Bruno Devauchelle : L'école, un dogme immuable à l'ère numérique ? 

Les institutions internationales, OCDE, UNESCO en particulier évoquent régulièrement la nécessaire éducation des enfants. Le plus souvent cette éducation est associée de manière plus ou moins explicite au modèle de l’École quand elle n'y est pas réduite. Consacrant ainsi la scolarisation comme la seule forme d'éducation efficace on y trouve de multiples références à ce modèle allant jusqu'à l'imposer partout. L'accès offert à tous par Internet aux savoirs et aux autres humains ouvre une brèche dans ce dogme. Il ouvre une brèche dans l'accès au savoir mais semble-t-il pas dans la forme scolaire, même si le nouveau potentiel info-communicationnel la transforme. On l'aura bien compris, lorsque nous parlons d'éducation, nous considérons aussi toutes les formes de "transmission" qui s'opèrent dans une société et pour tous les humains quel que soit leur âge.


L'environnement info-communicationnel s'est transformé...

Des travaux de recherche montrent bien que cette question de l'école comme modèle universel n'est pas à négliger. La revue CRES (Cahiers de la recherche sur l'éducation et les savoirs, a publié en 2011 un numéro consacré à " Les enfants hors l’école et le paradigme scolaire" (introduction de Mélanie Jacquemin et Bernard Schlemmer) dans lequel le "paradigme scolaire" est mis en question. A l'instar de nombreux autres numéros de cette revue, mais aussi d'autres travaux de recherche, il est indispensable de repenser désormais l'éducation dans sa globalité en y incluant la question de l'école. On peut déjà considérer que l'école est une instrumentation sociale dont se dotent les états pour organiser la société et que c'est devenu un allant de soi indiscuté et indiscutable. On peut lire à ce sujet cet article : Alain Quatrevaux, « Le système scolaire face à l’instruction dans la famille » (Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs, 10 | 2011, 29-43.). On verra par exemple que les alternatives à la scolarisation sont très réduites dans de nombreux états, voire combattues.

Le développement massif des moyens numériques (informatique connectée en réseau) dans la société a transformé l'environnement info-communicationnel général. C'est une banalité désormais, mais il faut toujours le rappeler car nous sommes souvent aveugles sur ce qui se passe au-delà de notre environnement proche. Cela signifie qu'il nous faut analyser ces évolutions avec un regard distant mais acéré. Ainsi l'accès à l'information est en train de devenir de plus en plus difficile si l'on veut vraiment choisir ce à quoi on veut accéder. La quantité des données en lignes, la variété qualitative, les différents algorithmes qui structurent l'information et sa recherche, les contournements multiples des diffuseurs de données pour arriver en premier, et la difficile compétence de veille info-documentaire sont autant d'obstacles désormais à une utilisation aisée et autonome par tout un chacun. Or on entend souvent dire qu'il est aisé avec un peu de méthode de trouver ce qu'on cherche... La méthode de recherche ne suffit plus, il faut désormais organiser, structurer et instrumenter son environnement informationnel global...


Vers une transformation personnelle...

Défendre l'idée selon laquelle n'importe qui peut apprendre ce qu'il veut en s'appuyant sur Internet est davantage un mythe désormais historique qu'une réalité générale d'aujourd'hui. Mais défendre l'idée que le potentiel présent et disponible permet à quelques-uns d'y parvenir est une réalité aisément observable. Il suffit d'étudier les parcours réussis dans certains Moocs et surtout l'environnement des personnes qui ont réussi ces parcours pour le percevoir. Quelles sont donc les différences entre individus qui font que c'est possible ou non ? Peut-on envisager qu'un changement s'opère et que cette pratique s'ouvre à d'autre, à quelles conditions, avec quelles compétences ? Le monde académique, scolaire et universitaire formel est-il prêt à soutenir cette évolution ? Ou au contraire les systèmes formels vont-ils résister pour empêcher cette possibilité de s'ouvrir à un large public, annonçant ainsi la perte de quasi exclusivité de cet univers sur la diffusion et la validation des savoirs "officiels" (les programmes, les diplômes etc..) ?

Les travaux de recherche sur l'autoformation et sur la didactique professionnelle, de même que les travaux évoqués au début de cet article viennent conforter l'idée d'une véritable mutation possible. Mais celle-ci ne peut s'opérer que si un ensemble de facteurs sont réunis dont le premier est probablement, avant même l'engagement des acteurs volontaires, l'accessibilité globale. L'exemple des Moocs et d'autres exemples moins médiatisés et moins radicaux (FOAD entre autres) ont permis de montrer que dans certaines conditions d'accessibilité, il y a facilitation de la démarche volontaire. Le deuxième facteur est bien sûr l'engagement des acteurs dans de tels processus. Il y a là un vrai travail de changement culturel à opérer. Après près de quinze années (au moins) de soumission à un modèle transmissif (le temps de l'école), il faut une transformation personnelle importante et un contexte favorable pour rendre possible le passage vers ces nouvelles modalités.


Apprendre à réussir

Mais la vraie transformation serait l'assouplissement du modèle scolaire et l'inversion du pilotage des trajectoires. Pour le dire autrement, le modèle de la sélection des meilleurs qui structure l'organisation scolaire actuelle a montré son inefficacité. Ce modèle ne sert que quelques-uns et fait comprendre aux autres leur mise à l'écart. On peut d'ailleurs penser qu'avec Internet se produit ce qui a fait du livre l'instrument de la sélection. En le laissant largement de côté dans le monde scolaire, malgré les discours, en particulier promoteurs des innovations, et surtout dans les pratiques quotidiennes d'enseignement et d'évaluation, il conforte cette idée de refus de voir dans ces nouveaux moyens de nouveaux possibles en matière d'apprendre.

Apprendre dès le plus jeune âge que "réussir c'est possible" est quand même plus dynamique que de découvrir rapidement que "réussir c'est d'abord passer des épreuves sans être éliminé". Or notre système scolaire et la culture associée ont tellement ancré cette idée dans l'esprit collectif qu'aucun décideur (quel qu’en soit le niveau et le domaine) n'ose remettre en cause ce dogme. Sachant bien qu'il va s'affronter à des traditions défendues de manière virulente, il ou elle renoncera à transformer un système dont l'organisation et les insuffisances servent à le ou la maintenir au-devant de la scène sociale. Il y va alors d'une forme de partage mais surtout une conscience du bien commun... nous en sommes encore loin comme on peut le voir en lisant les articles autour du marronnier du baccalauréat... symboles majeur d'une représentation sociale de la scolarité dont le noyau central (Abric - 1989) est bien cette épreuve.


Bruno Devauchelle


Rapport Unesco

Article et numéro du CRES

Abric, J.C., (1989), L'étude expérimentale des représentations sociales, in : Jodelet, D. (Ed.), Les représentations sociales, Paris : PUF, 189-203.


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Par fjarraud , le vendredi 07 juillet 2017.

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