Dossier : Julien Lefebvre : La webradio en cours de français 

Alors même que se dessine la perspective du « grand oral » du bac, sans horaires spécifiques de préparation, comment aider les élèves à travailler des compétences en la matière ? La radio livre sans doute d’intéressantes possibilités pour développer, tout au long de la scolarité, une aisance orale dont on sait combien elle constitue un marqueur social. C’est le pari de beaucoup d’enseignant.es dans toutes les académies, en particulier en lettres. C’est celui par exemple de Julien Lefebvre, professeur de français au lycée Stendhal à Milan. Ses élèves réalisent des émissions variées : débats, chroniques littéraires, cinéma ou même grammaire, interviewes fictives, productions sur la poésie… Il livre ici des éclairages concrets sur un dispositif susceptible de travailler non seulement l’expression orale, mais aussi les connaissances disciplinaires, les compétences collaboratives et même la qualité de l’écriture...

 

Comment est née la webradio du lycée Stendhal ?

 

La radio est née pour l’Expo universelle qui a eu lieu à Milan en 2015. Notre lycée était associé à l’événement et pour en rendre compte le CVL  (Conseil de Vie Lycéenne) a bénéficié d’une dotation permettant la création d’une radio. Il s’agissait d’un peu de matériel pour débuter (micros, table de mixage, casques, enregistreurs) et d’une formation que le CLEMI est venu faire auprès des élèves du CVL. Comme les Terminales étaient les porteurs du projet, il a fallu ensuite penser à une relève. C’est ce que j’ai fait en m’y impliquant plus à fond.

 

Dans quel cadre travaillez-vous ?

 

Quand j’ai repris le projet j’avais un petit groupe d’élèves et nous avons formé un « club ». Il nous a fallu nous approprier le matériel, réfléchir aux émissions possibles, faire des essais, se tromper… beaucoup ! Si nous avons peu produit, ce fut tout de même une année géniale parce-que nous explorions. Nous ne connaissions pas grand-chose, mais pas à pas, nous constations les ratés, les réussites. Ce que nous partagions, c’était surtout le tâtonnement et l’enthousiasme de vouloir y arriver. 

 

Et maintenant, comment arrivez-vous à produire des émissions ?

 

Par la suite, une fois la partie technique résolue, il y a eu deux cadres de travail : le « club » et mes propres cours. Dans le club, les élèves ont toujours été libres de choisir leurs sujets, leur conduite d’émission. Cela a donné des formats longs (une émission sur l’interdiction du téléphone portable par exemple) ou des formats cours (des chroniques cinéma)… L’idée germe, j’accompagne les élèves, je conseille des pistes, on écoute les textes pour voir s’ils « passent » bien à l’oral, on cherche des intervenants… Une fois l’idée arrivée à maturité, on passe en studio et on enregistre. Aujourd’hui, avec l’expérience, je conseille les formats cours. Ils sont plus facilement écoutables. Mais en club, je ne touche qu’un petit nombre d’élèves.

 

C’est différent dans vos cours ?

 

Bien sûr ! Dans mes cours, le projet concerne toute la classe. Cela doit s’ancrer dans ce que nous étudions. Disons aussi que la radio est un média tellement riche que j’y rattache de plus en plus de choses et ce, à tous les niveaux. Quelques exemples de projets simples que nous faisons tous mais que le studio permet de parachever : une interview fictive d’auteur (ça, ça marche toujours !), une chronique littéraire (j’attribue les différents textes d’une séquence à différents groupes et ils doivent le transformer en présentation à la manière de l’émission « un livre, un jour ») cela dynamise vraiment le rapport au texte et donne beaucoup d’autonomie aux élèves. Ce n’est plus moi qui pose les questions mais eux qui viennent me chercher pour éclairer tel ou tel point. Avec une classe de sixième, on a même tenté la « chronique grammaire ». Il suffit de partir de la leçon du manuel et de la leur faire réécrire pour enregistrement. Jamais auparavant je n’avais eu tant d’engouement pour l’activité. Piégés par l’envie de bien faire, certains connaissaient même leur leçon par cœur. Et puis en cas d’oubli, il y a toujours la piste audio à réécouter.

