François Jore : La pédagogie inversée en EMC 

Comment mettre en pratique la citoyenneté au collège ? En quoi l’approche inversée permet-elle de gagner du temps pour réaliser des projets ? François Jore, professeur de français et d'histoire-géographie-EMC au collège Pierre de Dreux à Saint-Aubin-du-Cormier (35) ne manque pas d’idées pour stimuler ses collégiens. De ses premières capsules à des projets plus intégrés, il accorde une place importante à la carte mentale pour cibler les notions clés. Ses collégiens de 3ème travaillent sur l'image et la vérité  à partir du canular « Opération lune » de William Karel. Rôle du montage et théorie du complot, l’esprit critique des élèves est mis à rude épreuve. « L'idée générale est de démontrer que nous sommes souvent passifs devant des images animées ». D’autres projets solidaires ou des enquêtes sur les sondages rythment aussi l’année scolaire de cet enseignant « qui expérimente de plus en plus. »

 

Pourquoi ce choix de pédagogie inversée en Enseignement Moral et Civique ?

 

En EMC, l'idée d'avoir recours aux capsules est venue progressivement. Je souhaitais sortir du cours traditionnel d’éducation civique trop centré sur des études de documents. Je voulais mettre davantage en pratique la citoyenneté au collège et mener de nouveaux projets. Mais pour cela, il me fallait dégager du temps. Le contenu disciplinaire en EMC n'est pas trop dense, ni trop compliqué, il peut être traité simplement par une courte vidéo, d’où l’idée d’utiliser la pédagogie inversée.

 

Comment réalisez-vous vos capsules ?

 

J'utilise Powtoon. Ce site internet ne nécessite pas de compétences informatiques et est assez simple à prendre en main. Il offre de nombreuses possibilités dans sa version gratuite. Je me suis inspiré des capsules canadiennes qui sont souvent très bien faites. Un peu d'expérience avec des logiciels de montage vidéo m’a été utile pour le rythme des diapos.

 

Je commence par l'écriture du texte, puis sa mise en voix. Cette étape est la plus difficile pour moi. Comme il n'y a pas d'interface humaine, de langage non verbal, tout le message doit passer par le verbal. Ce n'est pas aisé de trouver le bon ton, ni trop professoral, ni trop animateur de radio pour les jeunes ! Une voix claire et souriante, énergique mais posée, convaincante avec un rythme qui laisse des respirations, ce n'est pas si simple ! Mes premières capsules n'ont pas de mise en voix ou j'ai demandé à des personnes plus qualifiées que moi. Depuis, la réalisation de capsules est devenue un plaisir. Cette activité de création est très enrichissante. La création d'une vidéo de quatre minutes me prend une dizaine d’heures. Aussi, si la capsule d'un collègue me satisfait, je n'hésite pas à l'utiliser.

 

Les élèves regardent-ils tous les capsules avant le cours ?

 

Pour ma première capsule, je n'avais pas exigé de travail particulier. Je me suis rendu compte que les élèves n'étaient pas nombreux à l’avoir vue. Je ne souhaitais pourtant pas leur demander de répondre à un questionnaire, avec des réponses faciles à recopier sur un camarade. Consacrer un temps en classe pour le corriger ne m'apparaissait pas non plus pertinent.

 

Les cartes mentales m'ont semblé plus appropriées et plus utiles. Elles procurent plusieurs avantages. On voit tout de suite si un élève a recopié, s'il a compris, s'il y a des contresens... Cette activité de transfert permet surtout de mémoriser davantage le contenu disciplinaire. Atout supplémentaire, la fiche de révision est prête dès le début du chapitre ! Mes élèves ont déjà appris à les réaliser pour s'approprier un cours de grammaire en français. Pour les plus jeunes, les moins familiarisés avec cet outil, il m'arrive de donner le début de la carte avec les branches principales.

 

Comment évaluez-vous ce travail élaboré par les élèves ?

