Bruno Devauchelle : Numérique scolaire : Que savent les parents ? 

Les familles, les parents, les responsables adultes sont tous de plus en plus concernés par l'informatisation de l'école. On leur propose d'accéder au site de l'établissement, à une partie de l'environnement numérique de travail (ENT), de consulter les notes, de consulter le cahier de texte, d'interroger les enseignants etc. On l'a souvent entendu dans les salles des professeurs : "vont-ils mettre leur nez partout ?", "vont-ils surveiller notre travail ?", "vont-ils vérifier ce que font leurs enfants ?" On leur impose progressivement l'usage de l'informatique pour de plus en plus de services : inscription, orientation, etc., et évidemment suivi de leurs enfants.


Quels services sont consultés par les parents ?

Il est urgent que non seulement dans les équipes éducatives, mais aussi aux différentes échelles de l'institution scolaire, on fasse la cartographie détaillée de ce que l'on propose/impose aux responsables légaux des jeunes comme usage de l'informatique et du numérique. Il est nécessaire que cette cartographie soit mise en lien avec les autres espaces numériques proposés autour de l'établissement : ceux pour les enseignants, ceux pour les élèves, ceux pour l'institution elle-même. Cette mise en lien entre différents espaces de circulation d'information a pour but d'expliciter les choix stratégiques d'information et de communication de l'établissement. Car cela fait système. Pour le chef d'établissement, l'attention qu'il doit porter à ces différents canaux de communication est nécessaire pour le pilotage mais aussi pour la gestion du relationnelle. On peut parler ici de "communication organisationnelle".

Il est toujours difficile de faire des statistiques pertinentes des usages des services informatiques proposés (imposés ?) aux familles. Aussi les usages par les adultes, parents ou responsables, sont-ils des objets de débat. Outre la question légale (déclaration CNIL des fichiers et des différentes pratiques autour de ces usages), il y a la question plus générale du suivi des utilisateurs, responsables légaux des jeunes. Que regardent-ils, que font-ils de ce qu'ils regardent, comment cela interfère-t-il avec leur pratique éducative à la maison, etc. ? Au vu de ce que nous rapportent des responsables d'établissement scolaire, il semble bien qu'il y ait une certaine difficulté à avoir ces informations pour un personnel de direction. Aussi au lieu de s'en tenir aux statistiques de consultation (combien d'accès par qui, à quels services), ils vont voir plutôt du côté des usages explicites (mails, commentaires et autres participations en ligne, quand elles sont accessibles). Même si nombre d'échanges peuvent rester invisibles aux chefs d'établissement, c'est au moins une porte d'entrée pour mener des enquêtes et comprendre mieux la "respiration" de l'établissement.


Il est temps de connaitre les usages

Au niveau national, la Caisse des dépôts et consignations (CDC) avait mis en place un outil d'analyse des accès aux ENT dans les établissements. Qu'en est-il aujourd'hui ? Qui y a accès ? pourquoi ? Ceux qui financent ces ENT aiment aussi avoir des informations d'usage : les collectivités territoriales cherchent à mesurer le fameux ROI, retour sur investissement. Ceux qui conçoivent ces outils (et ceux qui les hébergent) ont-ils, eux aussi, installé des moyens de suivi des usages qu'ils utilisent pour améliorer leurs propres produits ? Le ministère de l’Éducation, qui depuis 2003, a développé l'encadrement des ENT souhaite-t-il continuer à suivre ces usages ? Quant aux parents, aux responsables légaux, quels retours peuvent-ils avoir de ces outils qui leur sont imposés ? L'exemple des problèmes posés par APB est assez illustratif des questions qui se posent. En confiant leur enfant à l'école, les parents et responsables légaux peuvent légitimement s'interroger sur ces données, d'où elles viennent et à quoi elles servent. Entre la mesure d'audience, la mesure d'accès, la mesure d'usage, qui peut savoir quoi ?

Le développement généralisé de l'information et de la communication par des moyens numériques dans l'enseignement ne doit pas être laissé aux mains des seuls développeurs d'applications ou même des seuls personnels de l'éducation nationale. La CNIL joue elle aussi un rôle de gardien du droit et des données personnelles, mais peut-elle réellement le faire et jusqu'à quel point ? Quand on entend les récits des effets de cette numérisation sur la vie quotidienne dans les établissements scolaires, même si globalement la "passivité numérique" fait que très peu s'expriment à ce sujet, il est temps que l'on se questionne, communauté éducative au complet, sur cette circulation de l'information. Classe inversée, devoirs faits, et autres travaux à la maison (faits ou non faits) montrent qu'il y a autour de ce qui se passe à la maison des questions de fond. Faut-il aussi suivre l'activité des jeunes en dehors du temps scolaire au travers de leurs connexion aux ENT et autres services en ligne ? Le cahier de texte numérique avait soulevé de nombreuses craintes qui se sont avérées peu fondées en nombre et en ampleur. Or il semble que ce soit, avec les notes et les services de vie scolaire, le service le plus consulté par les familles (et les élèves) (source MEN 2016).


Boucs émissaires

Le ministre de l’Éducation, dans sa conférence de presse de rentrée nous a indiqué qu'il entendait consulter et écouter autour de ces questions du numérique. En tout cas ce n'est pas sa priorité si l'on en juge par le silence assourdissant de ses propos sur ce sujet. On peut penser que le sujet est suffisamment délicat pour qu'il ne soit pas mis en première ligne. Si, comme l'évoque Alain Bouvier (2017 p.366) récemment, on est à l'aube d'une transformation de la forme scolaire, il semble intéressant qu'un ensemble de partenaires tentent de faire le bilan de ce qui a été fait depuis quarante années, d'établir des cartographies précises de ce qui se passe, et de définir une vision de l'école de demain. Les parents ne sont pas que de simples variables d'ajustement face à un système scolaire qui peut être prompt à les désigner comme responsables, in fine, de la réussite ou de l'échec de leurs enfants... Les objets numériques ne sont pas des boucs émissaires des errements éducatifs de notre société.


Bruno Devauchelle


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Références

S. Grosjean et L. Bonneville, La communication organisationnelle, approches processus et enjeux, Chenelière éducation 2011

A. Bouvier, Pour le management pédagogique : un socle indispensable : Connaître - Eclairer - Evaluer - Agir, Berger Levrault 2017

Document web de bilan des ENT par la DNE - Educatice 2016.



Par fjarraud , le vendredi 01 septembre 2017.

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