Perrine Grandclément et Lucas Simon-Malleret : L’évaluation par capitalisation en EPS 

Comment intégrer l’évaluation au processus d’apprentissage ? Comment baliser et renseigner le parcours de formation de l’élève ? Perrine Grandclément, professeure agrégée à l’UFR Staps Lyon 1 et Lucas Simon-Malleret, professeur agrégé au Collège S. de Beauvoir de Créteil présentent leur travail sur l’évaluation par capitalisation. « L’évaluation par capitalisation nous apparaît pouvoir constituer un dispositif à la fois signifiant - pour (re)donner confiance aux élèves face aux apprentissages »

 

En quoi consiste l’évaluation par capitalisation ?

 

C’est une façon d’intégrer l’évaluation au processus d’apprentissage afin de baliser et de renseigner le parcours de formation de l’élève. Le premier principe sur lequel repose l’évaluation par capitalisation est d’évaluer en continu et en direct, tout au long de la séquence d’apprentissage. Ce mode d’évaluation sécurise l’élève dans son parcours puisque chaque point gagné l’est définitivement, il ne peut qu’en gagner d’avantage à force de persévérance et d’entrainement. D’où le second principe qui est de laisser un temps suffisamment long pour se voir progresser et apprendre. Dans ce cadre, l’erreur peut être dédramatisée et envisagée comme une partie intégrante du processus d’apprentissage. On a le droit de se tromper avant d’atteindre chaque étape et objectif du processus.

 

Comment voyez-vous ce processus d’apprentissage ?

 

Cibler les acquisitions visées est garant de la réussite des élèves à un meilleur niveau de compétence. Lorsqu’on évalue par capitalisation, il s’agit de conserver un même objet d’enseignement sur plusieurs leçons d’affilées. Pour nous, être compétent c’est être capable de faire la même chose dans des contextes de plus en plus contraignants. Alors, nous inscrivons l’évaluation par capitalisation dans une logique de construction d’un cycle – ou séquence d’enseignement – par imbrication. Dans cette logique, le troisième et dernier principe, est d’échelonner, c’est-à-dire de baliser le parcours d’apprentissage pour chaque objet d’enseignement et d’y associer un nombre de points à gagner. C’est ce qui va permettre à l’élève de se voir progresser.

 

Pour résumer, l’évaluation par capitalisation, c’est une façon d’évaluer en continu et en direct qui donne le droit à l’erreur et valorise la persévérance de l’élève. Nous avons déjà testé et expérimenté ce dispositif créé depuis 2015 (cf article paru dans la Revue EPS n°365) en gymnastique, en demi-fond et plus récemment en acrosport.

 

Concrètement, comment opérationnaliser ce travail dans l’activité acrosport par exemple ?

 

Si on prend pour exemple une séquence d’enseignement de 10 leçons en acrosport, et dans l’optique de laisser à tous les élèves le temps d’apprendre, il s’agit de les engager sur une progression organisée en trois étapes (ÉCHELONNER). Chaque étape est balisée par un « passage obligé » (PO) qui poursuit un objectif commun (CIBLER…) qu’il s’agit d’atteindre en quatre à cinq leçons consécutives (…ET LAISSER DU TEMPS) afin d’accéder en fin de parcours à la présentation collective d’un enchaînement de pyramides. Chaque PO est aussi jalonné d’étapes clairement identifiées à évaluer en continu et en direct qui permettent aux élèves de gagner des points (CAPITALISER) et de se voir progresser.

 

C’est-à-dire ? Quel est le premier « passage obligé » ?

 

Dans cet exemple en acrosport, le premier PO est de « gagner en difficulté » à travers la validation de pyramides de plus en plus difficiles à construire collectivement et de façon sécurisée. Pour ce faire, le code doit structurer l’activité des élèves. Aussi, les pyramides sont classées par problèmes moteurs et définies selon trois verbes d’action significatifs pour les élèves (« se renverser », « aller vers le haut » et « s’équilibrer en compensant les masses »). Encore une fois, pour les élèves, il s’agit de faire la même chose dans des conditions de plus en plus contraignantes (cf notre définition de la compétence). Alors, les pyramides les plus faciles peuvent se réaliser plus bas, de manière redressée et avec des nombreuses aides pour enfin aller vers plus de hauteur, de renversement et avec une aide qui intervient ponctuellement – voire plus du tout.

 

Tout cela est constitutif du code qui accompagne les progrès des élèves et leur permet de gagner de plus en plus de points en même temps qu’ils persévèrent, dépassent les difficultés de départ, trouvent une organisation collective fonctionnelle, la fixent, avant d’oser aller sur la pyramide de difficulté supérieure. Pour gagner les points, et avoir le droit de travailler une pyramide plus difficile, ils doivent valider une réalisation maîtrisée trois fois au cours d’une même leçon (du montage au démontage). D’un niveau de difficulté à l’autre, les élèves répètent toujours les mêmes actions, tout en se confrontant à des conditions de réalisation de plus en plus contraignantes. De cette manière, la répétition permet une réelle stabilisation des acquis. Chaque leçon est alors l’occasion de revenir sur le dernier niveau atteint, d’essayer d’aller plus loin et de découvrir une nouvelle famille de pyramides. Puisqu’ils ont au moins quatre leçons pour gagner le plus de points, c’est aux élèves de s’organiser collectivement pour y parvenir. Chaque point gagné le reste, ce qui leur permet d’oser s’engager sur des niveaux plus ambitieux tout en sachant précisément le temps qu’il leur reste pour y parvenir.