 

Auriez-vous des exemples d’activités menées avec les lycéens ?

 

J’ai envie de dire que la procédure est identique. C’est le contenu que nous allons fouiller davantage. L’an dernier en 1ères, j’ai traité la partie groupement de textes poétiques en émission radio : les élèves choisissaient librement l’une des séquences de leur manuel (il y en a souvent beaucoup – vous savez, celles que l’on rêverait de faire mais que l’on n’a jamais le temps d’aborder) et ils devaient ensuite explorer les textes, analyser les réponses aux questions, dégager les notions clés, bâtir une problématique et choisir des extraits à lire. La méthodologie classique du commentaire ou de la dissertation (intro, problématique, développement, citations, analyses, conclusion) se prête très bien au format radio. Tout le travail en amont permet d’aboutir au conducteur d’une émission. L’étape finale est l’enregistrement. Si tout est bien calé, il y a peu de montage à faire. Pour finir, nous avons réuni les productions dans un padlet commun. Comme cela, chacun a pu écouter le travail des autres.

 

Vous évoquiez le « conducteur » : qu’est-ce que cet objet a priori peu scolaire ?

 

Le conducteur, c’est la feuille sur laquelle est rédigé tout ce qui sera dit au micro. On y précise bien le minutage de qui parle, qui intervient, quelle musique jouer en tapis sonore, quel jingle lancer, etc… En effet, la radio c’est très écrit. Il ne faut pas laisser les élèves devant un micro sans un réel travail d’écriture : nous avons souvent raté des émissions à cause de cela.

 

Vous avez consacré des émissions à La Princesse de Montpensier ou encore à l’écriture inclusive : pouvez-vous nous éclairer sur le contenu exact de ces émissions ?

 

Je vois que vous êtes un auditeur attentif ! L’émission sur Lafayette, nous l’avons réalisée en AP Terminales. Cela a donné un peu d’oxygène à des élèves déjà trop anxieux pour l’examen : nous avons pris quelques notions essentielles de la biographie de l’auteure et des grands thèmes du livre, puis nous avons fait un jeu d’écriture à quatre voix. Les cours d’AP ou de littérature et société sont de bonnes fenêtres pour permettre ces petits projets-là.

 

En ce qui concerne l’écriture inclusive, c’était une façon de saluer le départ à la retraite d’une collègue. Mais cela s’est fait dans le cadre du « club » : comme l’un de mes élèves aime à creuser les questions d’actualités, je l’ai laissé travailler, j’ai organisé leur rencontre et pour le résultat je vous laisse écouter « la face cachée de l’actu », l’émission est assez partisane mais je ne voudrais pas tout dévoiler…

 

D’autres personnes que vous sont-elles impliquées dans le projet ?

 

Notre documentaliste est d’une aide précieuse, ainsi que tous les collègues qui acceptent de se plier au jeu de l’interview. Je les remercie d’ailleurs vraiment parce qu’à chaque fois je constate qu’ils se documentent, qu’ils se préparent. Les intervenants peuvent aussi être de passage : dès qu’un ancien élève revient au lycée nous dire bonjour, on essaie de filer en studio pour récupérer son histoire, son vécu. Basile est spécialiste pour cela : sa grille de questions est prête, tout comme son ton malicieux. Je m’en voudrais aussi de ne pas citer notre administration qui accepte de donner quelques HSE pour que le projet puisse vivre.

 

Quels sont vos outils et ressources pour enregistrer, monter, diffuser les émissions ?

 

Un ordinateur, un enregistreur (le ZOOM est vraiment efficace) : cela suffit largement pour avoir de bonnes pistes sons. Audacity  est maintenant un logiciel gratuit bien connu pour faire du montage, c’est simple et fiable. En ce qui concerne la diffusion, j’ai ouvert un compte gratuit sur Soundcloud et je place ensuite les archives dans la plate-forme Moodle du lycée. Une bannière sur notre site internet permet également d’élargir la diffusion.

