturaliste » de Montessori, ou demandeurs d’une « discipline militaire » à l’école), le second récupèrera le « tout-venant ». On est bien loin de Célestin Freinet et de son projet d’une « école de l’excellence pour le peuple » !

 

J’exagère ? Evidemment ! Mais il faut parfois prolonger les courbes, même fictionnellement, pour en percevoir le sens et avoir le temps de les inverser. Il est donc essentiel, à mes yeux, plus que jamais, que toutes les enseignantes et les enseignants du service public, à travers leurs organisations professionnelles comme leurs associations, s’emparent, dans le quotidien de leurs pratiques, de la recherche pédagogique et en deviennent les militants obstinés.

 

Innover dans le service public : un parcours du combattant ?

 

On connaît bien tous les obstacles à l’innovation dans le service public. On sait à quel point les innovateurs sont souvent en situation difficile. Soutenus par une partie de la hiérarchie et regardés par une autre comme de dangereux hurluberlus… S’appuyant sur des textes officiels qu’ils prennent au pied de la lettre quand les sceptiques professionnels attendent prudemment les instructions suivantes… Sommés de prouver le bien-fondé de leurs initiatives et de justifier de 100 % de réussite quand leurs collègues installés dans la routine ne sont guère interrogés sur leurs méthodes ou leurs résultats… Attachés au statut de la fonction publique et ne comptant pourtant ni leur temps – ni, parfois, leur argent – pour promouvoir des pratiques qu’ils jugent indispensables, au risque de se faire accuser d’œuvrer en sous-main pour leur promotion personnelle… Bref, innover aujourd’hui, dans l’institution scolaire, n’est pas de tout repos !

 

Le pédagogue que je suis avoue d’autant plus volontiers une forme d’affinité précritique avec les innovateurs. C’est qu’il sait la dose de courage et de générosité qu’il leur faut. Comme l’obstination tranquille dont ils doivent se doter. Et un peu d’indifférence aussi, face à tous les sarcasmes qui les menacent, tout comme aux éloges inconsidérés dont ils peuvent parfois faire l’objet. Pour innover, il faut apprendre à faire son chemin sereinement, attentif à ce que l’on fait, mais résistant aussi bien aux attaques polémiques qu’aux emballements médiatiques. Le véritable innovateur est besogneux et modeste. Il travaille à son établi comme un artisan scrupuleux, avec cette « patience d’atelier » dont Alain faisait une des vertus cardinales de l’éducation. Il n’est pas sourd aux interrogations de ses collègues et de son institution, mais il les intègre dans son exigence propre, cette exigence qui le porte, le pousse à chercher toujours plus de précision, de justesse et de vérité, l’invite à faire preuve de créativité sans jamais, pour autant, abandonner les contraintes du « réel ».

 

Car l’innovateur sait, comme l’ébéniste ou le ferronnier, que « faire avec » est la seule manière de « faire quelque chose ». Il rêve, parfois, de pouvoir abolir toutes les contraintes, mais se réveille tous les matins les mains dans le moteur et passe sa journée à effectuer ces minuscules réglages que la mécanique impose. Il vit souvent d’utopie, se prend à imaginer une École enfin libérée des fonctions sociales de gardiennage et de sélection, émancipée des découpages disciplinaires et des emplois du temps arbitraires, mais sait qu’il est assigné à bricoler dans les interstices, à rendre possibles des moments d’émancipation furtive et à faire reculer, pied à pied, toutes les formes de fatalité. Il se voit parfois, dans ses moments de songerie militante, « en majesté », ayant transformé totalement l’institution scolaire : il puise là l’espérance et l’énergie nécessaires pour reprendre tous les matins le chemin de l’école. Mais, dès qu’il franchit la porte de la classe, il redevient un ouvrier méthodique, attaché au moindre détail susceptible de rendre plus juste le fonctionnement de « la machine-école ».

 

Les chercheurs au côté des innovateurs

 

Autant dire que cet innovateur doit inspirer de la sympathie et même – osons un mot interdit à l’université – de la tendresse aux chercheurs. Non pas une tendresse condescendante, qui ne s’exprime que pour mieux exclure l’autre du « cercle de la raison », mais une tendresse pétrie de solidarité, de reconnaissance et d’exigence réciproque. Là, en effet, est le sens profond du travail de « chercheur en pédagogie ». Il ne donne pas de leçons, il n’excommunie rien ni personne, il ne prétend nullement dicter les « bons comportements pédagogiques » : il engage le dialogue.

