La chronique de Véronique Soulé : Du bac pro à Nantes au master à Shanghai  

Que faire des "  bacs pros" ? La question est au coeur des consultations sur les pré requis pour entrer à l'université. Comme si les bacheliers professionnels - près de 30% du total des bacheliers - n'avaient pas grand-chose à faire dans le supérieur... Pourtant dans certaines filières, ils n'ont rien à envier à leurs camarades du " général ". Rencontre avec Gaëlle qui, après un CAP et un bac pro, commence un master à Shanghai, à l'antenne chinoise de l'école de design Nantes Atlantique.

 

A 9 heures du matin, il fait déjà lourd et moite à Shanghai. Gaëlle, 21ans, et Marie-Astrid, 20 ans, toutes deux en première année de master à l'école de design, sont venues me chercher à l'hôtel pour me montrer où elles vivent, le quartier, leur colocation... Prévoyantes, elles ont pris un parapluie.

 

" Heureusement, on a passé " la vague " comme ils disent ici, c'est-à-dire l'heure de pointe dans le métro où l'on est porté par la foule ", explique Gaëlle. " Ici, il faut bien voir que l'on raisonne en flux, complète Marie-Astrid, tout est calculé pour que les gens circulent et ne se retrouvent pas tous au même endroit ".

 

Avec les bases de chinois qu'elles acquièrent - elles ont une heure et demie de cours trois fois par semaine -, toutes deux se lancent dans l'achat de tickets de métro sur les machines, en chinois. Et ça marche.

 

Métropole

 

Gaëlle et Marie-Astrid sont arrivées fin août à Shanghai avec la vingtaine d'étudiants de l'école de design de Nantes qui ont choisi de faire leur master dans la gigantesque métropole chinoise (24 millions d'habitants). L'école propose aussi d'aller à Delhi et à Sao Paulo.

 

Les deux étudiantes habitent le même immeuble, l'une au 8è étage, l'autre au 23è, dans le centre, près de Jing'an Temple. Un quartier prisé des étrangers où il y a des bars et des restaurants pour expats.

 

Autre avantage : il est sur la ligne de métro qui dessert les locaux flambants neufs de l'école, le " China Studio ", situés dans le tout nouvel Institut des Beaux Arts de l'université de Shanghai.

 

Style Ikea

 

Toutes deux sont en colocation. Gaëlle a une chambre standard - " de style Ikea ", aiment préciser les annonceurs - à 400 euros par mois. Elle a 4 colocataires - espagnol, mexicain, taiwanais, chinois - qu'elle croise mais chacun prend ses repas dans sa chambre. " On a tous des horaires différents ", explique-t-elle.

 

Il faut dire aussi que le salon-salle à manger est petit et sombre : le propriétaire l'a amputé pour ajouter une chambre à l'appartement. Et la pièce se retrouve sans fenêtre.

 

Marie-Astrid, au 23è étage, a, elle, une " master bedroom ", plus grande donc. Elle paie 480 euros par mois. Sa colocation est plus conviviale : " On prend souvent des repas ensemble, on sort ensemble aussi. L'autre jour, Thomas, le français de la coloc, m'a aidée à monter mon tabouret Ikea ".

 

CAP

 

Lorsqu'elles évoquent leur parcours respectif, Marie-Astrid s'excuserait presque d'être " classique ". Un bac S décroché au lycée de Saint-Germain-en-Laye (Yvelines) qu'elle a rejoint pour faire du chinois. Puis  l'école de design de Nantes qui recrute après le bac.

 

Gaëlle, elle, fait partie de la petite minorité de bacs pros de l'école. Au collège, elle n'accroche pas vraiment aux études. Comme elle dessine bien, elle bifurque alors vers un CAP  Dessinateur d'exécution en communication graphique (DECG).

 

" J'était passionnée par le dessin et le monde de l'art, explique-t-elle. Une filière générale n'était pas envisageable, je ne suis pas très à l'aise avec les matières générales et aucune filière ne m'intéressait réellement. Je préférais me lancer dans la voie professionnelle et aller à la rencontre directe d'un métier. C'est la meilleure façon de savoir ce qui nous plaît ou pas. "

 

Espaces

 

Après ses deux ans de CAP, Gaëlle enchaîne sur un bac pro Artisanat et métiers d'art option Visual Merchandising - on y apprend la communication visuelle en magasin, c'est-à-dire à savoir aménager des espaces dans les boutiques, les supermarchés, les centres commerciaux, etc.

