Bruno Devauchelle : Pavlov a-t-il encore de l'avenir dans l'enseignement ? 

A voir les usages des exerciseurs et autres logiciels e-learning en formation continue mais aussi dans l'enseignement scolaire, on peut s'interroger pour savoir si nous n'assistons pas simplement à un renouveau de l'Enseignement Assisté par Ordinateur (EAO) ? Il est étonnant de constater que des logiciels anciens que l'on a pu connaître dans les années 1980 n'ont que très peu évolué quant à leurs fonctionnalités principales. Par contre les évolutions majeures sont celles permises par l'amélioration des performances des ordinateurs dans les domaines des images et du son. De plus la généralisation des interfaces graphiques et même des écrans tactiles a rendu ces produits plus accessibles, plus utilisables. Toutefois, sur le fond, ils n'ont que très peu évolué. Il suffit pour s'en convaincre d'examiner des produits comme Learning app ou d'autres outils de conception de "e-learning" pour comprendre que ce sont toujours les mêmes types d'exercices qui sont proposés. Alors que les possibilités naissantes de l'hypertexte et de l'intelligence artificielle de la fin des années 1980 semblaient ouvrir de nouvelles voies, on s'aperçoit que peu de choses ont changé.

 

Pour avoir observé pendant ces dernières années nombre de classes ou regardé nombre de produits éducatifs, la très grande majorité repose sur le duo information/question. Et pourtant il y a des possibilités autres comme certains produits l'ont montré il y a déjà plusieurs années, que ce soit des outils de résolution de problème, de construction d'environnements ou encore de simulation (rappelons l'Oncle Ernest et même Teddy Bear, l'ourson). L'imagination et la créativité semblait donner le signal d'une ouverture possible. Mais il semble bien que la tradition pédagogique soit très influencée par le couple "apport de savoir" - "entrainement". Dès lors les bons vieux exerciseurs ont encore de la place dans le monde du numérique pédagogique. Est-ce une bonne chose ? Apparemment oui à voir l'engouement de certains enseignants pour les boitiers de votes et les QCM. Il est vrai que l'art du questionnement, même réduit par la machine, permet des combinaisons importantes et parfois riches pour travailler des savoirs, et même des compétences. C'est ce que semblent avoir, au moins en partie, compris les concepteurs de PIX, en attendant de voir sa mise en place réelle.

 

Dans des dispositifs dis nouveaux, classe inversée, escape game, classe renversée, etc. on s'aperçoit bien que les moyens numériques ne peuvent se substituer à des activités dans lesquelles l'interaction humaine est essentielle. La dimension coopération, collaboration semble porteuse de renouvellement des pratiques, dès lors bien loin des exerciseurs et autres QCM. Si ces pratiques ont des succès d'estime, les moyens numériques devenant alors simplement des "éléments du décor", il est étonnant de voir le succès des outils traditionnels de l'enseignement assisté par ordinateur, surtout lorsque l'on veut que l'utilisateur soit "seul face à la machine" pour apprendre, ce qui est le cas de nombre de produits e-learning et parfois même serious games....

 

Plus inquiétant est la réflexion pédagogique au plus haut niveau de l'Etat. Il semble bien qu'un courant "mécaniste" soit en train de gagner du terrain. Ce courant qui parfois tend à promouvoir les vieilles manières qui ont fait leurs preuves est aussi influencé par certaines approches des neurosciences et même de l'intelligence artificielle. Il s'agit souvent de propos réducteurs mais en même temps marqués par une peur : ne pas avoir d'explications simples et de solutions simples. La communication envers le grand public, d'une part et la volonté de faire changer les pratiques d'autre part sont deux moteurs qui peuvent s'alimenter de ces modèles anciens promus par Skinner entre autres. Face à la complexité des situations éducatives, il est tentant de trouver des modèles suffisamment explicatifs et de les imposer. On peut lire au travers de certains ouvrages du domaine des neurosciences en éducation cette tension, voir cette ambivalence.

 

Avec le numérique, enfant social de l'informatique, on est en train de retrouver ce fameux conditionnement cher à Pavlov au travers de ces quizz et autres exerciseurs. Dans le même temps on retrouve aussi cette recherche de rationalisation explicative : l'humain pourrait, à défaut d'être un ordinateur, en être proche et ainsi l'enseignement par ordinateur serait d'une grande efficacité grâce à la mise en œuvre de ces principes mécaniques. Dans la salle de classe, il y a bien longtemps que répétition et mémorisation systématique ont leur lettre de noblesse. L'ordinateur est un outil qui permet de mettre en œuvre les répétitions systématiques. Mais est-ce pour autant que cela se traduira par des mémorisations et si oui de quelle nature sera cette mémorisation ? Comme pour la lecture, déchiffrer n'est rien si l'on ne passe pas à la compréhension. La mémorisation n'est pas la compréhension, mais elle est un processus qui participe du possible traitement de l'information pour accéder à la connaissance.

 

Mais depuis les travaux de Bloom (taxonomie des objectifs, contestable par ailleurs) on a identifié la nécessité de dépasser les premiers niveaux. Il faut cependant critiquer l'idée selon laquelle la connaissance serait la seule mémorisation comme souvent elle est présentée à tort. Car les neurosciences l'ont bien montré, le passage de la perception à la connaissance, via la mémorisation est avant tout une transformation d'un signal informationnel en objet signifiant, en transformation interneuronale, c'est à dire repéré au sein même du cerveau de celui qui apprend. Or c'est justement ce qui fait défaut à l'ordinateur... comme le disent les spécialistes de l'intelligence artificielle comme Yann Le Cun.

 

Reste pourtant que le e-learning n'est qu'une forme revisitée de l'EAO et que nombre de propositions commerciales ne s'embarrassent pas forcément de cela, reposant leur argumentaire sur une "efficacité" de la répétition. Heureusement certains ont bien identifié les limites de cette seule approche mécanistes et ont apporté d'autres idées : travail collaboratif entre apprenants, interactions humaines, amélioration de la compréhension par divers procédés, vidéo, simulation, jeu sérieux etc. Dans la salle de classe et dans l'amphi c'est encore un fois la relativement faible culture pédagogique et psychologique des apprentissages qui laisse le champ libre à des propositions réductrices que l'on trouve aussi bien dans des Moocs que dans des produits e-learning.

 

Il y a une culture des fondamentaux et de la répétition qui est fortement ancrée dans la représentation sociale de ce que c'est apprendre. Cette culture est à contester car si elle donne l'apparence de l'acquisition par le mécanisme de mémorisation/restitution elle oublie ou met de côté les strates supérieures proposées par Bloom qui, même si elles sont à discuter, permettent de comprendre qu'apprendre ce n'est pas simplement "reproduire", mais c'est se donner la possibilité de construire. Nous ne pouvons que nous désoler de cet engouement pour les outils simplificateurs développés à partir des exerciseurs, mais il nous faut constater qu'en 40 années d'introduction de l'informatique dans la salle de classe, peu de choses ont réellement changé... jusqu'à preuve du contraire

 

Bruno Devauchelle

 

Toutes les chroniques de B Devauchelle

 

 

 

Par fjarraud , le vendredi 09 novembre 2018.

Commentaires

Vous devez être authentifié pour publier un commentaire.

Partenaires

Nos annonces