 

C’est que les relations entre le praticien et le chercheur ont rarement été des relations de dialogue authentique. Entre le « praticien suffisant » et le « chercheur en surplomb », entre celui qui « sait ce qu’il faut faire » - puisqu’il le fait tous les jours ! - et celui qui « dit ce qu’il faut faire » - puisqu’il passe son temps à étudier ce que font les autres ! -, on revisite sans cesse l’histoire de l’aveugle et du paralytique… avec un aveugle qui continue à errer dans l’obscurité et un paralytique condamné à l’immobilité ! L’action sans lumière d’un côté, la lumière sans action de l’autre. Et, au bout du compte, un arbitrage institutionnel aléatoire, au gré des idéologies dominantes et des modes managériales en vigueur.

 

Sortons enfin de ce face-à-face – qui, parfois, se fait corps-à-corps – et fondons un dialogue authentique. Un dialogue où ce n’est pas la suspicion réciproque, mais la solidarité réciproque qui fonde l’échange : « C’est parce que je suis solidaire avec toi que je t’interroge. Parce que, comme toi, je veux faire reculer l’échec, que je peux t’aider à y voir plus clair dans tes pratiques. Parce que, comme toi, je possède des informations que tu ignores, que je peux interroger les modèles théoriques que tu me proposes. Et c’est parce que nous sommes capables d’entendre nos questionnements respectifs que nous pouvons avancer ensemble ». Là est la pierre de touche. Là est la condition de relations saines entre enseignants-chercheurs universitaires et enseignants-chercheurs du primaire et du secondaire : car les uns et les autres ne peuvent nourrir leur engagement dans l’enseignement que par un investissement dans la recherche… recherche académique pour les universitaires, recherche professionnelle plus que jamais indispensable tant dans le primaire que dans le secondaire. Et ici, comme partout ailleurs, il faut que les interlocuteurs se sentent, tout à la fois, assez semblables pour pouvoir communiquer sur des objets communs et assez différents pour avoir des choses à se dire et s’enrichir de leurs échanges.

 

Des alertes essentielles pour les innovateurs et pour les chercheurs

 

Dès lors, les innovateurs comme les chercheurs doivent pouvoir entendre quelques « alertes » essentielles qui ne sont en rien des « rappels à l’ordre » : que toute innovation n’est pas nécessairement un progrès et qu’on peut faire autrement sans faire mieux ; que beaucoup d’innovations ont un passé et qu’on gagne toujours à revisiter, sur ce sujet, l’histoire des doctrines pédagogiques dans sa dimension critique ; qu’aucune innovation ne peut se réduire à un slogan ni à une formule clé, et que, s’il est nécessaire de se référer à des principes, il faut toujours regarder ce qu’ils recouvrent réellement ; que chaque innovation doit être regardée de près et qu’il faut en élucider minutieusement les conditions de mise en œuvre au regard des objectifs visés ; que nous disposons de savoirs stabilisés à partir de recherches approfondies, mais que ces savoirs ne peuvent être « appliqués » mécaniquement, sans tenir compte du contexte ni prendre en compte les dimensions relationnelles qui échappent largement à toute quantification ; que le métier d’enseignant consiste à s’appuyer sur des propositions pédagogiques et didactiques, des savoirs issus de la recherche, mais aussi une observation minutieuse des situations, une capacité à saisir des occasions pour « agir dans l’urgence et décider dans l’incertitude », comme le dit Philippe Perrenoud. Car, disons le sans ambage : les neurosciences ne feront jamais la classe !

 

Ainsi, doit se développer une dynamique d’innovation essentielle pour notre École et pour l’avenir de nos élèves. Dans un dialogue ouvert entre « administrateurs », « praticiens » et « chercheurs » qui doit pouvoir s’incarner à tous les niveaux de l’institution scolaire et s’instituer au plus près du terrain. Un dialogue qui ne sera jamais clos. D’une part, parce que les « modèles pédagogiques », qui articulent des finalités, des apports scientifiques et des propositions pratiques, ne sont jamais définitivement stabilisés, d’autre part, parce que, si les praticiens progressent grâce aux recherches, la recherche progresse également grâce aux praticiens qui font évoluer les pratiques et offrent ainsi aux chercheurs de nouvelles occasions d’observation et de modélisation.

