Hugo Prigent : Des collégiens critiques musicaux à la radio 

Comment guider les collégiens vers la musique classique ? Comment développer la critique musicale au sein d’une classe ? Hugo Prigent, enseignant en éducation musicale au collège privé La Salle-Saint Joseph d’Argentré-du-Plessis (35) prépare une émission de radio axée sur la critique d’œuvre musicale. Très investis, ses collégiens sont ainsi évalués sur différentes compétences et peuvent présenter leurs travaux à l’oral du DNB. Autour de la musique classique, « la parole s’est libérée et certains ont avoué écouter parfois et aimer cette musique », livre l’enseignant qui voit la chorale comme une opportunité de « maintenir une culture du chant au sein de l’établissement ».

 

Comment est née cette émission radio préparée par les collégiens ?

 

Afin de mettre en valeur un travail de critique musicale effectué au préalable dans mes classes de troisième, j’ai donné aux élèves qui le souhaitaient, la possibilité de préparer une présentation orale de l’œuvre choisie, dans l’optique de sa diffusion lors d’une émission de radio.

 

Cette émission que je présente sur C-Lab (ex radio-campus) possède quand même une particularité. En effet, elle traite exclusivement de la musique classique au sens large ; il fallait donc que ce projet entre à la fois dans la ligne éditoriale qui m’avait été confiée pour la présentation de cette émission, mais également qu’il soit en adéquation avec les objectifs fixés en cours et les programmes d’Education Musicale.

 

Quelles sont vos astuces pour faire découvrir et apprécier la musique classique au collège ?

 

Dans le cadre de ce projet, j’ai pu libérer la parole d’élèves de troisième que je découvrais depuis quelques mois seulement, étant nouvellement nommé dans l’établissement. Le constat que j’en fais est que le rapport que les collégiens entretiennent avec la musique classique ne diffère pas fondamentalement de celui qu’entretiennent la grande majorité des Français. Beaucoup pensent que ce n’est pas une musique pour eux. Le cinéma, par exemple, nous montre souvent l’image de concerts ennuyeux et protocolaires auxquels assiste un public guindé. Si un personnage de film écoute de la musique classique, c’est souvent, soit un original, soit un méchant. Particulièrement dans les films américains, mais les films français n’échappent pas non plus à ce cliché récurrent.

 

Une récente enquête effectuée par « Revopéra » nous montre que plus de 80% des français n’écoutent jamais de musique dite « classique ». Cela ne veut pas dire qu’ils ne l’apprécient pas ; cela veut juste dire qu’ils ne la connaissent pas au-delà de ces clichés. Mais cette enquête nous montre aussi –et c’est plutôt rassurant- que ce public est extrêmement varié, en termes de milieux sociaux, d’âge et de sexe, même s’il reste encore très urbain et parisien.

 

Ce que j’ai voulu leur faire découvrir, c’est la profonde diversité de ce qu’on appelle la musique « classique » et aussi que, contrairement à ce qu’ils pensent –et à ce que souvent, leurs parents pensent- que cette musique peut être pour eux. La parole s’est donc libérée. Certains ont avoué écouter parfois –et aimer- cette musique. D’autres ont admis avoir apprécié découvrir cette musique dans le cadre de l’activité et sont spontanément allés voir « un peu plus loin ». Et bien sûr, certains n’ont pas varié leur goûts et estiment que cette musique ne les intéresse pas plus après qu’avant. L’objectif était néanmoins atteint. Cette activité a suscité débats et partages au sein des classes et même parfois entre élèves de différentes classes de troisième, lorsque ceux-ci se croisaient dans les activités transversales telles que la chorale ou encore lors de moments informels en récréation, lorsque parfois certains aiment venir en salle de musique partager le morceau qu’ils bossent au piano.

 

Comment les collégiens réalisent-ils leurs critiques musicales ?

 

Ce travail s’est effectué en plusieurs étapes. Tout d’abord, je me suis très largement inspiré du travail effectué par mes collègues du Finistère, notamment Logann Vince, professeur au collège Saint Joseph de Ploudalmézeau, qui passe régulièrement à Rennes organiser des formations à L’ISFEC.

 

Cette idée de critique musicale convient particulièrement pour permettre aux élèves d’exprimer leur jugement sur une œuvre, puis d’en débattre, domaine de compétence qui doit se développer particulièrement en cycle 4.