 

" Peu à peu, le métier que je voulais faire a commencé à se préciser : je pensais alors à architecte d'intérieur, explique Gaëlle, pour aller plus loin, je me suis tournée vers l'école de design de Nantes. Je la connaissais, j'habite à côté, à la Chantrerie. "

 

Ciel

 

Gaëlle et Marie-Astrid se retrouvent aux épreuves de sélection à l'entrée de l'école. Les candidats doivent plancher sur un sujet : " Le ciel et l'économie " et à la fin, proposer un dessin. Puis ils échangent avec le jury et montrent leur book ou leurs réalisations.

 

Avec son bac S, Marie-Astrid n'est pas très avancée : " J'avais juste mon carnet de voyage en Chine à présenter. En première, dans le cadre d'un échange scolaire, j'y étais allée quinze jours. Une expérience extraordinaire. La famille chez qui je vivais m'a intégrée, fait découvrir la culture, la Muraille de Chine..."

 

Avec son CAP et son Bac pro, Gaëlle est plus à l'aise : " J'avais un gros portfolio avec des illustrations de créations de vitrines, de stands, de packaging, et des dessins personnels, des mangas surtout mais aussi des portraits et des paysages. J'ai toujours été très branchée culture asiatique, plutôt coréenne ou japonaise. "

 

Enfer

 

Heureusement pour Marie-Astrid, en bachelor, dans la spécialité que toutes deux ont choisi - scenographie et design de l'espace -, le cursus comporte une grande part d'activités manuelles (dessin au crayon, peinture, aquarelle...). L'occasion de rattraper son retard.

 

Gaëlle, elle, a déjà acquis de nombreuses techniques. Elle progresse sur un autre plan : " J'ai réalisé que j'étais très formatée avec mes études précédentes. J'étais habituée à reproduire plutôt qu'à créer, inventer... ".

 

Elle doit aussi améliorer son anglais - une faiblesse de la voie pro où l'on n'enseigne plus qu'une langue, avec peu d'heures. Elle va passer deux mois l'été en Irlande comme jeune fille au pair. A Nantes, elle suit aussi des cours particuliers. 

 

" Nous sommes ouverts à tous les bacs, souligne Frédéric Degouzon, le directeur Stratégie de l'école de design, mais les bacheliers professionnels restent marginaux. Ils viennent de filières spécialisées avec un bon bagage technique - nous avons eu par exemple un ébéniste qui a très bien réussi. Ce sont souvent des profils intéressants sur le plan humain, riches, avec une motivation d'enfer. "

 

Broadway

 

A Shanghai, Gaëlle et Marie-Astrid se sentent déjà dans leur élément. " J'ai l'impression d'être là depuis longtemps ", confie la première.

 

A deux ans du diplôme, toute deux cultivent leur rêve. Pour Marie-Astrid, c'est ouvrir un jour sa boîte de design dans le domaine du commerce et avant " participer une fois à la scénographie d'une comédie musicale à Broadway parce qu'on crée de la  magie. "

 

Gaëlle s'imaginer travailler en Chine ou dans un pays asiatique " car en France, c'est bouché " : " je pourrais, aménager des magasins éphémères, créer le concept, susciter l'événement autour "..

 

Ping-pong

 

Gaëlle ajoute qu'il lui faudra travailler vite. Pour financer ses études - les frais de scolarité de 7 200 euros par an, l'installation et la vie à Shanghai, etc. - , elle a contracté un prêt étudiant de 35 000 euros. Si elle l'utilise entièrement, il lui faudra rembourser 700 euros par mois à partir de 2020, pendant 4 ans.

 

En attendant, retour sur terre. Demain, Gaëlle et Marie-Astrid doivent rendre un travail autour du sujet : Comment rendre une table de ping-pong basique vendue par une grande marque, attractive pour une clientèle chinoise très exigeante. Pour finir à temps, elles vont travailler une bonne partie de la nuit.

 

Véronique Soulé

 

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Par fjarraud , le lundi 09 octobre 2017.

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