 

Mais ce dialogue doit surtout se poursuivre parce que les enseignants-chercheurs du primaire, du secondaire et du supérieur, avec leurs expériences et connaissances différentes, sont placés, les uns et les autres, exactement dans la même situation à l’égard de l’interrogation éthique qui traverse, consubstantiellement, toute activité d’enseignement qui se veut aussi éducative : comment transmettre et émanciper en même temps ? Comment réduire l’altérité en luttant contre l’échec scolaire et l’ignorance, tout en construisant l’altérité nécessaire à l’émergence d’un sujet, d’un citoyen ?

 

Nous voilà là devant un questionnement qui requiert une réflexion sur les valeurs et qui dépasse, de très loin, le seul registre de l’efficacité observable. Qui voudrait d’une « méthode » validée scientifiquement mais qui mettrait, « pour leur bien », les élèves sous emprise ou sous électrodes ? Mais j’exagère encore ! Personne n’y pense ! Certes ! Mais il faut néanmoins que quelques « mauvais esprits » continuent à poser cette question, au moins pour des raisons d’hygiène pédagogique : l’hygiène de la nécessaire inquiétude face à la montée de ce que Gilles Deleuze nommait « les sociétés de contrôle ». Des sociétés de la maîtrise absolue d’autrui. Des sociétés où la transmission ne s’accompagne plus d’une réflexion obstinée sur les conditions de l’émancipation. Des sociétés sans éducation, au bout du compte… Voilà peut-être, par les temps qui courent, quelques « évidences » qui devraient guider nos engagements.

 

Philippe Meirieu

 

 

 

Par fjarraud , le jeudi 06 juillet 2017.

Commentaires

  • Jeandoute, le 06/07/2017 à 11:57
    Meirieu et Plenel ont en commun notamment ce verbe hypertrophié. Comme les curés, voire les gourous. Ils appartiennent à la même église. Ils impressionnent les démunis en vocabulaire, un peu comme la pie se précipite sur tout ce qui brille. Mais Jésus nous rassure : "Heureux les pauvres en esprit, le royaume des cieux est à eux".

    Les neurosciences nous apprennent sur le fonctionnement de la boîte noire. Ce n'est pas rien de sortir de l'obscurantisme. N'importe quel praticien doit connaître les avancées dans son domaine d'activité, sinon c'est une faute professionnelle. Ainsi, les neurosciences sont une strate sur laquelle s'appuie la pédagogie, ce n'est pas la pédagogie et c'est de mon point de vue une faute que de tenter de faire croire le contraire parce que ses croyances échafaudées depuis tant d'années, données (imposées ?) à partager, vacillent à l'automne de sa vie.
    • delboe, le 07/07/2017 à 11:12
      Si je vous suis, Monsieur Jeandoute, les neurosciences permettent d'accéder à la boîte noire, entre stimulus et réponse. Elles apportent donc une contribution qui (n') explique (que) les "comportements". L'éclairage est donc utile (et je ne pense pas que cela soit contesté ici), mais limité, car enseigner engage des alternatives qui ne peuvent être tranchées par une relation, même de plus en plus explicite, entre stimulus et réponse, éclairée par des connexions synaptiques. Vous parlez des neurosciences comme une « strate sur laquelle s’appuie la pédagogie ». Comment pouvez-vous hiérarchiser ces champs ? Comment considérer les neurosciences comme un préalable si elles ne sont qu’un moyen d’expliquer des comportements ? La logique serait alors : " Tiens, voilà la carte, tu sauras où aller... ". Voilà qui semble d'une grande naïveté, non ? Ou peut-être faut-il avoir enseigné pour en avoir conscience...

