EPS : La course d’orientation en situation 

Quelle est la place de la Course d'orientation dans nos programmations d’EPS ? Quelles approches proposer aux élèves? Comment associer orientation et course ? Existe-t-il une hiérarchie entre ces deux dimensions fondamentales de l’activité ? Quels outils numériques pour quel(s) usage(s) ? autant de questions qui animent l’enseignant d’EPS. Justement, les éditions Revue EPS nous proposent dans la collection « l’EPS en poche » un ouvrage sur la Course d’Orientation. Les auteurs, Johann Rage et Nicolas Hayer répondent à nos questions.

 

La course d’orientation reste une activité peu programmée en EPS, 7% de l’offre de formation au Bac général et technologique pour la session 2016 contre 15% pour l’escalade. Sur l’ensemble du cursus, les APPN représentent 9%. Comment expliquer ce constat ?

 

On peut distinguer plusieurs obstacles.  D’abord matériel : même s’il existe des modalités de substitution ponctuelle, l’activité doit s’appuyer sur un support cartographique de qualité. Les équipes EPS n’ont pas toute à disposition des cartes de proximité (établissement, parcs municipaux, etc.). Si ces cartes existent, elles génèrent parfois une concurrence entre les établissements voire même entre les utilisateurs du premier degré et du second degré qui se retrouvent simultanément sur la même zone.  Les conseils départementaux peinent encore à considérer les cartes de course d'orientation (CO) comme un équipement sportif qu’il faut construire (et donc financer) et dont il faut ensuite coordonner l’utilisation et assurer la maintenance (mise à jour). Les clubs et/ou les comités départementaux permettent dans un certain nombre de régions de développer cette cartographie de proximité. Au-delà de ce type de carte, le problème est le même avec des cartes en zone naturelle et/ou forestière qui deviennent indispensable selon l’avancée dans le curriculum.

 

Secondairement, l’activité peut apparaitre comme un casse-tête organisationnel et sécuritaire : lourdeur de la préparation (traçage des parcours, des cartons corrections, des variables, etc.), absence de contrôle visuel, vérification des cartons de contrôle en direct, lutte contre le phénomène de locomotive-wagon (un penseur et des suiveurs), difficulté à gérer l’hétérogénéité dans l’instant, difficulté à produire des feedbacks sur des conduites qui se déploient loin de l’enseignant...

 

De plus, ce phénomène est renforcé par une jeunesse de l’activité dans les curriculums de formation. Nombre de collègues n’ont pas été initiés à l’activité durant leur formation. Aujourd’hui encore certains STAPS ne proposent pas cette activité. La diminution des formations continues est également un frein au développement de l’activité. A cet endroit nous saluons le courage de l’IGEN qui a retenu l’activité dans les épreuves du CAPEPS et de l’agrégation,  tout comme des initiatives plus locales comme celle de C. Gaudin et P. Chatonnay qui dans un module de formation à l’ESPE de Toulouse en M2 MEF EPS centré sur la formation à l’association sportive ont choisi comme activité support la CO (Revue EPS, 376).

 

Tout cela conduit à une découverte de l’activité qui se réalise parfois sur le tas, par obligation, par capillarité et reproduction. Ces modalités d’apprentissage conduisent parfois à un enseignement basique et limité de l’activité. Grossissant un peu le trait, la CO se limiterait parfois à des compromis de type pose des balises par les élèves, parcours étoile, faible incertitude et correction simple du carton de contrôle.

 

C’est un peu ce constat partagé avec  la Revue EPS, déjà présent dans certaines de nos productions, qui a présidé à la création de notre ouvrage. Il se veut  une modeste invitation à surmonter certains de ces obstacles. Ainsi nous tentons de prendre en charge les questions de la gestion du temps, des interactions, du matériel, du groupe et de l’espace en CO mais aussi celle du dilemme orientation versus course, de la réflexion sur son action ou des traçages, ….

 

Justement, la « course » reste souvent minorée par rapport à « l’orientation » dans l’enseignement de la CO, qu’en pensez-vous ? L’orientation est-elle vraiment un prémisse à la course ?

