Bruno Devauchelle : L'hybridation pour la réforme du lycée ?  

La réforme du lycée va augmenter la demande d'adaptation des établissements aux demandes des élèves et des familles. Cette adaptation concerne d'abord la possibilité d'offrir le maximum de possibilités pour les élèves et leurs familles. Deux hypothèses sont envisageables : fermer les petits établissements et regrouper dans des grands lycées, concevoir un dispositif qui permettra d'offrir le plus grand nombre de possibilités dans tous les établissements quelle que soit leur taille et les qualités des enseignants. Les moyens numériques à disposition des lycées devraient permettre de trouver des solutions intéressantes pour éviter la première hypothèse.

 

Mais pourquoi refuser le regroupement dans des grands établissements ? Pour de multiples raisons qui vont de la déshumanisation de la vie du lycéen au profit d'une vision industrielle de l'enseignement en lycée à la possibilité de lycées de proximité permettant ainsi de maintenir des infrastructures scolaires dans des zones qui sont peu peuplées et qui seront encore davantage abandonnées. On rétorquera que la dispersion des moyens coute cher, mais quels sont les coûts réels de la centralisation ? En centralisant dans de gros établissements, on fait peser sur les familles et les jeunes un inconfort global qui est préjudiciable aux apprentissages : obligation de longs déplacements voire d'internats ou de logements ; écart entre climat familial et climat scolaire etc. On objectera aussi le problème des enseignants qui seraient obligés à faire des déplacements dans les établissements au cours de la semaine (ce que l'on connait déjà dans les collèges ruraux).

 

Cette évolution du lycée n'est pas nouvelle et la dérive des options est connue depuis longtemps et ses effets aussi. Cependant ce qui est nouveau c'est que la restructuration générale de l'offre risque de donner l'impression d'un grand bazar que les parents et leurs enfants auront au moins autant de mal, mais probablement bien davantage, à comprendre que ceux qui vont devoir la mettre en place dans les établissements. Encore une fois, ceux qui s'en sortiront seront ceux qui comprennent le fonctionnement du système au détriment de ceux qui veulent simplement essayer de trouver leur place dans la société. De plus il faut ajouter l'histoire du lycée technologique et du lycée professionnel qui ont tous aussi évolué au cours de ces années. Le premier en se rapprochant de plus en plus du lycée dit général, le second en se marginalisant avec un bac professionnel dont les finalités initiales (insertion professionnelle) ont été dévoyées (réussite du baccalauréat, porte ouverte vers le supérieur). La complexité du système a tendance à rejeter à la marge ceux qui ne le comprennent pas et/ou ceux qui n'ont pas les moyens d'y échapper en particulier sur le plan financier.

 

Or il y a des pistes de solutions qui ont été explorées depuis près de vingt ans mais qui n'ont eu que peu d'écho véritable au-delà des pionniers. D'abord il y a les solutions partielles autour de l'utilisation de la visioconférence. Ces solutions qui exigent la présence en direct et simultanée de tous les interlocuteurs. Du coup cela oblige en termes d'organisation du temps et de l'espace des moyens que les établissements scolaires ne parviennent que très difficilement à mettre en œuvre. Mettre en parallèle un enseignant dans classe, filmé, avec des élèves répartis dans d'autres établissements au même moment et reliés par Internet ou autre, est très lourd et ne fonctionne qu'occasionnellement. A l'opposé, les solutions de cours papier par correspondance, beaucoup plus anciennes, ont montré largement leur inefficacité, ayant d'ailleurs amené le CNED à tenter de faire évoluer ses modèles en profondeur. Même si ces cours (transcriptions d'un cours magistral) sont mis en ligne au format PDF et disponibles sur une plateforme de téléchargement, cela ne suffit pas, même s'ils sont accompagnés de livrets d'exercice et de devoirs notés à rendre.

 

L'enseignement supérieur a commencé assez tôt (début des années 2000) à réfléchir à de nouveaux dispositifs, comme le signale Maryse Quéré en 2007 (Distances et savoirs, vol.5- n°2/2007, p. 289-297). Toutefois la lenteur des évolutions dans l'enseignement secondaire et dans le supérieur n'a pas permis à de nouveaux modèles de formation et d'enseignement d'émerger réellement depuis. Une recherche menée entre 2009 et 2012 (Hy-sup, Dispositifs hybrides : nouvelle perspective pour une pédagogie de l’enseignement supérieur) a mis en avant une expression, une notion qui depuis semble s'imposer, l'hybridation. A la suite de l'apparition des termes de FOAD et de e-learning, la notion d'hybridation est l'indication double d'un assouplissement du modèle d'enseignement traditionnel et de l'utilisation des technologies pour faciliter cette évolution.