      Il est possible que nos conceptions éducatives se heurtent. Le "comportement" d'un élève-Assujetti ne doit pas être confondue avec la "conduite" d'un élève-sujet, qui risque d'échapper à l'ordre établi et à la normalisation. Les "conduites" d'un sujet émancipé invitent à considérer la transgression comme nécessaire dans l'acte éducatif, et certains peuvent y entrevoir du désordre et du danger. Différencier comportement et conduite n'est pas jargonner, Monsieur Jeandoute, c'est se donner les moyens de situer sa conception de l'Homme ; c'est aussi se mettre à distance de soi dans un métier où l'auto-évaluation n'est pas un choix mais une nécessité. L'enseignant n'est pas (qu') un technicien... Si vous le permettez, et sans vouloir vous être désagréable, j'explicite. Par exemple, votre comportement, Monsieur Jeandoute, consiste à remettre en cause la prose de certains collègues et, par métaphore interposée, vous les liez aux"pauvres en esprit" que vous n'êtes heureusement pas. Néanmoins, vos conduites plus ou moins rationnelles et conscientes (par définition, n’y voyez rien de personnel) restent inexpliquées dans votre propos. Peut-être est-ce mieux ainsi, et serait-il fort impudique de les mettre au grand jour, pour vous qui préférez rester anonyme (tout en dénonçant l'obscurantisme). Une conduite constructive consisterait à nous dire précisément ce qui « vacille » dans la pensée de Philippe Meirieu au regard des découvertes en neurosciences. Il serait alors utile que vous nous apportiez vos lumières en la matière, en nous livrant des références précises à opposer. Autre exemple, pour être tout à fait clair sur la différence entre comportement et conduite : quelques bacheliers viennent de décrocher une mention très bien dans une région qui leur octroie une prime de 500 euros dans ce cas. Plutôt que d’accepter cette récompense fort attrayante pour démarrer les vacances, la réponse des lycéens fût d’écrire à Monsieur Wauquiez qu’ils refusaient cette prime qu’ils estiment imméritée et injuste. Comment les neurosciences expliquent-elles ce choix ? Ne cherchez pas, elles ne l’expliqueront jamais. Au mieux, elles vous diront quelle partie du cerveau s’est allumée quand ils ont eu le plaisir de s’émanciper d’un système qui agite la carotte pour les faire avancer plus vite. Ne vous en déplaise, l’être humain ne se dresse pas facilement, et une partie de ces actes s'expliquent par des valeurs qui déclenchent et orientent des conduites qui ne dépendent pas de la carte du cerveau... mais la modifie ! 

      Vous dénoncez un "verbe hypertrophié". Pourtant, ce qui vous paraît jargonnant questionne et pousse certains d'entre nous à une pensée professionnelle et théorique exigeante, nous contraint à une précision à laquelle vous ne semblez pas insensible. Ne pas se payer de mots, certes, ce n'est pas confortable. Ça gratte, ça pique, ça frotte, bref ça dérange à la fois celui qui s’y colle, et les autres encore davantage. Il est moins coûteux intellectuellement de se ranger du côté de ceux qui ont enfin trouver LA solution : rétablir l'autorité et revenir aux fondamentaux (comme avant, évidemment, dans le bon vieux temps !). Peut-être est-elle là, la pensée dogmatique et sans effet que vous dénoncez.  Qu'est-ce donc que "savoir lire, écrire,compter à la fin du CP", si ce n'est une formule ? Mais là, vous n'y voyez pas d'incantations ? Pour vendre des livres (en se réclamant des neurosciences, c’est mieux) ou être élu, ces lieux-communs semblent efficaces. Il faut ensuite faire l'épreuve du temps... En attendant, encore merci à Philippe Meirieu de s’obstiner à considérer les élèves comme des personnes, les enseignants comme des collègues, et de jouer les empêcheurs de simplifier en rond. Lui la fait, l'épreuve du temps. Pour une partie d'entre nous, qu’il continue de nous déranger encore longtemps. On aime ça ! 

