Maths : Le rapport Villani dévoilé aujourd'hui 

Comment améliorer le niveau des jeunes Français en maths ? L'enjeu est de taille après la publication de l'enquête internationale Timms.  Lancée par JM Blanquer pour revoir les programmes de maths, et court circuiter le Conseil supérieur des programmes (CSP), la commission Villani remet le 12 février son rapport.  Mais les premières fuites organisées dans la presse donnent l'impression d'une commission très orientée.

 

Des résultats sans appel

 

Les résultats de Timss sont sans appel : en fin de CM1, les jeunes français ont un niveau nettement inférieur à la moyenne des 49 pays participant à l’enquête internationale TIMSS évaluant les compétences en maths et en sciences. En Europe la France se retrouve tout à fait en bas du tableau, 22ème sur 22. Un score épouvantable et qui doit faire réagir l'Education nationale.

 

Même si les élèves évalués n'ont connu que les programmes de 2008, le ministre a marqué sa défiance envers le CSP en confiant au mathématicien et député En Marche, Cédric Villani la présidence d'une commission où l'autre acteur principal est l'inspecteur général Charles Torossian.

 

Une commission orientée

 

La composition de la commission comme ses consultations interrogent. Coté consultations, la commission a largement écouté les startups. Sa composition montre des choix arrêtés. On aurait pu y trouver des didacticiens des maths et des enseignants du premier degré. On y trouve surtout Pascal Dupré, responsable d'un groupuscule conservateur (le Slecc) hier soutenu par Darcos et Dorothée Badinier, éditrice française de la méthode de Singapour, entourés d'une auteure franco-américaine de shows mathématiques, de Thierry Dias "Best Science Teacher 2015" et de nombreux informaticiens.

 

Il ne serait donc pas surprenant de voir la "méthode de Singapour" mise en avant du moins dans sa version française dans le rapport avec quelques bonnes vieilles méthodes.

 

La vérité sur la méthode de Singapour

 

Or une étude de Christine Chambris (université Cergy) pour le bulletin de la CFEM a vivement critiqué cette édition française de la méthode de Singapour. C Chambris relève d'abord que à sa connaissance " il n’y a pas de travaux de recherche publiés en didactique des mathématiques, en France, et très peu dans le monde occidental, relatifs à la méthode de Singapour".

 

" Plusieurs pays semblent avoir importé la méthode de Singapour (en réalité, des éditeurs ont traduit, adapté et commercialisé des manuels, parfois apparemment à partir d’une adaptation faite pour les Etats-Unis). Il semble y avoir peu de suivi des effets, par la recherche. J’ai recensé une thèse, aux États-Unis (soutenue en 2015). A la lecture, la « méthode » est accompagnée d’un dispositif de formation (une semaine l’été et quatre sessions en cours d’année de durées non indiquées). La méthodologie est peu claire, avec des biais possibles indiqués relativement à l’implication du chercheur dans le dispositif. Ceci étant dit, les résultats semblent montrer que contrairement à l’habitude, les écarts entre pauvres et riches sont réduits mais la réussite en moyenne n’est pas significativement plus grande avec la méthode que sans".

 

C'est que la vraie méthode de Singapour c'est 100 h de formation chaque année pour tous les enseignants du premier degré. On pourra les comparer aux 9 heures décidées exceptionnellement pour cette année en cycle 3 en France. En temps ordinaire et pour les autres professeurs des écoles on est nettement en dessous. C Chambris montre que la méthode est difficilement adaptable à cause de biais culturels nationaux comme la dénomination des nombres en français qui nuit beaucoup aux apprentissages.  Elle montre aussi de nombreux défauts dans la version française, finalement assez mal adaptée.