 

Ne voulant pas, dans un premier temps les contraindre à une œuvre de musique classique, je leur ai demandé de produire individuellement une courte critique écrite sur une œuvre de leur choix. Pour effectuer la critique, exercice littéraire, donc pas évident pour tous, ils étaient munis d’une petite grille méthodologique pour les guider. Une fois la critique effectuée et après avoir vu les points à travailler et les écueils potentiels, je leur ai demandé d’effectuer le même travail avec une œuvre de musique classique. Pour ne pas se perdre, ils avaient accès à un tutoriel qu’ils pouvaient écouter en ligne (sur le cloud du collège) et à une liste d’une trentaine d’œuvres proposées, qui s’est quand-même avérée très utile, même s’il a été appréciable de voir que certains s’en éloignaient de manière pertinente.

 

La première grande étape de ce projet était de mutualiser leurs travaux sur un padlet. Ils étaient donc libres d’utiliser un pseudonyme pour signer leur critique, dès lors que celle-ci était mise en ligne. (Je savais évidemment qui en était l’auteur). La mise en ligne nécessitait de répondre à quelques critères obligatoires avant de prétendre passer à l’étape suivante (qualité de la rédaction, orthographe, etc.).

 

La 2ème étape consistait à faire une présentation orale en radio. Un lancement de quelques secondes qui présente une œuvre avec un œil critique. Pour cette étape, ils ont pu se regrouper par affinités et prendre par conséquent l’œuvre d’un de leurs camarades pour se partager ce « lancement radio ».

 

Exercice qui s’est avéré plus difficile que je le pensais… Certains élèves de troisième sont dans l’incapacité d’émettre un jugement et n’arrivent pas à sortir du descriptif. Par ailleurs, l’exercice de diction orale, qui plus est face à un micro, peut s’avérer être un vrai cap à franchir. Et enfin, certains élèves sont incapables d’être synthétiques. J’ai parfois aidé certains en leur donnant la réplique ; mais je privilégiais leurs camarades pour ce rôle. Néanmoins, ils ont joué le jeu.

 

Seuls ceux qui le souhaitaient et qui avaient une autorisation parentale pouvaient ensuite être diffusés dans l’émission Sforzando, stade ultime de leur travail. (3ème étape). Avec 4 élèves volontaires de 3 classes différentes, nous avons alors, en dehors du temps de cours, pris le temps d’écrire l’animation de l’émission qui fut enregistrée –le doigt sur la montre, en priant pour ne pas être gêné par les bruits inhérents à la vie d’un collège- lors d’un temps commun.  Le montage final reste le travail de l’enseignant ici, afin de faire rentrer le tout dans le format de l’émission.

 

Comment évaluez-vous ces critiques ?

 

Ces critiques étaient évaluées sur une double entrée. Tout d’abord l’avancement des élèves au sein des différentes étapes. Seules les deux premières étaient obligatoires. La participation à l’émission était donc traitée sous forme de bonus.Pour l’évaluation à proprement parler, je me suis appuyé sur deux des 4 domaines de compétences exposés dans les programmes officiels.

 

Le premier est intitulé « écouter / comparer » ; la grille précisait qu’ils devaient être à même de réinvestir des notions abordées lors des activités d’écoute en classe et ce, même si le style, l’époque ou l’esthétique de l’œuvre est différente. Si ce premier domaine est assez « scolaire » et ne pose pas de problème insurmontable pour l’élève qui suit en classe, le deuxième domaine s’avère plus problématique : « Argumenter, débattre ».

 

J’ai vraiment essayé de les amener vers une double appréciation des œuvres qu’ils présentaient et d’opposer la description objective et l’appréciation subjective… vaste programme, pas évident même pour beaucoup d’adultes.

 

Il y aurait beaucoup de choses à peaufiner dans l’évaluation de ce travail que j’expérimentais et que j’espère refaire lorsque j’enseignerai à nouveau en troisième, ce qui n’est pas le cas cette année. Notamment dans la qualité orale de la présentation qui n’était pas assez présente, dans la grille d’évaluation, ayant axé davantage ce projet sur son contenu intrinsèque.

 

Certains collégiens ont pu présenter leurs travaux au cours de l’oral du DNB ?

 

L’un des objectifs de ce projet étant d’alimenter le PEAC (parcours d’éducation artistique et culturel) des élèves ; il devenait légitime que les élèves qui le souhaitent soutiennent une présentation de ce projet dans la partie orale du DNB, afin de montrer au jury ce que ce projet leur a apporté. Ce fut le cas pour quelques-uns d’entre-deux.