       Dernières interrogations personnelles : les neurosciences expliquent-elles les conduites pugnaces et sans vergogne des détracteurs de Philippe Meirieu ? La parole fielleuse serait-elle localisée dans les aires du langage ou bien au-delà de l’hémisphère gauche ? Je penche pour une désinhibition du cortex pré-frontal à l'origine de comportements agressifs, avec l'hypothèse plus spécifique d'une lésion du cortex pré-frontal médian, généralement impliqué dans la compréhension des intentions et émotions d'autrui. Ah… si seulement j’étais neuroscientifique…





        
      • Vennos, le 10/07/2017 à 11:23

        Je suis déjà depuis quelques temps les travaux de Monsieur Meirieu avec intérêt et respect. Votre commentaire Monsieur Delboe me fait réagir…

        Ne pouvant qu’acquiescer  l’importance que vous accordez à la pratique,moi-même sur le terrain... il me semble néanmoins que les progrès des neurosciences méritent un peu plus de considération… je dirais même, un peu moins d’animosité…

        Permettez-moi quelques analogies…

        Est-il concevable qu’un professeur d’EPS ne soit pas intéressé par les informations  sur le fonctionnement du corps humain que la science lui apporte ?

        Un navigateur ne serait il pas intéressé par une carte à jour pour éviter de penser arriver en Inde tandis qu’il découvrait l’Amérique ?

        Sérendipité heureuse me direz vous…

        Heureux soient les enseignants d’aujourd’hui pour qui les cartographies du cerveau sont accessibles… ils n’erreront  par hasard sur les chemins de la lecture… la route des mathématiques … ils ne se perdront pas dans quelques guéguerres pédagogiques qui opposent «  syllabiques et globales »….

        Ne peut-on pas faire confiance aux enseignants d’aujourd’hui qui sauront utiliser leurs connaissances du cerveau (si tenté que la formation des enseignants veuillent bien leur apporter ou qu’ils se documentent par eux-mêmes), à bon escient ?

        A moins que ma naïveté ne me fasse passer à côté de jeux politiques ou de guéguerres d’égos… les propos tenus vent debout contre l’apport des neurosciences me semblent injustifiés …

        Bien sûr que le partenariat entre chercheur et pédagogue a sa place… comme celui du cartographe et du navigateur…

        Rien de la plasticité cérébrale, de la justification par les neurosciences de la présence de multiples intelligences dans le cerveau, du fonctionnement  des «  dys » et j’en passe … n’a pas sa place dans l’enseignement.

        Bon vent sur la route de la pédagogie en meilleure connaissance du fonctionnement de l’être humain… si fascinant…. 

        Marie

        • delboe, le 13/07/2017 à 10:53
          Bonjour Marie, et merci de me donner la possibilité de préciser mon propos. Dans un premier temps, Monsieur Jeandoute tient un discours quelque peu manichéen, avec d'un côté les méchants pédagos qui aveuglent les plus fragiles, et de l'autre les neurosciences qui enfin sauveront l'éducation de (je cite) l'obscurantisme. Il me semble que cette attaque en règle contre Philippe Meirieu est bien peu argumentée sur le fond, dans un contexte où se payer du pédago est devenu un sport à la mode. Dans un second temps, j'essaie d'apporter un point de vue sur la nécessité de la réflexion pédagogique, qui n'est pas en concurrence avec les neurosciences, pas plus qu'elle ne l'est avec les autres disciplines qui servent les sciences de l'éducation. Vous intervenez alors et j’ai le sentiment que nous partageons plus que vous ne semblez l’affirmer. Peut-être n’ai-je pas été suffisamment clair. Pour que le dialogue soit précis, je reprends en gras les réactions que vous m'adressez :

          "il me semble néanmoins que les progrès des neurosciences méritent un peu plus de considération… je dirais même, un peu moins d’animosité…"