 

Le rapport orientation/vitesse est un dilemme essentiel de l’activité de l’enseignant et de l’élève. Il est courant d’observer parfois des cycles et des conduites très orientées course ou à contrario  des cycles plus orientation. Notre position est assez claire sur le sujet, l’orientation est primordiale, c’est elle qui va permettre d’aller vite. Trop souvent l’enseignant veut aller « trop vite » dans la progression en orientation (balises non adaptées aux compétences des élèves, peu de points d’appuis, points d’attaques, etc.). Pour autant cela ne signifie pas qu’il faille faire de l’orientation en premier cycle et introduire la vitesse dans un second cycle. Il s’agit d’être progressif à l’intérieur de la séance et de son cycle. Ainsi, lorsque nous abordons une notion technique (utilisation de point d’appui, saut, utilisation de visée sommaire...) pour la première fois, nous proposons d’abord des situations à réaliser dans un temps maximal à ne pas dépasser. Puis travaillant de nouveau le même thème, nous introduisons, la notion de réduction kilométrique qui est une valeur chiffrée à partie de laquelle les élèves peuvent comparer leur prestation sur différents parcours d’une même zone. Cette donnée est aujourd’hui facilement accessible en cours avec des applications smartphone. La dimension course peut aussi être sollicitée avec des formes de travail en chasse (un élève poursuivant un autre) ou en duel (deux élèves en sens contraire sur une même parcours).

 

Dans d‘autres cas, la notion de vitesse peut être abordée à travers la notion d’arrêt ou de seuil de vitesse minimal. Si nous disposons de GPS ou si les élèves ont un smartphone, on peut consulter les profils des vitesses, sous forme de coloration de la trace, utilisée par les élèves. Un objectif peut ainsi être de ne pas passer en dessous de x km/h ou de ne pas avoir de couleur rouge sur sa trace.

 

Si on s’intéresse à l’activité de l’élève il arrive souvent qu’un élève désorienté risque très vite de se détourner de l’activité, et marcher. A contrario, l’élève qui petit à petit s’oriente de façon de plus en plus pertinente va chercher à aller plus vite.

 

Enfin, dans la gestion du dilemme orientation/vitesse côté enseignant, Il ne faut pas oublier le poids du contexte matériel. Si l’enseignant ne peut avoir accès à des terrains procurant une part d’incertitude, il axera davantage son cycle sur la course et la précision avec des formes de travail spécifiques (cartes thématiques ou partielle, shaker, …).

 

Vous évoquez cette part de gestion importante pour l’enseignant dans l’activité, n’est-ce pas compliqué pour l’enseignant d’intervenir, d’aider ou même d’être à même de percevoir les choix des élèves ?

 

Si naturellement ! Comme tout le monde, nous n’avons qu’un cerveau et deux bras ! Ainsi l’une des pierres angulaires de notre pédagogie est de considérer qu’il faut déléguer un certain nombre de tâches aux élèves pour pouvoir susciter des moments d’interaction entre l’enseignant et les élèves ou entre les élèves entre eux. Secondairement, cette dévolution s’apprend, l’enseignant doit l’introduire progressivement et une tâche après l’autre. Par exemple,  le « kiféquoi » ou tableau de gestion des départs et arrivées est désormais bien connu des enseignants mais après une ou deux séances, les élèves peuvent très bien le remplir sans nous. Il en va de même pour la correction des cartons de contrôle qui devient rapidement  très chronophage dès lors qu’on multiplie les tracés pour gérer l’hétérogénéité des élèves. A un niveau plus élevé, situer son temps voire son allure dans une échelle de niveau devient possible si l’enseignant à construire une table des allures. Déchargé de certaines tâches, l’enseignant peut être plus disponible pour aider ces élèves, tenter d’accéder à ce que l’élève a fait loin de lui et faire survenir des points significatifs. Par exemple, faire décrire à l’élève commet s’est passé son itinéraire conduit souvent à constater une difficulté à l’approche du poste lorsqu’il s’agit d’être plus précis. On peut alors ré-appuyer sur une notion potentiellement introduite préalablement, celle de la nécessité de choisir un point d’attaque, élément qui doit être sûr et facilement visible.

 

Votre ouvrage est annoncé par les Editions Revue EPS comme une CO 2.0. Le numérique éducatif révolutionne-t-il  aussi la façon d’enseigner et d’apprendre pour l’élève ?

