La chronique de Véronique Soulé : Mylène de Sainte Marie : Compétences sociales en CP  

Apprendre à lire et à écrire en CP sans avoir peur de se tromper, en s'entraidant et dans le plaisir : c'est le défi qu'a fixé pour sa classe Mylène de Sainte Marie, enseignante en CP à Paris, partisane de la pédagogie Freinet et de la communication non violente. Son projet figurait parmi ceux retenus au 10ème Forum des Enseignants innovants organisé par le Café pédagogique  les 2 et 3 février derniers. Reportage dans sa classe un matin.

 

Il est 8 heures 35. Les enfants sont maintenant tous arrivés. Ils ont accroché leurs manteaux à l'entrée. Certains sont allés s'asseoir à leur bureau, d'autres circulent entre les tables. C'est le moment de "la minute de retour à soi". "Préparez-vous", prévient doucement Mylène de Sainte Marie, la maîtresse de CP B, en attendant que chacun s'installe bien à sa place. Puis elle éteint la lumière.

 

"Je choisis si je ferme les yeux, je sens ma respiration...", commence-t-elle. Tous les enfants ont la tête posée sur leurs bras croisés. On entendrait voler une mouche. "Je sens l'intérieur de mon corps, s'il y a un endroit où ça picote..." Le sablier indique que la minute est écoulée. On rallume.

 

Enseignante depuis quinze ans, Mylène de Sainte Marie pratique la pédagogie Freinet. Ces dernières années, elle s'est en outre formée à la communication non violente. Convaincue que l'on apprend mieux en gérant mieux ses émotions, elle était venue présenter son projet au Forum des enseignants innovants - sous l'intitulé "Développer les compétences psychosociales à l'école".

 

Rituels

 

Après "le retour à soi", suivent les rituels du matin. Les enfants échangent des nouvelles  - "Je suis contente parce que mon père va peut-être devenir commandant, il conduit les avions"... Puis on fait le point des anniversaires du mois, des sorties à venir.

 

"Vous prenez votre ardoise", annonce l'enseignante. Elle dicte lentement une phrase : "L'oiseau fait dodo dans son nid". Malgré la difficulté, quasiment tous les élèves se lancent et écrivent sur leur tablette blanche. Mylène de Sainte Marie rappelle qu'ils peuvent s'aider en regardant le "mur à mots" - une série de mots usuels affichée sur un panneau.

 

Edgar brandit sa tablette. Il a écrit tous les mots - avec des fautes mais la phrase est difficile. La maîtresse lui demande d'aller aider une camarade qui peine à former des lettres. En calcul, les plus forts iront aussi à la rescousse des plus faibles. Dans cette coopération entre élèves, on retrouve les bases de la pédagogie Freinet.

 

Bonnet

 

 Au retour de la récréation se tient un "conseil d'enfants", autre temps fort de la pédagogie Freinet. Les élèves s'assoient en cercle. Aujourd'hui c'est Lisa qui préside. Puis ceux et celles qui le souhaitent font des propositions sur des sujets leur tenant à coeur.

 

Ce jour-là, l'attitude d'Antoine, un enfant en situation de handicap, accompagné quinze heures par semaine par une AVS (auxiliaire de vie scolaire), occupe une partie des débats. Plusieurs petites filles se plaignent qu'il les tape dans la cour.

 

"Comment aider Antoine pour qu'il ne frappe plus ?", demande Mylène de Sainte Marie. Ici, elle a recours à la communication non violente : "on établit les faits et à partir de là, chacun a sa part de responsabilité et répare".

 

Antoine rappelle qu'il s'est excusé. Mais il a continué. Les propositions se succèdent. "On peut le laisser seul pendant une semaine",  "Il pourrait dessiner sa colère sur un brouillon, le froisser, le déchirer..." "S'il a envie de taper, il pourrait taper avec son bonnet dans les airs..." La dernière proposition semble faire consensus. Antoine est d'accord. Mise au vote, elle est adoptée.  "Je remercie Antoine car ça me fait plaisir qu'il promette d'arrêter de taper", conclue Sarah. 

 

Tente

 

On passe à la récitation. Mylène de Sainte Marie part souvent de textes inventés par les élèves "parce qu'ils font sens pour eux". Celui-ci évoque la nouvelle année : "Bonne année à toutes les choses (...), à tous ceux qui m'aiment et tous ceux qui ne m'aiment pas "...

 

Appelée à réciter, Mounia reconnaît qu'elle n'a pas appris - "J'ai pas le temps, ma mère me dit d'aller me coucher". L'enseignante demande qui veut l'aider à apprendre, en prenant le temps le matin en arrivant. Plusieurs élèves se proposent. Mounia choisit Cannelle.

 

C'est au tour de Line de réciter. Elle bute sur une phrase, se reprend, bute à nouveau. Elle termine puis se met à pleurer en silence. La maîtresse n'a même pas besoin de lui dire : Line part se réfugier dans la petite tente à l'entrée de la classe. Et met le sablier : 10 minutes pour retrouver son calme.

 

Emotions

 

L'école primaire de la rue Dunois, dans le 13è arrondissement, est une école "à aires ouvertes". Les classes n'ont pas de porte. A chaque étage, elles sont réparties en étoile autour d'une vaste pièce palière meublée de tables et de chaises, où les élèves des différentes classes peuvent se retrouver.

 

Entre la classe de CP B et celle, voisine, de CM1, il y a aussi une salle d'activités. Afin de s'isoler un peu, sur un côté, chaque classe dispose d'une cloison coulissante.

 

Sur la pièce palière, les élèves de la classe de Mylène de Sainte Marie peuvent aller sous la petite tente quand ils sont submergés par la colère, la tristesse... Il y a aussi "la boîte à émotions" où, pour les aider à surmonter le trop-plein, ils trouvent un doudou, de la pâte à modeler, des perles, un livre...

 

Parents

 

Mylène de Sainte Marie est-elle une enseignante plus "efficace" que d'autres aux  méthodes plus classiques ? Ses élèves apprennent-ils plus vite et mieux à lire, écrire et compter ? Comme cela a été évoqué lors du débat avec Philipppe Meirieu, le 3 février au Forum, l'éducation nationale a tendance à demander davantage de comptes à ceux et celles qui innovent.

 

"Ce que je sais, explique l'enseignante, c'est que les enfants sont plus épanouis, ils ont davantage confiance en eux et ils osent prendre des risques (de se tromper). Et lorsqu'il y a bien-être et plaisir d'aller à l'école, cela facilite l'entrée dans les apprentissages."

 

Mylène de Sainte Marie ajoute que la communication non violente l'aide aussi comme enseignante : "Cela a changé ma relation aux élèves et encore plus aux parents à qui j'explique ma démarche. Maintenant je suis tranquille pour accueillir leurs peurs, leurs colères... Une fois, une maman m'a même félicitée : "Alors vous, vous savez accueillir les parents !". Si ce n'est pas le plus spectaculaire, c'est sans doute l'une des clés de sa pédagogie.

 

Véronique Soulé

 

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Par fjarraud , le lundi 05 février 2018.

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