          Je ne pense pas qu’exprimer les limites d’un champ puisse être assimilable à de l’animosité. Je ne nie pas l’utilité des neurosciences, et je soutiens même qu’elles représentent un espoir de confirmer/infirmer nombre de recherches scientifiques passées, en cours et à venir en sciences humaines et sociales du point de vue des comportements. En cela, elles ont un intérêt majeur, au plan méthodologique, dans le domaine de la recherche. En ce qui concerne les applications, elles apportent des éclairages qui nécessitent des interprétations et des prises de décision, car les neurosciences ne disent pas « ce qu’il faut faire, mais ce qui se passe (ou ne se passe pas) quand on fait ». La relative synchronie des causes et des effets ne nous montre pas un chemin à suivre, mais la position sur la carte (pour filer votre métaphore). Quand la psychologie est devenue scientifique, les béhavioristes ont investi le territoire de la vérité non philosophique. Ils ont alors démontré plusieurs principes du conditionnement, dont les applications sur les apprentissages et l’éducation ne se sont pas faits attendre. Est-ce efficace ? Oui, en partie. Si les effets à court terme sont reconnus et redoutablement « efficace » (mot à la mode), les conséquences à plus long terme ou collatérales ne le sont pas toujours. Les hommes ont démontré dans leur histoire récente que l’utilisation des principes du conditionnement n’étaient pas qu’une « guéguerre », et que l’Homme n’est pas à l’abri des mauvaises intentions… Il est difficile d’échapper à une réflexion sur les valeurs, que vous associez semble-t-il à des discours idéologiques sans intérêt. Mais, là encore pourtant, je fais partie de ceux qui reconnaissent les apports du béhaviorisme en ce qu’ils ont apporté à la communauté scientifique en matière d’apprentissage, et considère qu’une partie de leurs travaux est toujours fondamentale. Béhaviorisme, cognitivisme, neurosciences apportent leurs savoirs, mais n’apportent qu’une partie du sens. Les valeurs n’en font pas partie ; et les choix de l’enseignant, qu’il le veuille ou non, sont déclenchés et orientés par des valeurs. La confusion entre axiologie et idéologie n’est pas inutile, et éviterait de chercher à positionner mon propos dans un schéma binaire et simplificateur du pour ou du contre. 

          "Est-il concevable qu’un professeur d’EPS ne soit pas intéressé par les informations  sur le fonctionnement du corps humain que la science lui apporte ?
          Un navigateur ne serait il pas intéressé par une carte à jour pour éviter de penser arriver en Inde tandis qu’il découvrait l’Amérique ?"


          Là encore, je ne comprends pas bien votre interpellation. Peut-on penser (ou ai-je dit) le contraire ? De ces lapalissades, vous ne pouvez pas conclure que la carte fait le marin… pas plus que les neurosciences ne permettent de faire la classe. LA « cartographie du cerveau » est une vue de l’esprit. Car dans nos classes, nous avons autant de cartes que d’élèves, et Burns pourra ajouter à ses postulats qu’il n’existe pas deux cerveaux comparables dans la classe. Alors, vous reprendrez les questions existentielles de l’enseignant, dans son quotidien. Car si vous avez les clés de la mécanique concernant la lecture par exemple (cf. propositions de S.Dehaene), vous ne saurez rien du plaisir que chaque élève aura à lire maintenant et encore moins demain… Et n’est-elle pas là aussi (et même surtout) notre réflexion ? Je reviens donc à ma question : qu’est-ce donc que lire ? 
          Pour en venir à l’EPS (issue DES sciences et techniques des activités physiques et sportives), la maîtrise des processus énergétiques ou l’orientation de la main dans les différentes techniques de nage par exemple, sont des « informations » (je dirais même des savoirs) particulièrement intéressantes pour le professionnel qui enseigne. Mais à nouveau, elles ne permettent pas de faire la classe à elles seules. Donc, j’en reviens à mon idée générale qui pourrait se résumer à l’expression triviale « oui, mais pas que… ». Cet exemple lié au savoir-nager m’amène à exprimer l’idée que l’essentiel n’est pas de se déplacer à la surface de l’eau en autonomie, si l’on sait que la majorité des noyades suivies de décès en France concernent des nageurs. Le pédagogue peut (et doit) maîtriser la réflexion de l’ici et maintenant, autant que celle de l’ailleurs et plus tard, qu’il s’agisse de la lecture ou du savoir-nager. D’où le leit-motiv de Philippe Meirieu, auquel je suis particulièrement attaché, concernant les liens systématiques à réaliser entre finalités et modalités (dans les deux sens). Quand un maître fait le choix d’un album parce qu’à son sens il devrait produire son lot de plaisir pour ses élèves, je ne pense pas comme vous qu’il « erre par hasard sur les chemins de la lecture » parce que les neurosciences ne lui ont pas indiqué le bon ouvrage. Il a d'abord en tête que le plaisir de lire en suscitera davantage ailleurs et plus tard, que la véritable autonomie passe par le sentiment d'accéder à une culture commune, au moment de partage, qui ne se lit pas dans des protocoles de laboratoire. C’est parce qu’il a une forme d’intuition, qui convoque son intelligence des situations, qu’il fait ce choix et non un autre.Il se trompera d’ailleurs parfois, et les élèves apprendront à exprimer ce qu’ils n’ont pas aimé. Sérendipité heureuse me direz-vous… car la part de contingence fait aussi le charme du métier. Je pourrais aussi vous parler du maître qui s’assoit à côté d’un élève, lequel a enfin accepté de mettre le pied dans l’eau. Il l’amènera par une complicité qui n’a pas de mode d’emploi à mettre la tête sous l’eau, parce qu’il aura saisi le bon timing et adopté un comportement suffisamment sécurisant. Personnellement, j’aime cette intersubjectivité qui rend ce métier "si fascinant", comme vous le dites. Car, quelles que soient les découvertes scientifiques, une place est réservée à cette intelligence qui ne se décrypte pas. Et s’il est possible de tendre à davantage d’objectivité (ne nous en privons pas !), il est je pense souhaitable que nous gardions cette part d’humanité insaisissable. Aussi, je vous rejoins sur l’idée d’une nécessaire professionnalisation. Néanmoins, elle ne passera pas exclusivement par les sciences dites « dures » qui, comme toutes les autres, ont la propriété d’être réfutable. Donc, "oui, mais pas que..."
          Il y a donc une différence entre le fait d’être « vent debout » face aux neurosciences, et la position en nuance que j’essaie de prendre vis-à-vis de ce champ émergeant. Je suis résolument favorable à l’avènement des neurosciences, qui pourront (re)définir nos fondations, mais certainement pas les fondements. C’est ainsi que Philippe Meirieu nous amène à distinguer ce qui relève des « sous-bassements techniques », de ce qui « donne le sens », pour définir les fondamentaux dans leur systémique. (https://www.youtube.com/watch?v=d9E3Ov1Tsuo). Nous avons besoin de ces mises à distance pour conserver notre esprit critique, que bien peu de « gourous » visent. Là encore, il y a une confusion simplificatrice qui gagnerait à être dépassée en différenciant un gourou d’un guide ou d’un maître à penser, qui libère plus qu’il n’enferme. 