 

Il ne “révolutionne” pas la façon d’enseigner mais, c’est un formidable appui. Nous le voyons plutôt comme un levier notamment dans l’analyse réflexive de son activité par l’élève. Cependant comme précédemment, intégrer les outils numériques suppose un apprentissage et une progressivité. Au début nous utilisons par exemple des applications smartphones qui à l’aide de la lecture de QR code,  remplacent dans ce cas les balises à trouver, donnent automatiquement les temps intermédiaires entre chaque poste. A la lecture de ces infos, l’élève ou nous-même pouvons être capable d’identifier rapidement une portion de parcours problématique et donc de concentrer nos échanges sur ce moment.  Ces temps intermédiaires créés sont aussi un facteur de motivation. Par exemple, même si je n’ai pas le meilleur temps d’un parcours, je peux avoir le meilleur temps sur un partiel et donc me rendre compte que je suis compétent mais qu’il me reste à multiplier ces moments de compétence.

 

Plus tard dans le cycle ou dans un second cycle, nous introduisons les suivis GPS soit à l’aide d’application smartphone en version limitée mais gratuite, soit à l’aide de montre GPS. Il va de soi que nous sommes conscients des réalités budgétaires et que nos propositions s’entendent sous forme d’atelier où un 2 ou 3 élèves travaillent de la sorte tandis que le reste du groupe  travaille sur une autre tâche. Ce travail avec la technologie GPS vise à générer ce que nous avons pu appeler la verbalisation et l’analyse de son activité et celle des autres, objectif éducatif souvent affirmé dans les textes mais rarement opérationnaliser. Ce type d’apprentissage autorise l’accès partiel aux conduites des élèves, mais il leur permet aussi de réfléchir sur leurs styles d’orientation, leurs erreurs ou atouts. Cela permet aussi en consultant ou discutant sur  les trajets des autres d’enrichir sa façon de concevoir la carte ou des itinéraires.

 

Les outils numériques sont donc un puissant outil dans notre système mais  attention à la lecture de notre ouvrage, certains critiques compréhensibles, ont pu regretter que toutes les situations de l’axe 4 (verbaliser et analyser son activité et celles des autres) nécessitent un outil technologique ce qui laisserait sous-entendre que c’est l’outil qui permet de concourir à l’axe. Ce n’est pas le cas, l’outil numérique est au service de cet apprentissage et d’ailleurs certaines propositions concourant à cet axe ne s’appuient pas sur e numérique.

 

Dans la troisième partie de votre ouvrage, vous consacrez de nombreuses pages aux différentes formes de parcours possibles en Course d’Orientation. Pourquoi ?

 

Comme évoqué précédemment, par adaptation matérielle ou par méconnaissance, les enseignants privilégient souvent les parcours étoile, papillon, les courses au score. Il existe pourtant de nombreuses autres formes intéressantes qui vont faciliter la gestion organisationnelle de la séance, la gestion de l’hétérogénéité ou la sécurité. Ces différentes formes de parcours sont une véritable variable didactique que l’enseignant peut moduler en fonction de ces objectifs : les cartes thématiques, les surlignés, les corridors peuvent concentrer le travail sur l’identification et le suivi de nouvelles lignes ou éléments dans la navigation, le jalonné peut permettre de sécuriser une navigation ou de concentrer l’attention sur des éléments pouvant servir de point d’appui, les pose-dépose ou les grappes de balises peuvent permettent un travail sur la précision du repérage, les circuits patates ou boucle phi peuvent éviter que les élèves se suivent trop. De plus, ces parcours sont également facilitateurs dans la gestion organisationnelle de la séance, permettant des retours échelonnés des élèves (et donc adapté à une meilleure gestion de l’hétérogénéité). Il ne faut pas oublier également que le travail en mini-parcours est un gage de sécurité, notamment lorsque les élèves commencent à travailler en solo (cf eps 355 Martin Mottet). Il est vrai que pour construire certains types de parcours, les enseignants doivent maitriser des logiciels de traçage (dont la plupart sont gratuits, et dont il existe une multitude de tutoriel). L’obstacle n’est pas insurmontable !

 

Dans le livre vous n’évoquez pas les EPI ?

 

C’est vrai et plus généralement nous n’avons pas abordé les potentialités transdisciplinaires de l’activité. Elles sont pourtant nombreuses. La CO peut permettre de concrétiser certaines notions mathématiques, civiques , biologiques, informatiques ou historiques et géographique. Deux exemples récents nous viennent à l’esprit. Un EPI centré sur la découverte du patrimoine minier du Nord au sein duquel des élèves effectuent des visites et de la navigation dans leur ville ou encore un EPI finalisé par la réalisation par les élèves d’une véritable carte d’orientation de leur environnement proche sollicitant les mathématiques pour les distances et les angles, l’informatique avec le logiciel de cartographie et le travail collaboratif, le français avec un langage commun et spécifique. Enfin, sans être un EPI nous ne pouvons passer sous silence les travaux de B. Faillard sur l’éducation à l’environnement et au développement durable.