 

Les cartes mentales sont toujours corrigées. Certains oublient une partie des informations essentielles ou font quelques erreurs. En revanche, elles ne sont pas toujours évaluées. Parfois, j'évalue la compétence «  se constituer des outils de travail personnel » du domaine 2 sur les méthodes et les outils pour apprendre. Une autre fois, je la note. Il n'y a pas de règles.

 

Pouvez-vous nous donner un exemple d’activité mise en place grâce à la pédagogie inversée ?

 

Nous faisons depuis deux ans avec une collègue de français, Sophie Bataille-Haquin, un EPI sur l'image et la vérité avec une classe de troisième. Nous analysons en lien avec nos programmes des images qui ne disent pas la vérité afin de réaliser un site internet sur ce thème.

 

En EMC, les élèves étudient une capsule sur les médias chez eux. Je profite du temps gagné pour leur faire voir le « documenteur »  « Opération lune » de William Karel, qui s'amuse à remettre en cause les vidéos des Américains tournées sur la lune. Évidemment, je ne fais aucun commentaire, puis suite à la projection, je prends appui sur leurs réactions pour revenir sur certaines scènes clés. Nous examinons particulièrement le rôle du montage. L'idée générale est de démontrer que nous sommes souvent passifs devant des images animées et qu'il est toujours indispensable d'exercer notre esprit critique. Cela permet aussi d'aborder les théories du complot.

 

Et sur les sondages, comment abordez-vous cet aspect ?

 

Je voulais montrer à ma classe de troisième que les questions d'un sondage peuvent être manipulées, mal posées et qu'il fallait réfléchir, ne pas prendre tout pour argent comptant. J'ai récupéré un sondage qui date d'une dizaine d'années sur les jeunes et la politique. Les questions étaient maladroites, je les ai adaptées et j'en ai ajoutées d'autres. J'ai demandé aux élèves d'y répondre sur notre plate-forme Moodle puis nous avons travaillé sur celles qui posaient problème et sur les interprétations erronées qui pouvaient en découler.

 

Quels sont les projets mis en place au collège avec cette pédagogie, pour quel bilan ?

 

Avec ma collègue d'histoire-géographie, Agnès Mélennec, nous avons par exemple mis en place différentes actions de solidarité avec nos classes de cinquième. Les élèves collectent le pain non consommé à la cantine pour l'association « du pain contre la faim 35» qui le transforme ensuite en chapelure. Ils participent également à la récolte de jouets pour les « Pères Noël verts » du Secours Populaire. Les collégiens écrivent une lettre aux parents, réalisent des affiches et organisent la collecte.

 

Nous organisons aussi dans tout le collège une heure sur la laïcité. Toutes les classes de troisième présentent la charte de la laïcité aux autres classes à l'aide de diaporamas, de saynètes.

 

Je réussis à consacrer du temps à ces projets chronophages grâce au visionnage du cours avec les capsules. Le bilan est très positif. Nous avons de bons retours de l'ensemble de la communauté éducative. Les actions permettent aux élèves de s'impliquer et c'est valorisant pour eux. La présentation de la charte est en outre un bon exercice de préparation à l'oral du brevet.

 

Quel regard avez-vous sur les programmes d'EMC au collège depuis 2016 ?

 

J’ai le sentiment d’être plus libre dans mes pratiques pédagogiques avec ces nouveaux programmes. J’expérimente plus. De nouveaux outils pédagogiques comme le dilemme moral renouvellent mon enseignement. La pédagogie inversée en EMC me permet de me lancer dans des projets plus ambitieux, de rendre plus concrètes des notions parfois abstraites pour les élèves, plus vivante l'éducation à la citoyenneté. Ces nouvelles pratiques de l'EMC se font de plus en plus hors les murs, en dehors de la classe. Elles impliquent tout le collège et participent à son dynamisme.

 

Entretien par Julien Cabioch

 

Image et vérité

 

 

 

Par fjarraud , le vendredi 15 juin 2018.

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