          Donc, pour résumer ma position : les neurosciences ? Oui, mais pas que. Philippe Meirieu ? Oui, mais pas que... Pour ou contre ? Toujours un peu des deux, entre intérêts et limites. Et vous Marie, vous y voyez des limites aux neurosciences ?

          Grégory
        • delacour, le 10/07/2017 à 12:40

           

          Le parcours du combattant du découvreur au sein de l'E.N.

          Témoignage concret venant conforter le point de vue de Philippe Meirieu.

          En 69-70 je suis à la tête d'un CP-CE2. J'innove en utilisant "la lecture en couleurs" de Gattegno. La réussite est totale, complètement inhabituelle : je peux comparer avec mes classes de CP occupées auparavant. En 73-74 je suis en CP pur : mêmes résultats me plongeant dans l'admiration du système de Gattegno ! Je pousse jusqu'à effectuer un stage avec cet anglo-américain à Bourg en Bresse (sur mes deniers). Je suis inspecté et mon IDEN ne comprend rien à ce qui se passe. C'est normal, vu le saut conceptuel à effectuer lorsqu'on défend un début global suivi d'analyse et recomposition. Son rapport en témoigne : il a cherché ce qui n'allait pas et a écrit ce que je devrais corriger : une approche de ans car les élèves peuvent confondre les ans de dans et celui de transporter. Comme les graphies des phonèmes sont en couleurs phonologiques il n'y a pas de confusion possible entre dans et transporter (ans de dans, un phonème pour une couleur, ans de transporter, 2 phonèmes, deux couleurs). Ma note (1/2 point supplémentaire au lieu au minimum des 2 points dus pour retard d'inspection)  m'interdit la promotion au choix escomptée. Je suis pénalisé financièrement.

