"La Cour appelle à une réforme structurelle de la gestion des enseignants qui emporte des améliorations notables pour l'ensemble des acteurs du système". En présentant le rapport de la Cour des Comptes sur la gestion des enseignants, le 4 octobre, Didier Migaud, Premier président, reprend largement les conclusions et les propositions d'un précédent rapport de 2013. Pour la Cour, l'Education nationale doit négocier la revalorisation en échange de contreparties comme l'annualisation des services, la bivalence des enseignants du second degré et de nouveaux pouvoirs pour les directeurs et chefs d'établissement. Des propositions accueillies prudemment mais assez favorablement par le ministère. Mais qui provoquent un tollé syndical.
Un constat défavorable
De 2013 à 2017, la Cour des Comptes n'a modifié ni son analyse, même si elle l'a actualisé, ni ses propositions. Pour Didier Migaud, "la gestion des enseignants... est un facteur majeur de la réussite des élèves". Or il observe que, si jusqu'à 2000, elle a permis de relever le défi du doublement du nombre d'élèves depuis les années 1960 et l'élévation du niveau, depuis 2000 il constate "une dégradation des performances des élèves" et la montée des inégalités.
Pour lui , l'Etat a augmenté de 3.6 milliards la masse salariale de l'éducation nationale, sans obtenir d'amélioration à ce niveau et sans modifier la gestion des enseignants. Ajoutons tout de suite que cette hausse provient presque exclusivement des créations de postes entre 2012 et 2017. La Cour dénonce aussi "la déconnexion" entre le nombre d'enseignants , en hausse, et celui des élèves, en baisse depuis 20 ans.
Dénoncer les "logiques de corps"
Le raisonnement de la Cour est simple : toute hausse du budget doit s'accompagner de contreparties pour améliorer l'efficacité du travail enseignants. La cour propose de revoir la formation des enseignants, leurs obligations de service (ORS), leur affectation et leur encadrement.
Pour la formation initiale, la Cour demande davantage de pré recrutement au niveau licence et davantage de licences bivalentes. Elle constate que les enseignants dont peu appel à la formation continue et demande que celle ci devienne obligatoire.
Sur les ORS, D. Migaud estime que "la réforme de 2014 n'a eu qu'une portée et des résultats limités". Le volume horaire devant élève n'a pas été modifié et si le statut de 2014 a reconnu de nouvelles missions, celles ci ne sont pas comptabilisées de façon précise. De ce fait les remplacements sont un problème alors qu'ils devraient, selon la Cour, faire partie des ORS.
L'affectation des enseignants est "dominée par un barême d'application automatique qui ne tient pas compte des besoins de l'éducation nationale". La Cour fustige la nomination croissante de débutants dans les établissements difficiles par exemple. "L'organisation du service des enseignants reste déterminée par des logiques de corps indifférentes aux conditions réelles d'exercice".
L'annualisation des services
Cela amène la Cour à émettre 13 propositions, déjà largement présentes dans le rapport de 2013, qu'on peut ramener à 3 points.
Le premier c'est l'annualisation des services enseignants. "Annualiser les obligations de service des enseignants du second degré, en prévoyant notamment un contingent d’heures effectuées au sein de l’établissement au titre des missions liées à l’enseignement, en réservant dans un premier temps ce cadre aux nouveaux enseignants devant être titularisés", annonce le rapport.
L'annualisation règle les problèmes de remplacement dans le second degré. Mais elle permet aussi d'importants gains de temps de travail même en restant en apparence dans les volumes actuels. D'une part elle annule les jours fériés et tous les événements ponctuels qui perturbent le calendrier scolaire. Surtout elle ajuste le volume horaire réel au volume théorique, annulant par exemple les heures perdues au mois de juin du fait du bac, les heures correspondant aux stages des élèves dans le technologique ou le professionnel, ou celles correspondant aux examens, conseils et formations. Au total, pour le même salaire, les enseignants travailleraient nettement plus et leur gestion serait facilitée. Cela permettrait de supprimer un volume d'emplois appréciable si elle était généralisée.
La bivalence des enseignants du second degré
Le second point c'est la bivalence dans le secondaire. " Instituer, dès la formation initiale, la possibilité de bivalence ou la polyvalence disciplinaire pour les enseignants du second degré intervenant au collège ; ouvrir la possibilité, pour les enseignants déjà en fonction et présentant les compétences requises, d’opter pour l’enseignement de deux disciplines ; développer la polyvalence en classe de 6ème". En 2013 la cour avait calculé que la mesure générait immédiatement l'équivalent de 2482 emplois au collège.