 

Par-delà les contenus que les différents thèmes permettent de travailler, quelles compétences développe chez les élèves un tel projet de webradio ?

 

J’enfonce une porte ouverte en disant l’oral, mais c’est vrai. J’ai vraiment senti mes élèves progresser dans l’élocution, dans le phrasé. La radio (ou plus simplement l’enregistrement) donne une réalité tangible à la voix. Ce n’est que depuis que j’enregistre et diffuse mes élèves que j’ai franchi un cap avec eux. Dès qu’un élève bute sur un mot, on recommence : il ne faut rien laisser passer, même si cela prend du temps. Nous allons chercher le rythme de la phrase, le mot qu’il faut faire dire à une autre voix, les ralentis à marquer, les effets d’échos, de reprise, de polyphonie… en explorant cet univers-là, nous avons trouvé des dizaines de façon d’oraliser un texte pour le rendre agréable à l’écoute. C’est une source de plaisir intense et il suffit que le micro soit posé sur la table pour que tout à coup le rapport à l’oral change. Ajoutez à cela un peu de maquillage sonore et le tour est joué !

 

J’aimerais aussi vous donner une autre réponse, plus paradoxale : la radio, c’est avant tout de l’écrit. Mais un écrit différent de notre approche traditionnelle. Donner voix à son texte impose une syntaxe simple, cohérente, dynamique, accentuée. D’où l’importance du conducteur dont nous parlions.

 

Se lancer dans un tel projet peut générer des craintes chez des collègues : absence de formation, problèmes matériels, peur du lâcher-prise … Quels conseils leur donneriez-vous pour les aider à franchir le pas ?

 

C’est vrai, je conçois ces peurs. Cela m’a d’ailleurs longtemps retenu aussi. Mais allez-y ! Le plaisir pris à le faire est réel. Il ne faut pas hésiter à dire : « ça, je ne sais pas, essayons, nous verrons bien ». Et cela peut commencer simplement : un enregistreur posé (pour ne pas dire votre téléphone portable en fonction dictaphone) et voilà une piste MP3. Premier pas. Une piste audio ajoutée (je conseille le site « Au Bout Du Fil » qui a de belles musiques libres de droit) et c’est un deuxième pas de fait. Vous trouverez bien un élève qui aime à faire du montage audio. Cela vous permettra même de découvrir que Jeanne, la bavarde qui vous casse les pieds, joue du piano et peut vous donner des pistes audio. Troisième pas. Une fiche projet pour défendre l’idée qu’un peu de matériel permettra d’aller plus loin et vous y voici. Il nous tardera même de vous écouter !

 

Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut

 

La webradio du lycée Stendhal

Emissions autour de la poésie

 

Des exemples divers d’usages de la webradio en français

Sur Suzanne Deutsch à Saint-Quentin (02) : débats de société

Sur La Voix de Camille au Relecq-Kerhuon (29) : coups de cœur littéraires

Sur La Voix de Camille au Relecq-Kerhuon (29

Sur Radio Vinci à Saint-Brieuc (22) : les élèves prennent la parole

Sur Ondes Guérin (35) : émissions autour de la mythologie

Au collège A. Didelet à Estrée Saint-Denis (60) : chroniques littéraires

Sur Radio Saint-Maximin (60) : contraventions poétiques

Sur Radio Argote à Orthez (64) : émission autour de l’Odyssée

A Jussey (70) : émission sur Roméo et Juliette

A Montesson (78) : émission sur la parole dans un roman de L. Gaudé

Au collège Ravel à Toulon (83) : émission littéraire par des 5èmes

Sur Radio Marcel Rivière à Hyères (83) : Les Misérables par des 4èmes

Sur Delta FM à Poitiers (86) : émissions autour d’Apollinaire...

Sur Radio Condo à La Varenne Saint-Hilaire (94)

 

Une webradio en histoire geo

Une webradio en géographie

 

 

Par fjarraud , le lundi 11 mars 2019.

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