 

Que peut-on découvrir au cours de votre émission de radio Sforzando ?

 

Cette émission que je présente avec plaisir depuis plus d’un an s’adresse à tous les « curieux et les mélomanes » (que nous sommes tous, puisque 90% des français disent écouter de la musique chaque jour). Elle est diffusée sur C-Lab, la radio étudiante rennaise, chaque dimanche à 13h, mais est accessible à tous en podcast sur la page de l’émission.

 

La mission qui m’est confiée pour ce projet est de parler de musique classique. Généralement, je m’empare d’un thème ou d’une idée, parfois d’un compositeur ou d’un genre musical. J’essaie de le faire le plus possible avec un ton léger, voire humoristique, ce qui n’est pas incompatible avec la qualité du propos. J’essaie également de distiller l’actualité des musiques classiques, contemporaines ou anciennes à Rennes afin d’inciter le public à se rendre aux concerts. Je m’amuse beaucoup. Bon, il peut arriver que je n’aie pas le temps de préparer d’émission, donc parfois, vous pouvez tomber sur une rediff. Je les enregistre à l’avance et à la suite afin de limiter ma charge de travail hebdomadaire. Que ceux qui organisent un événement musical sur Rennes ou les environs n’hésitent pas à passer par moi !

 

Quel regard portez-vos sur les programmes mis en place au collège depuis 2 ans ?

 

Ces programmes se situent finalement dans leur contenu dans la lignée de ceux de 2008 qui tranchaient davantage avec ce qui précédait. Par contre, c’est dans la pratique quotidienne de l’enseignant et des activités que réside le véritable changement. La généralisation du travail par compétences permet de rendre concrètes aux yeux de l’élèves les attentes du professeur et pourrait à la limite suffire. On pourrait donc se passer des notes, même si tout le monde n’est pas encore prêt… Mais on y viendra, j’en suis sûr ! L’éducation musicale, lorsque l’espace et le matériel le permettent, peut fonctionner davantage en îlots et en activités de création effectuées en autonomie.

 

L’accent est particulièrement mis sur cette compétence qui consiste à argumenter un jugement esthétique sur une œuvre, en l’appuyant sur des connaissances et des compétences acquises en classe. L’an dernier, nouvel arrivant dans cet établissement, j’ai vu à quel point il pouvait être délicat pour certains élèves de troisième de discerner la différence entre la simple description d’une œuvre et un jugement esthétique argumenté. Or, cette compétence, déjà préparée dès le cycle 3, est clairement l’un des objectifs majeurs du cycle 4 et peut se construire graduellement au sein des années de ce cycle, grâce à des activités diverses telles que l’enregistrement et l’auto-critique, la co-évaluation, l’étude de différentes versions d’une même chanson, l’interview de personnes extérieures à la classe etc…

Je m’efforce de préparer d’ores et déjà les futurs troisièmes à être à l’aise avec cet exercice !

 

Et la chorale ?

 

La chorale est un peu le pivot et la « vitrine » de l’éducation musicale au collège. Elle regroupe des élèves volontaires et motivés de toutes les classes et tous les niveaux et nécessite une assiduité de la part des élèves afin de permettre des productions de qualité lors des représentations. Elle nécessite aussi un investissement particulier de la part du professeur, afin d’instaurer et de maintenir une « culture du chant » au sein de l’établissement. De plus, il est clair que ce projet fonctionne mieux, lorsque la direction, la vie scolaire et l’ensemble des professeurs de l’établissement intègrent bien le fait qu’il s’agit d’un enseignement à part entière.

 

Depuis que j’enseigne, je dois souligner que les choses vont de plus en plus dans ce sens. Les programmes proposés aux élèves sont variés, attrayants et mélangent les styles (chanson contemporaine, chanson plus « classique » chant traditionnel…) et les dispositifs (solistes, polyphonie…) Je peux aussi moduler le programme et réaliser des arrangements qui s’adaptent au groupe au fil de l’année, tout comme je peux m’appuyer sur les « anciens » pour porter auprès des sixièmes un projet déjà effectué l’an passé. Cette année, mon chef d’établissement m’a également octroyé un créneau qui permet de réunir quelques instrumentistes motivés qui pourront soit avoir un temps de répétition sur des projets émanant d’eux-ou que je leur propose, soit élaborer un soutien instrumental varié et valorisant pour la chorale. Cette année, celle-ci se produira à Noël et en juin sur deux programmes différents.

 

Entretien par Julien Cabioch

 

Emision C-Lab

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