          Alors, je fais un rapport à l'INRDP : on m'encourage et me demande des compléments. Ce que je fournis. Mais par manque de moyens on ne donnera pas suite… Devenu directeur (des collègues plus âgés ont été sollicités pour le poste…) je n'ai pas le temps de m'éterniser sur ce malentendu (à tous les sens du mot!).

          Dès lors la lecture en couleurs est interdite (officieusement mais fermement) dans la circonscription, avec le consentement de la conseillère pédagogique qui fera fonction d'IDEN par la suite.

          A la retraite, je cherche à comprendre ce qui fait le succès de la lecture en couleurs. Je lis tout ce qui s'écrit sur le sujet, je creuse en lisant les sciences cognitives, les spécialistes de la lecture, les chercheurs, Leroy Gourhan et des études sur la naissance de l'écriture (voir le site ecrilu). Je comprends alors que c'est le codage qui donne naissance à l'écrit d'abord, puis à la lecture ensuite. Il ne peut pas y avoir de décodage certain sans codage préalable. La clé du succès est bien dans la transformation orthographique des sons du langage : la lecture en découle. Je peux alors supprimer la couleur, les sons restant isolables grâce aux colonnes phonologiques de l'écritoire.

          En 94, J'obtiens un rendez-vous Rue de Grenelle. Je paie mon A-R Morre-Paris. Un IG et un chef de cabinet m'écoutent. Ils ont l'air convaincus mais ils me disent de m'adresser à mon IA qui m'accompagnera. Naïf, je rentre heureux ! Mais c'est une fin de non-recevoir à l'académie, aucun IDEN local ne voulant tenter l'expérimentation.

           J'écris aux chercheurs qui ne sont pas intéressés. L'ONL répondra peut-être à son cahier des charges ? On me répond que ce n'est pas sa mission d'expérimenter, et que Saussure ne saurait en rien être impliqué dans l'apprentissage de la lecture. Même pas lorsqu'il précise que "oi" n'a pas de valeur en soi et que c'est seulement quand le phonème /oi/ est représenté par "oi" qu'il représente alors une valeur sonore ?

          A Paris au cours d'un colloque je me fais rabrouer lorsque je demande à une intervenante si l'écriture ne devrait pas avoir une place prépondérante dans le cursus menant à la lecture. Je comprends alors qu'écriture signifie graphisme pour les partisans du décodage. Cette chercheuse a dû conseiller Stanislas Dehaene qui remet une couche de b-a, ba sur fond de photos du cerveau.

          Avoir fait réussir des élèves de diverses nationalités, des enfants du comité d'établissement de plein-air Peugeot, avoir fait lire des marocains de plus de 50 ans en un mois ne pèse rien face aux partisans de la génération spontanée de la lecture.

          J'ai écrit à tous les ministres : les réponses sont diplomatiques, sans suite.

          J'ai malgré tout averti notre nouveau Ministre en lui indiquant que la même pédagogie produirait les mêmes effets à 12 comme à 24 élèves. Changer d'approche permettrait d'économiser des milliers de postes et de faire lire quasiment 100% des élèves en CP. J'attends une réponse positive à ma demande d'expérimentation.

          Pour l'instant, à 80 ans, avec quelques collègues qui ont relevé le flambeau (et à qui on a pu conseiller de relire Charmeux…), nous sommes les seuls à disposer de cette "pépite" comme l'explique le site "tilekol". Dommage !

          Durant tout cet attentisme, les évaluations de la Défense nationale le confirment : beaucoup n'ont pas appris à lire correctement ! Cela va-t-il encore durer longtemps?

          C'est aux collègues d'en décider. Eux seule peuvent essayer, comme je l'ai fait il y a une quarantaine d'années et finalement imposer la logique : c'est le codage de l'oral en écrit qui donne avec certitude le sens et les valeurs sonores des codes orthographiques. (voir le site "ecrilu")

           

           

      • caroudel, le 07/07/2017 à 16:04
        Merci pour cette réponse que j'approuve totalement. On est encore loin où praticiens et chercheurs s'épauleront pour le plus grand bien des élèves. Photographier le fonctionnement cérébral et les pédagogies appliquées par ailleurs (cas de la lecture) n'apporte rien de spécialement nouveau : on ne sait toujours pas finalement comment un élève apprend à lire, tout au plus peut-on ne pas entraver ses efforts.
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