Quelles oeuvres en français au lycée : Le patrimoine scolaire contre la littérature ? 

Des informations recueillies par le Café pédagogique permettent de connaitre les oeuvres qui seront au programme l'année prochaine. Si des incertitudes importantes demeurent sur les modalités des épreuves du baccalauréat, ce qui nuit potentiellement à la qualité de la préparation des élèves cette année en seconde, et ce qui place actuellement les professeur.es de français dans un fort sentiment d’insécurité, des échos nous parviennent sur le programme obligatoire d’œuvres et de parcours qui seront l’an prochain étudiés en première. Montaigne, La Fontaine, Beaumarchais, Hugo, Yourcenar… Quels sont les choix probables ? Quelle représentation de la littérature et de la pédagogie véhiculent ces nouveaux programmes ?

 

Rappels officiels

 

 « Les professeurs travaillent sur les objets d’étude en proposant aux élèves la lecture de quatre œuvres intégrales auxquelles sont associés des parcours qui prennent la forme de groupements organisés de façon chronologique. »

 

« Chacun des quatre objets d’étude – la poésie, le roman et le récit, le théâtre et la littérature d’idées  – associe une œuvre (ou une section substantielle et cohérente d’une œuvre) et un parcours permettant de la situer dans son contexte historique et générique. Le titre des œuvres ainsi que l’intitulé et la délimitation des parcours associés sont définis par un programme national renouvelé par moitié tous les ans. »

 

« Le choix des textes composant les parcours associés est à l’initiative du professeur, dans le cadre du programme en vigueur. Ces textes ne font pas tous nécessairement l’objet d’une explication ; certains d'entre eux peuvent être étudiés selon une perspective plus large. L’élève étudie quatre œuvres et les parcours associés : ils sont définis par un programme national de douze œuvres, renouvelé par moitié tous les ans. La lecture cursive est constamment encouragée par le professeur. Quatre œuvres au moins – une par objet d’étude, toutes distinctes de celles étudiées dans le cadre des parcours – doivent être lues par l’élève. »

 

« Entre les bornes fixées pour chaque objet d’étude, le programme national, renouvelé par moitié tous les ans, définit trois œuvres - parmi lesquelles le professeur en choisit une - et un parcours associé couvrant une période au sein de laquelle elle s’inscrit et correspondant à un contexte littéraire, esthétique et culturel. L’étude des œuvres et des parcours associés ne saurait donc être orientée a priori : elle est librement menée par le professeur. L’étude de l’œuvre et celle du parcours sont étroitement liées et doivent s’éclairer mutuellement : si l’interprétation d’une œuvre suppose en effet un travail d’analyse interne alternant l’explication de certains passages et des vues plus synthétiques et transversales, elle requiert également, pour que les élèves puissent comprendre ses enjeux et sa valeur, que soient pris en compte, dans une étude externe, les principaux éléments du contexte à la fois historique, littéraire et artistique dans lequel elle s’est écrite. »

 

Perspectives officieuses

 

D'après nos informations, le programme des œuvres et parcours étudiables en première en 2019-2020 semble se dessiner ainsi.

 

Pour la poésie seraient proposés « Les Contemplations » de Victor Hugo (parcours : les Mémoires d’une âme), « Les Fleurs du Mal » de Charles Baudelaire (parcours : alchimie poétique : la boue et l’or), « Alcools » d’Apollinaire (parcours : modernité poétique ?).

 

Pour la littérature d’idées seraient retenus les essais de Montaigne « Des Cannibales »  et « Des Coches » (parcours : « notre monde vient d’en trouver un autre »), les livres VII à XI des Fables de La Fontaine (parcours : imagination et pensée au XVIIème siècle), les « Lettres persanes » de Montesquieu (parcours : le regard éloigné).

 

Le genre romanesque pourrait être abordé à travers « Gargantua » de Rabelais (parcours : l’humanisme naissant), « Le Rouge et le Noir » de Stendhal (parcours : le personnage de roman, esthétiques et valeurs), les « Mémoires d’Hadrien » de Yourcenar (parcours : soi-même comme un autre).