 

Quelles évolutions à l’issue de cette première étape ?

 

 À l’issue de cette première étape (1er PO), tous les élèves maîtrisent plusieurs pyramides qui leur ont déjà fait gagner un maximum de points. À leur rythme, ils parviennent à accéder ensemble à la 2nde étape qui est de « gagner en fluidité » dans la construction collective d’un enchaînement acrobatique orienté en fonction d’un public (2ème PO).

 

« Gagner en fluidité », c’est-à-dire ?

 

Cette fois, il s’agit de structurer l’activité de composition des élèves pour valider, par capitalisation, la capacité à construire collectivement un enchaînement et à le présenter. Les étapes qui jalonnent ce second PO consistent à ajouter progressivement de nouvelles contraintes pour faire évoluer ce qui est acquis.

 

Comment les élèves vont-ils pouvoir passer à la dernière étape ?

 

À l’issue de ce 2ème PO, les élèves accèdent à l’ultime étape, celle de présenter l’enchaînement complet, tel qu’il a été construit jusqu’alors, mais devant un public si possible élargi (une autre classe, des parents, des collègues…). La seule chose qui change alors est de gérer ses émotions face à un public qui découvre tout le travail pour la première fois. Notons que cette étape concerne plus spécifiquement la logique propre aux activités du CA3 / de la CP3, mais qu’elle peut s’organiser dans tous les CA/CP.

 

Comment allouez-vous les points concrètement ?

 

De manière très synthétique, en acrosport, il s’agit donc d’allouer quatre à cinq leçons sur la construction de la difficulté : maîtriser à plusieurs les principes techniques pour réussir des pyramides de plus en plus difficiles (qu’elles soient statiques et/ou dynamiques). Ce qui est évalué : la difficulté des pyramides (de 1 à 4 points par pyramide maîtrisée). Jusqu’à 20 points par équipe.

 

Pour ensuite parvenir à gagner en fluidité à travers la construction d’un enchaînement collectif respectant des critères de composition et de présentation (4 à 5 leçons également). Cette 2nde étape se base sur les acquis de l’étape précédente puisque les élèves construisent leur enchainement à partir des pyramides les plus difficiles qu’ils sont capables de maîtriser. Ce qui est évalué : l’intégration progressive des critères et contraintes de composition (de plus en plus de points selon l’orientation par rapport aux juges, la mémorisation de l’ordre et de l’espace dans lequel réaliser les pyramides, la synchronisation entre acrobates et la fluidité de l’enchaînement). De 5 à 20 points par équipe.

 

Pour chacune de ces deux étapes (« passages obligés »), la note est évolutive et arrêtée au terme des quatre à cinq leçons.

 

Enfin, l’ultime étape consiste en la représentation des enchaînements devant le reste de la classe et si possible, d’un public élargi à des personnes extérieures au travail réalisé au cours de la séquence. Ce qui est évalué : la gestion des émotions, la capacité à rester concentré pour proposer un enchainement fluide et maîtrisé le jour « J » sur des éléments qu’on maîtrise.

 

Vous êtes récemment intervenus sur la notion de confiance à l’école (soirées du CRIEPS, décembre 2016). L’évaluation par capitalisation vous semble-t-elle en adéquation avec cette dernière ? De façon plus générale, ne pensez-vous pas qu’on évalue trop les élèves actuellement au détriment des apprentissages ?

 

On peut soulever le paradoxe d’une école qui promeut la confiance, notamment à travers l’autonomie laissée aux enseignants, alors même qu’on continue de devoir rendre compte des niveaux de compétences atteints par nos élèves à travers l’évaluation certificative. En effet, comment viser des savoirs émancipateurs si au bout du cursus on retrouve un modèle traditionnel très normé ?

 

Quoi qu’il en soit, ce dispositif permet de rester centré sur les apprentissages tout en motivant les élèves par un système de points à gagner. Cette façon d’évaluer accompagne et valorise le processus à l’échelle de la séquence d’enseignement (voire d’un cycle) plutôt que de déterminer un niveau de maîtrise à un – voire deux – moment(s) ponctuel(s) qui peuvent être stressants pour l’élève.

 

L’évaluation par capitalisation nous apparaît pouvoir constituer un dispositif à la fois signifiant - pour (re)donner confiance aux élèves face aux apprentissages - et viable dans sa mise en œuvre face aux savoirs à transmettre. En étant très clair sur les étapes par lesquelles passer tout en donnant du temps pour y parvenir – donc avoir le droit de se tromper – sans jamais perdre les points gagnés au prix d’efforts et de persévérance, cette façon d’évaluer nous semble concorder vers une dynamique de confiance à l’école.

 

Pour autant, basculer sur une école de la confiance, ne serait-ce pas accepter que l’essentiel échappe à l’évaluation ?

 

Antoine Maurice et Benoît Montégut

 

Pour aller plus loin sur le sujet, nous vous invitons à aller voir les conférences filmées lors des dernières soirées du CRIEPS de décembre 2017 qui avaient pour thème « Vers une dynamique de la confiance »

 

 

 

Par fjarraud , le jeudi 04 octobre 2018.

Commentaires

Vous devez être authentifié pour publier un commentaire.

Partenaires

Nos annonces