EMC : Le retour de l'instruction civique 

S'il est un domaine où le retour en arrière est manifeste  avec les futurs programmes du lycée c'est bien l'éducation morale et civique. Alors que depuis plus de 20 ans on estime que l'acquisition des valeurs morales et citoyennes passe par le vécu, le débat et la mise en pratique, les nouveaux programmes ramènent l'EMC à un enseignement transmissif classique , exactement comme celui des autres cours. Les élèves feront des recherches documentaires et s'appuieront sur des documents patrimoniaux. L'enseignement transmissif de la morale revient. Avec Blanquer c'est le retour de l'instruction civique.

 

Une découverte des valeurs autrefois fondée sur le débat argumenté

 

Pour bien comprendre l'évolution entre les "anciens" programmes (en EMC ils datent de juin 2015 !) et les nouveaux, il faut comparer ce que font les élèves.

 

Les programmes d'EMC de 2015 indiquaient des thèmes mais aussi des pratiques. " Au lycée, les élèves deviennent réellement capables de peser leurs responsabilités personnelles et collectives. L'enseignement moral et civique prend en compte cette réalité en veillant à articuler constamment les valeurs, les savoirs et les pratiques", indiquaient les programmes. " Au lycée, quatre types de compétences sont évalués : identifier et expliciter les valeurs éthiques et les principes civiques en jeu ; mobiliser les connaissances exigibles ; développer l'expression personnelle, l'argumentation et le sens critique ; s'impliquer dans le travail en équipe. Les méthodes pédagogiques utilisées dans l'ECJS, principalement les débats argumentés, se prêtent particulièrement aux objectifs et à l'esprit du programme".

 

Ils donnaient des exemples de pratiques pédagogiques. Ainsi en seconde pour travailler sur la personne et l'état de droit, le programme invitait à rencontrer des acteurs de la justice. Sur le thème des discriminations et de l'égalité, il invitait à analyser des exemples pas forcément historiques, y compris dans le lycée. Sur l'idée de citoyenneté européenne, il invitait à monter des débats, à partir d'un corpus documentaire, sur "payer l'impot" par exemple.

 

L'EMC devient un enseignement magistral

 

Tout cela va changer dès 2019. Il y a d'abord un changement des contenus en lien avec une épreuve au bac. Dans les nouveaux programmes la classe de seconde traite de la liberté, celle de 1ère de la société (le mot égalité a du faire peur) et la terminale de la démocratie. "A chaque niveau le programme fournit l'occasion de revoir les valeurs cardinales de la République".

 

Il s'agit de les revoir. Jamais de les pratiquer.  Car l'objectif de l'EMC est redéfini. "L'enseignement dispensé requiert une implication de l'élève dans des réalisations personnelles ou  collectives, conduites dans le travail de la classe", écrivent précieusement les auteurs du programme. "Le professeur favorise le dialogue, introduit les notions par des questions, partage avec la classe les grandes controverses, éclaire les représentations des élèves et leur donne du sens".

 

On est bien là dans un enseignement magistral, asséné par l'enseignant, parfois sous forme de cours dialogué, où l'enseignant inculque des notions. Les valeurs font l'objet de péroraisons et non de débats.

 

Des ressources éloignées du vécu des élèves

 

C'est d'ailleurs sur ce principe que sont présentés les thèmes. Ainsi la question 1 "les principes de la liberté" invite à revenir sur l'Ancien régime pour introduire la déclaration des droits de l'Homme (un point d'ailleurs au programme d'histoire de 2de mais en fin d'année).

 

La liste des "ressources possibles" éclaire la rupture pédagogique en EMC. POur un travail sur la liberté, on invite à travailler dur l'affaire Callas, l'édit de Nantes ou la fameuse déclaration des droits. Quand il faudra travailler sur " les discriminations contre les libertés" l'enseignant devra utiliser  les lois de Nuremberg, Voltaire les 15-20 ans, Le meilleur des mondes. Alors que les élèves ont une connaissance des discriminations réelles, on les invite à se plonger dans le passé mais surtout à ne jamais interroger leur société.

 

En première, quand il est question de "la société", les élèves doivent travailler sur la constitution du lien social, le principe de justice, communauté ou société. Mais il le feront à travers les cérémonies du Panthéon  ou les jumelages inter villes. Et pour travailler la laïcité, ils étudieront le Vademecum du conseil des sages... Le programme se garde bien d'aborder les questions de société ou quand il le fait (rarement) c'est sous forme livresque , dans le passé, jamais pour aborder les conflits de valeurs que les élèves peuvent rencontrer.

 

Le retour de l'instruction civique

 

Ces nouveaux programmes nous ramènent à la vieille instruction civique des années 60 dont l'inefficacité s'est avérée criante. Mais on sent bien dans le vocabulaire du programme, les thèmes, les méthodes, la documentation, a volonté de rompre avec une éducation civique vivante, s'appuyant sur des méthodes actives et faisant appel au vécu des élèves. Pour les élèves l'EMC va devenir un cours plus ennuyeux que les autres. Les valeurs républicaines vont rentrer au Panthéon..

 

Comment a-t-on pu écrire cette caricature d'éducation civique ? Longtemps l'EMC a été une chasse gardée des professeurs d'histoire-géo qui avaient développé ces méthodes du débat argumenté s'appuyant sur des exemples vivants et parlants aux élèves. L'enjeu était moins de transmettre une connaissance savante des textes et des institutions que de faire comprendre et partager les valeurs morales et républicaines.

 

La composition du groupe de travail sur les programmes a totalement rompu avec cette culture. Les copilotes du groupe ne viennent pas de l'histoire-géo et les professeurs d'histoire geo sont très minoritaires dans le groupe. Il sont trois tout comme les philosophes. Les autres membres viennent du droit, des lettres, des sciences religieuses etc. Les nouveaux programmes ont été conçus pour ces nouvelles disciplines. Et le programme affiche que l'EMC est l'affaire de tous les enseignants.

 

François Jarraud

 

Les nouveaux programmes

Programmes de 2015

 

 

Par fjarraud , le vendredi 12 octobre 2018.

Commentaires

  • Bernard Girard, le 12/10/2018 à 10:23

    La vraie nouveauté, c'est l'enfermement généralisé des élèves pendant un mois (le + souvent dans l'internat même des lycées), sous surveillance en partie policière et militaire ; ça s'appelle le service national universel. Une plaisanterie estimée à 2 ou 3 milliards d'euros/an pris sur le budget de l'EN. 

    Précision : le SNU est directement intégré dans le programme d'EMC Les enseignants se voient donc dans l'obligation d'y préparer leurs élèves. Le programme peut bien parler de "liberté de conscience"...

    https://blogs.mediapart.fr/b-girard/blog/200918/service-national-universel-surveiller-et-soumettre

     



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