 

Dans le genre théâtral seraient au programme Racine avec « Phèdre » (parcours : passion et tragédie), Beaumarchais avec « Le Mariage de Figaro » (parcours : la comédie du valet), Beckett avec « Oh ! Les Beaux jours » (parcours : un théâtre de la condition humaine).

 

Chefs-d’œuvre en péril ou français en péril ?

 

La découverte des titres d’œuvres susceptibles de constituer le corpus de 1ère ne surprend guère. Les choix sont fidèles à l’esprit de programmes qui considèrent la littérature comme un ensemble de monuments, à visiter, plutôt que comme une pratique vivante des mots et du monde, à expérimenter. Ce corpus est aussi conforme au canon : celui que le Lagarde et Michard en son temps avait cartographié pour constituer une culture officielle. Certains programmes d’œuvres obligatoires ont contribué à fixer et ajuster ce corpus ces dernières décennies : Montaigne en terminale L, l’humanisme en Littérature 1ère L, La Fontaine, le roman d’apprentissage, maitres et valets en 1ères toutes séries  … trouvent leur place dans le programme envisagé. Autant dire que ces choix viennent fortifier un patrimoine scolaire plus encore que littéraire : il ne s’agit pas de transmettre la littérature, mais la représentation que s’en fait traditionnellement l’Ecole.

 

Le manque de transparence quant au processus de décision d’ailleurs interroge : qui choisit ces œuvres ? selon quels critères et avec quelles préoccupations ?

 

Pragmatiques ? Cela expliquerait qu’on aille piocher dans les œuvres couramment étudiées par les collègues : « Les Fleurs du Mal », « Les Contemplations », « Alcools » figurent par exemple au sommet du « hit parade » des recueils poétiques étudiés en œuvres intégrales selon l’étude statistique présentée au PNF Lettres 2018. L’intention est sans doute louable : permettre aux enseignant.es de réutiliser certains de leurs cours déjà prêts, alléger un peu le poids du travail de préparation que représentera l’année prochaine la mise en œuvre de nouveaux programmes dans tous les niveaux du lycée. Mais on pourra une nouvelle fois constater que par delà les modifications de programmes, le corpus reste figé sur la tradition. Comme si, une fois de plus il fallait que « tout change pour que rien ne change » ?

 

Idéologiques ? D’où peut-être ce mélange de conformisme et de passéisme qui réduit la modernité poétique à Apollinaire, qui n’envisage pas d’autrice autre que la plus célèbre académicienne, qui n’ose pas proposer une œuvre postérieure aux années 1960. Une conception lagardetmichardienne de la littérature est à l’œuvre : elle se nourrit d’admiration et de sacralisation, d’historicisme et de thématisme. Les décideurs goûtent manifestement la sécurité que représentent les œuvres « lisibles » plutôt que la liberté à laquelle invitent les œuvres « scriptibles », pour reprendre les mots de Barthes.

 

Pédagogiques ? Ces œuvres dont le sens est clos, ou bien clôturé par les études et cours dont elles ont été souvent l’objet, n’incitent guère à faire du travail en classe une véritable aventure de la réception. Et ce encore moins dans une année de bachotage, encore moins quand les exercices officiels se sont eux-mêmes réduits aux formes les plus normées de la rhétorique scolaire (commentaire et dissertation). Il s’agira bel et bien, comme d’habitude, de placer les élèves  « dans la posture de contrôleurs de la valeur littéraire des textes plutôt que dans une posture éthique d’interprètes » (Hélène Martinet, IA-IPR, académie de Strasbourg, PNF lettres 2018).

 

Courtisanes ? On rapportera ici le trouble exprimé par certains collègues de voir figurer dans ce programme l’œuvre que le  ministre de l’Education nationale célèbre régulièrement dans les médias : les « Fables » de La Fontaine. Ainsi qu’un des romans préférés du président de la République, « Le Rouge et le Noir », un ouvrage qu’il semble considérer comme un autoportrait au point de l’avoir placé sur son bureau pour la photo officielle de sa présidence.