Le renforcement de l'autorité des directeurs et chefs d'établissement
La Cour souhaite de "vrais" directeurs d'école et des chefs d'établissement capables de tirer parti de l'annualisation. " Dans le premier degré, associer les directeurs d’école à l’évaluation des enseignants par l’IEN ; donner aux directeurs d’école et aux chefs d’établissement la responsabilité, dans certaines limites, de moduler la répartition annuelle des heures de service devant la classe en fonction des postes occupés et des besoins des élèves", note la Cour. Ceux ci auraient leur mot à dire sur l'affectation des enseignants : " afin de constituer des équipes cohérentes, mettre des postes à profil à la disposition du chef d’établissement et en augmenter le nombre".
La cour souhaite aussi améliorer le lien école collège : "mettre en place le cadre juridique permettant les expérimentations d’échanges ou d’affectations de professeurs des écoles au collège et d’enseignants du second degré à l’école primaire et les développer quand elles sont utiles pour assurer la continuité de la scolarité entre l’école primaire et le collège".
Comment appliquer ces mesures ?
"Plusieurs mesures peuvent être mises en oeuvre si on raisonne avec une logique de contrepartie", estime Géraud Gaubert, qui a instruit le rapport. "Il n'est pas choquant que quand on accorde des moyens vous puissiez mettre sur la table des échanges", estime D Migaud. "On sent chez le ministre une prise en compte plutôt favorable de nos propositions sur le renforcement des pouvoirs des chefs d'établissement et l'autonomie", estime Sophie Moati, présidente de la 3ème chambre chargée de la préparation du rapport.
Quelles pourraient être ces contreparties ? Alors que le ministère va négocier le PPCR et envisage une réforme du lycée, il est utile de lire les exemples donnés par la Cour. Elle calcule que augmenter d'une heure devant élève le temps de service des enseignants entrainerait une économie de 22 000 postes (page 103 du rapport). Imposer une seconde heure supplémentaire ferait économiser 235 millions, soit environ 6000 postes. Dernier calcul de la Cour, ramener le coût du lycée au niveau du coût moyen de l'OCDE économiserait 6 milliards.
Le ministère pour une nouvelle gestion des relations humaines
Dans sa réponse officielle le ministère est assez prudent notamment sur la bivalence où il oppose "l'exigence de niveau". Il est plus positif sur les postes à profil : "cette approche pourra être encouragée à l'avenir".
Dans un communiqué le ministère prend davantage en compte les propositions du rapport. "Ces recommandations viennent nourrir la réflexion actuelle en matière de ressources humaines dans l’Éducation nationale... L’ensemble de ces évolutions s’inscrira dans une approche davantage qualitative de la gestion des ressources humaines". Le ministère discute en ce moment avec Bercy de l'application du PPCR en 2018. Une fenêtre est donc ouverte pour d'éventuelles "contreparties".
Dans ce communiqué, le ministère fixe aussi à la rentrée 2018 les premiers versements de la prime de Rep+ promise par le candidat Macron et qui pourrait être liée elle aussi à des contreparties.
Condamnation des syndicats enseignants
Alors qu'en 2013 ils avaient réagi de façon nuancée au rapport de la Cour, les syndicats enseignants ont condamné de façon unanime les propositions de la Cour.
Le Snes dénonce "les poncifs habituels de la pensée libérale sur le travail et les missions des enseignants... Au lieu de se focaliser sur les remplacements de courte durée, la Cour des comptes ferait bien de s’inquiéter de l’insuffisance de recrutements qui appauvrit de fait le vivier des remplaçants... La Cour propose donc de faire travailler davantage les enseignants et de les contraindre à plus de présence dans les établissements sans jamais s’interroger sur la qualité du service qui en résulterait.
Le Snes prend à parti aussi la Cour sur son idée d'évaluer les enseignants selon les résultats des élèves. La Cour observe que ce mode d'évaluation est largement majoritaire dans l'Ocde. Pour le Snes, "la grande idée de l’évaluation en fonction des résultats des élèves a des effets catastrophiques partout où elle est mise en oeuvre".
Pour S Crochet, pour le Se Unsa, "ce énième rapport propose des réformes statutaires déconnectées de la réalité de son quotidien. Pire encore, il ignore l’engagement des personnels qui attendent de leur institution un meilleur accompagnement dans leur développement professionnel, l’amélioration de leur mobilité, et la prise en compte de leurs conditions de travail... Alors que l’attractivité du métier faiblit et que les difficultés de recrutement s’enkystent, le SE-Unsa juge les préconisations de la cour des comptes déconnectées et contre-productives".
C'est aussi l'avis du Snalc qui, sobrement, remarque : "Le SNALC-FGAF se félicite que la Cour des comptes reconnaisse le " manque d'attractivité persistant du métier d'enseignant. Il s'étonne donc que les préconisations de la Cour des comptes visent à le rendre encore moins attractif".
Quant à la Cour elle prépare un nouveau rapport qui est prévu pour la fin de l'année sur l'évaluation de l'éducation nationale.
François Jarraud
Le rapport
Le rapport de 2013