 

Un dispositif hybride est l'organisation, en vue d'un objectif précis, d'un ensemble de moyens humains et techniques pour faciliter les apprentissages. Pour ce faire il associe travail en présence et travail à distance. Il associe activités synchrones (en direct) et activités asynchrones (en différé). Toutefois il y a un élément qu'il ne faut jamais négliger : l'engagement, l'intention d'apprendre. Un des éléments clés de la scolarisation c'est que, en mettant son enfant à l'école, on lui indique que c'est là qu'il lui faudra s'engager, orienter son attention etc... Ce que Condorcet avait dénoncé en 1791, c'était justement l'incapacité des familles à accompagner les enfants sur le chemin de l'apprendre, ce à quoi il ajoute, apprendre comme clé pour permettre l'émergence des citoyens éclairés. D'où l'importance apportée alors à la scolarisation, renforcée au XIXè siècle et devenu un "allant de soi" au XXè. Mais à l'époque l'informatique, les réseaux, Internet, plus généralement le numérique, n'avaient pas encore envahi l'espace public ET l'espace privé. Car dès lors que la porte vers l'information et le savoir est ouverte à tous, il y a des possibles qui s'offrent pour passer d'un modèle de scolarisation à un autre. Mais c'est justement la faiblesse d'un autre système, le degré d'engagement, l'intention d'apprendre. Motivation extrinsèque et/ou motivation intrinsèque diront les spécialistes. Engagement, intention, persévérance répondront d'autres chercheurs. En tout cas une évidence le tout à distance comme le tout en présence ont vécu.

 

Au début des années 2000 une expérimentation a été menée en Lorraine pour développer l'enseignement à distance d'options en lycée. Cela permettait à des établissements d'offrir aux élèves et à leur famille des options qui rassemblaient peu d'élèves. La menace qui pesait sur les petits lycées était alors forte. On trouvera la présentation de cette expérimentation dans cet article : "LOREAD, un dispositif d’enseignement à distance en lycée" publié en 2005. Ce dispositif jadis expérimental est devenu fonctionnement "normal" et s'est intégré dans le paysage scolaire de cette région. A tel point que le rectorat de Nancy (à l'époque) et le ministère de l'Education ont reconnu ce dispositif comme viable, pertinent et généralisable. Mais alors pourquoi ne pas l'avoir davantage généralisé ? Parce que cela suppose une organisation différente dans l'établissement, mais surtout parce que cela suppose une véritable coordination entre les établissements (et non pas une concurrence, même dans l'enseignement public). Mais aussi parce que les modèles d'engagement dans l'apprentissage scolaire sont au cœur des représentations sociales du "métier d'élève" et plus largement de "l'apprendre".

 

Mettre en place des dispositifs hybrides d'enseignement au lycée serait aussi une bonne manière de préparer les jeunes à la suite de leurs études et plus largement à "apprendre tout au long de la vie". Développer les capacités à apprendre dans de nouveaux contextes que le seul modèle magistral/exercice n'est pas nouveau et surtout est souhaité depuis très longtemps (de Condorcet à Ferdinand Buisson et même Jules Ferry). Mais c'est la forme industrielle développée dès 1830 avec la mise en place l'enseignement simultané (Vincent Faillet, La métamorphose de l'école quand les élèves font la classe, ed Descartes et cie, 2017) qui a imposé ce modèle générique. Toutefois ce modèle a été très souvent assoupli par des enseignants soucieux d'offrir à tous leurs élèves une autre approche des savoirs en développant de nouvelles activités qui permettent l'engagement personnel dans l'apprentissage. Si dans la salle de classe on se soucie davantage de l'écoute que de l'activité, à distance, en asynchrone plus précisément, il faut penser les activités pour permettre l'engagement dans l'apprendre et pas seulement l'apprendre. Jacques Rodet (http://blogdetad.blogspot.com/) a depuis plus de vingt ans essayé de faire comprendre cet élément à partir de la question du tutorat dans l'enseignement, en particulier à distance. Là encore se démontre l'importance de considérer l'engagement de celui qui veut apprendre comme un facteur essentiel de la réussite de l'apprentissage. Quand Stanislas Dehaene fait de l'attention, le premier de ses quatre piliers de l'apprentissage, il ne va probablement pas assez loin dans l'analyse : passer du cognitif au social. Car l'engagement dans tout apprentissage relève aussi bien du cognitif que du social et bien sûr du psychologique (état interne d'équilibre, auto-efficacité, estime de soi etc.…). Mais bien sûr cette attention et la persévérance à y associer sont essentiels.

 

Aller vers l'hybridation n'est pas chose simple. C'est pourtant, dans notre contexte numérique actuel, une possibilité de renouveler la forme scolaire. Cahier de textes numériques et autres ENT (Environnements Numériques de Travail) ou encore suites logicielles pour permettre d'apprendre (LMS et autres XXX.Classroom), sont les porteurs d'un potentiel encore trop peu exploité pour aller dans cette direction. Le ministère de l'éducation ne semble pas avoir pris la mesure de cela, depuis de longues années, centré qu'il est sur la salle de classe et la maîtrise de ce qui s'y passe. Espérons que nos propos amèneront à ce que la réflexion se poursuive et que le travail des pionniers soit enfin reconnu à sa juste valeur. On pourra alors envisager des établissements scolaires, en particulier des lycées, dont l'ouverture sur le monde actuel sera aussi incarnée par des modèles pédagogiques différents appuyés sur le potentiel d'hybridation aujourd'hui accessible à tous.

 

Bruno Devauchelle

 

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Par fjarraud , le vendredi 12 octobre 2018.

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