 

Soit. Comme nous y invite un des auteurs au programme, pressons-nous « de rire de tout de peur d’être obligés d’en pleurer » : la préservation du patrimoine est bien la ligne d’horizon tracée, Stéphane Bern semble aussi aux manettes dans l’Education nationale.

 

Jean-Michel Le Baut et François Jarraud

 

Programmes de français en 1ère au B.O. du 22 janvier 2019

Enquêtes sur les corpus d’œuvres étudiées en première au PNF lettres 2018

Sur les nouveaux programmes de français dans Le Café

 

 

 

Par fjarraud , le lundi 04 mars 2019.

Commentaires

  • SOUCHAL, le 12/03/2019 à 11:58
    Je donnerais cher pour avoir une conversation avec François Jarraud et Jean-Michel Le Baut, à propos de leur conception de la culture. Apparemment, si ces collègues (mais enseignent-ils seulement ?) enseignaient la musique, il serait moins question dans leurs cours de Mozart, Bach, Beethoven ou Brahms que de Booba, Claude François, Plastic Bertrand, Boney M. et Mylène Farmer. Ou de Stokhausen ou Pierre Boulez, pour bien dégoûter les élèves de la musique savante. Comme ça, pas de risque de répéter "Le Lagarde et Michard" des gloires de la musique "académique". Au moins, avec ce genre de cours, on s'amuserait bien en classe (encore que, avec du Boulez...). Et on serait sûr de ne pas quitter l'école avec quoi que ce soit qui relève de la "culture officielle". Nous connaissons ce discours, cette idéologie (car c'en est une) : c'est du Bourdieu mal digéré, qui prétend que nous sommes aliénés par la soi-disant "culture bourgeoise", et qui prétend surtout que jeter cet héritage aux orties, c'est se libérer. Moi, je persiste à croire que la culture nous rend libres (relisons Balzac et la Petite Tailleuse chinoise : la vraie culture, la grande, nous délivre du totalitarisme, pas étonnant que la Révolution culturelle de Mao l'ait vouée aux gémonies). Et la culture ce sont, d'abord, les grands textes. Ce n'est pas l'école ni "la domination des élites", ni je ne sais quel complot des "classes possédantes", qui ont installé ces textes et ces auteurs dans la mémoire des hommes  (ça, c'est de l'idéologie à trois sous, du marxisme-pour-les-Nuls), c'est le génie de leurs auteurs et l'admiration des hommes - et leur gratitude. Je fais partie d'une génération qui, pendant ses années d'école élémentaire, a été frustrée de Victor Hugo et de La Fontaine (déjà honnis par l'institution, dans les années 70, au titre de "vieilles lunes" : 68 était passé par là), et gavée à la place de niaiseries fadasses et insignifiantes, de comptines signées Paul Fort, Maurice Carême et Jacques Prévert, et je lisais Hugo et La Fontaine en cachette. Je les récite aujourd'hui à mes enfants. Libre à nos deux collègues de faire lire, si ça leur chante, du rap, des graffitis (culture "vivante"), de l'oulipo, ou du Christine Angot à leurs élèves. Mais lequel d'entre nous veut cela pour ses propres enfants ? Voilà la seule question qui compte, et pour moi, je connais la réponse. Si la culture est un bouillon, c'est le genre de soupe dans laquelle je n'aime pas, moi, cracher. Après, il est permis de contester les nouveaux programmes, qui brident singulièrement notre liberté pédagogique, mais que ce soit, au moins, pour de bonnes raisons
  • Marguerite V, le 09/03/2019 à 12:31
    Les textes évoquées seraient "des oeuvres dont le sens est clos"... Mais c'est une blague ???
  • bberne, le 06/03/2019 à 22:15
    Voyons voyons... une femme sur 12 auteurs choisis... suis-je étonnée ? 

  • Bernadette22, le 06/03/2019 à 20:36
    Vous annoncez ce que pourrait être les oeuvres au programme de français en première, mais il s'agit du programme des 1ères générales. Un autre programme d'oeuvres est-il prévu en 1ère technologiques ?
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