 

Une circulaire sur les APPN a été publiée en fin d’année scolaire, elle place les intervenants dans un cadre très précis. Quelles conséquences pour l’enseignement de la  Course d’orientation ?

 

Comme l’a révélé le rapport André - Quenet, les APPN ne sont pas les activités les plus « accidentogènes » mais la gravité et l’impact émotionnel des accidents générés par ces activités justifient un traitement particulier. Cette circulaire vient rappeler à chaque enseignant une exigence de sécurité, le fait qu’on ne peut pas faire n’importe quoi. De ce point de vue les travaux académiques sur les protocoles de sécurité vont venir préciser localement et par activité les notions anciennes et floues de « bon père de famille », de « conditions matérielles », de « consignes données aux élèves » et de « maitrise du cours » présentes dans la note de service de 1994 ». D’un autre point de vue, cette circulaire ne va-t-elle pas agir comme un repoussoir et générer un frein au développement de l’enseignement de la CO et des APPN en général, voire enfermer ces pratiques dans des modes d’évolution restrictif : le bloc pour l’escalade, le parc ou le binôme pour le CO ? Ainsi, et d’ailleurs le rapport Andrieu-Quenet l’évoquait,  une véritable formation initiale et continue des enseignants ne devrait-elle pas être engagée rapidement ?  Proposer une carotte et pas seulement un bâton ! Le travail sur les PASS doit être distingué de cette exigence de formation. Dans cette perspective, en CO, la compétence de traçage -c’est-à-dire bien distinguer ce que peut constituer la complexité et/ou la difficulté d’une balise ou d’une succession de balises -  nous semble ainsi fondamental. Dans le livre, nous avons dans ce sens, proposé une synthèse de la méthode fédérale qui est un formidable document pour les enseignants.  Faire tracer les enseignants en relation avec les différents niveaux de cette méthode (hiérarchisé selon un système de couleur), leur faire éprouver leur tracé, voilà un élément qui devrait faire partie des futures formations.

 

Plus que la récente circulaire sur les APPN, c’est la nouvelle définition de l’environnement montagnard qui nous semble très préoccupante (Arrêté du 6 décembre 2016). Si l’on s’en tient à la stricte lecture de ce texte, encadrer la CO dans un milieu naturel situé à une altitude supérieur à 800 mètres ou 1000 mètres selon les massifs serait assimilable à de l’alpinisme, activité qui est naturellement exclue des prérogatives des enseignants d’EPS….

 

En continuant sur ces questions sécuritaires, quelle est votre position sur l’utilisation des binômes comme forme privilégié de groupement ?

 

Nous sommes résolument contre le binôme comme modalité sécuritaire. M. Mottet a formidablement bien défini la notion de « seul mais jamais isolé » qui permet de trouver le compromis entre sécurité et respect de l’activité (Revue EPS n°355). Nous souhaitons amener  l’élève à prendre des décisions, les réévaluer, s’engager, respecter des horaires, etc. le plus souvent possible seul.

 

Cela ne signifie pas que nous rejetions cette modalité de groupement. Nous l’utilisons par exemple pour obtenir des informations sur l’élève que nous ne pouvons voir : un des éléments de la doublette remplissant une tâche de « rapporteur » à l’aide d’une fiche. D’une manière générale, lorsque nous utilisons le binôme, chaque élève n’a pas la même tâche à faire et ne travaille pas la même compétence.

 

Il s’agit de percevoir avant tout l’activité comme un formidable levier pour amener l’élève vers plus d’autonomie, vers une pratique raisonnée lui permettant de s’engager. S’orienter seul, s’est amener l’élève à prendre des décisions, les réévaluer, s’engager, faire des choix, renoncer, respecter les horaires, etc.

 

Propos recueillis par Antoine Maurice et Benoît Montégut

 

Johann Rage, Nicolas Hayer, La course d'orientation en situation, EP&S Editions, 2017, ISBN 978-2-86713-538-5

 

L’ouvrage

Commission nationale évaluation EPS 2016

Bernard André « Réflexions sur l’EPS » AEEPS Octobre 2014

 

 

 

Par fjarraud , le jeudi 23 novembre 2017.

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