 

L'analyse de R Brissiaud

 

Rémi Brissiaud a publié dans le Café pédagogique plusieurs articles critiques sur les travaux de la commission. Pour lui, " pour la Grande Section et le début du CP, l’appellation « méthode de Singapour » apposée à des ouvrages commercialisés en France, constitue une véritable arnaque : les activités proposées sont basées sur le comptage-numérotage, elles sont à l’opposé de ce qui se fait réellement à Singapour (Brissiaud 2017). De manière générale, la culture pédagogique des pays asiatiques est proche de celle de notre pays entre 1945 et 1986 et on n’imagine pas l’école de Singapour enseigner le comptage-numérotage. De fait, quand on compare la soi-disant « méthode de Singapour GS » commercialisée dans notre pays avec les ressources que l’éditeur de la méthode originale publie pour le Kindergarten, l’écart est considérable. En France, aujourd’hui, il n’y a pas pire méthode pour la GS que celle qui se dit « de Singapour ». Le guide pédagogique du CP, lui, est un véritable cours d’enseignement du comptage-numérotage selon les principes de Rochel Gelman.

 

Alors que les programmes récents ont fixé le cadre pour un renouveau de la pédagogie du nombre en France, alors que les recherches récentes en sciences cognitives confortent ce mouvement de renouveau, la mise en avant du comptage-numérotage via la traduction française de la méthode de Singapour, risquerait d’annihiler cet espoir de renouveau."

 

Le retour irréaliste des 4 opérations dès le CP

 

Si l'on en croit le Journal du dimanche du 4 février et Le Figaro du 12, le rapport Villani recommanderait aussi les 4 opérations dès le CP, ce que JM Blanquer recommandait dès septembre. Il reviendrait ainsi aux programmes de 1945, comme l'a montré R Brissiaud dans un article du Café pédagogique. " En fait ce qu'il demande nous ferait remonter au programme de 1945 qui mettait toutes les opérations en CP. Du moins en théorie, car en réalité j'ai démontré, notamment dans un article du Café qui reprend tout l'historique, que les enseignants à l'époque n'enseignaient pas la division en CP. En 1970 il y a eu une réforme qui supprimé multiplication et division du Cp et Ce1. La division était enseignée en Ce2. En 2002 la division se retrouve en cm2 et certains plaident pour la 6ème. En 2006 je me bats dans le Café pédagogique pour que la division soit enseignée en ce2. Et j'ai gain de cause avec les programmes de 2008 pour les nombres à un chiffre. En 2016 les nouveaux programmes enseignent la division au ce2 pour les nombres à un chiffre et deux chiffres simples comme 10, 25 ou 50".

 

Pourquoi ce retour en arrière ? " Aujourd'hui personne n'agite ce débat là... J'imagine qu'il prend toujours conseil auprès des rétronovateurs, tout un courant qui demande le retour aux programmes de 1945. Ils ignorent qu'en fait ce programme n'a jamais été appliqué par les instituteurs comme j'ai pu le démontrer. Ils enseignaient la division en ce2. Il n'y a pas de paradis pédagogique perdu... Enseigner la multiplication dès le Cp serait une mauvaise idée aussi. L'année de CP est déjà très chargée. En France on fait compter les élèves jusqu'à 100 alors qu'en Finlande par exemple on s'arrête aux 20 premiers nombres".

 

Pour Rémi Brissiaud, " c'est hors de portée si on enseigne vraiment la division. Il faut travailler le sens des opérations avant de travailler les opérations. JM Blanquer prend le risque de décourager les professeurs qui viennent juste de découvrir les nouveaux programmes de 2016. Au bout d'u an seulement on leur annonce un changement profond. Ce n'est raisonnable à aucun point de vue".

 

Domestiquer les enseignants

 

Que resterait -il de la réforme Villani ? Le rapport préconiserait la fin des cycles au profit de "repères annuels". Les enseignants du premier degré verraient leur travail contrôlé par 3 évaluations nationales annuelles. Dans un cadre aussi étroit ils devront suivre la méthode unique imposée par le ministère. Sous prétexte de relever le niveau des élèves en maths, le rapport fait le choix de promouvoir une transformation du métier enseignant plutôt qu'une formation vraiment renforcée des enseignants.

 

François Jarraud

 

Christine Chambris

Rémi Brissiaud

Sur le JDD

Résultats de Timms

Sur les 4 opérations dès le CP

 

 

Par fjarraud , le lundi 12 février 2018.

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