Bruno Devauchelle : Cartables, manuels, ressources à l'ère numérique 

Le numérique va t-il alléger le poids des cartables ? La question revient régulièrement depuis 20 ans, rappelle Bruno Devauchelle. Mais elle est mal posée. Encore faut-il bien comprendre ce que sont un cartable et un manuel à l'ère numérique. De plus en plus d'enseignants se passent de manuel scolaire mais le remplacent par des photocopies. " Les moyens numériques qui environnent le travail scolaire, cahier de texte numérique, carnet de notes ou même de liaison numérique, environnement numérique de travail, viennent compléter l'idée même d'un allègement des cartables. Et pourtant cela ne semble pas être vraiment le cas. Les enseignants sont majoritairement orientés "papier". Ils le font pour quelques raisons : d'une part la culture de l'écrit papier reste dominante, de plus les examens se font très majoritairement sous forme écrite ou orale mais sans numérique, d'autre part les défaillances techniques des appareils numériques et des réseaux font craindre la nécessité du fameux "plan B"." Quant au cartable il doit englober l'univers numérique de l'élève en sus de celui de l'établissement. Au croisement des deux, le smartphone...

 

Le poids des cartables est une très ancienne préoccupation des parents d'élèves, en particulier à l'entrée en 6è. Le changement de mode de travail scolaire entre l'école primaire et le collège marque aussi un changement dans la circulation des documents et supports utiles pour les apprentissages. Si à l'école primaire les ressources sont dans une seule classe disposant de moyens de stockage (tables avec casier de rangement par exemple), au collège, la multiplication et les changements des enseignements, des salles et des enseignants transforme le contenu du cartable : il l'alourdit. Certes des casiers sont disponibles dans les collèges. Dans certains établissements on a même mis en place le double manuel scolaire. Et pourtant le problème reste toujours sur le devant de la scène. Si on interroge un élève en fin de collège il vous répondra qu'il a appris à "alléger" son cartable sans risquer les foudres et autres sanctions/punitions des enseignants. Toutefois, si les manuels scolaires ne sont plus toujours dans les cartables, ce sont les "feuilles", cahiers et classeurs qui les remplacent. Ainsi c'est la nature même de ce que contient un cartable qui change.

 

L'arrivée des moyens numérique a fait rêver... mais pas longtemps. Même dans les établissements dans lesquels les élèves disposent d'un équipement individuel mobile, si l'appareil numérique a remplacé, en partie seulement, le manuel papier, il ne faut pas oublier les cahiers et classeurs. Ce que l'on observe actuellement c'est que de plus en plus d'enseignants se passent de manuel scolaire (traditionnel). Attention, ils en dispensent leurs élèves, mais gardent soigneusement les fameux "spécimens" qui leur permettront ensuite de préparer leurs cours. Pour le dire autrement il y a un vrai problème sur l'avenir du manuel scolaire et ce problème ne vient pas uniquement du numérique, mais des pratiques enseignantes liées en particulier à la photocopie. Et le web, nous dira-t-on ? A écouter la plupart des enseignants, ils se plaignent d'avoir du mal à y trouver les ressources adaptées et pertinentes. Toutefois ils y ont largement recours, mais en ordre dispersé. Du côté du ministère de l'éducation il y a différents opérateurs, Canopé, Dne, académies (et inspections) qui proposent des ressources/documents/supports (il faudra d'ailleurs clarifier cette terminologie) en ligne. Des enseignants, des associations disciplinaires ou encore des sites historiques comme "Le Café Pédagogique" qui proposent des ressources sélectionnées et commentées. Le foisonnement est tel semble-t-il que nombre d'enseignants ne s'y retrouvent pas. Il faut bien dire que Google ne facilite pas les choses, le moteur de recherche ne fournissant que des résultats bien médiocres en regard de ces besoins spécifiques.

 

L'enseignant prépare ses cours en utilisant encore majoritairement des supports photocopiables ou imprimables. Il les compose lui-même ou les récupère ici où là (même en photocopiant les spécimens envoyés par les éditeurs). On le sait depuis longtemps, l'enseignant assemble des documents pour permettre et faciliter les apprentissages des élèves. Les chefs d'établissement continuent de témoigner de l'énorme quantité de photocopies faites chaque année qui n'ont pas baissées, semble-t-il même dans les établissements dans lesquels les élèves ont des équipements individuels mobiles. Il faut bien sûr rappeler l'existence du centre français d'exploitation du droit de copie. Est-il suffisamment efficace ? Ou plutôt les enseignants sont-ils respectueux de ce droit ? Les chiffres fournis par ce centre en ce qui concerne le monde scolaire ne semblent pas refléter la réalité quotidienne. Même si le ministère met en ligne un rappel des règles, il semble bien qu'il soit peu respecté.

 

On entend de plus en plus souvent l'idée suivante : on n'a plus besoin de "manuels scolaires". De fait nos études (en cours) et observations semblent confirmer la baisse du nombre de manuels scolaires préconisés par les enseignants au collège, en particulier. Les élèves confirment aussi le faible usage des manuels scolaires, quand ils existent, par les enseignants pendant le cours. Aussi rapidement, lorsqu'ils ont appris leur métier d'élève, ils savent ce qu'il faut amener et quand. On a même entendu la même remarque pour les établissements qui ont des élèves dotés d'ordinateurs portables ou de tablettes : les enseignants nous obligent à les amener, mais ils utilisent d'abord le papier crayon et les photocopies, mais sanctionnent les élèves qui n'amèneront pas leur appareil l'un des deux jours de l'année où ils le feront utiliser par les élèves. Tout cela nous amène à définir ce que l'on peut appeler "l'environnement mobile du travail scolaire de l'élève" (EMTSE).

 

Le cartable, qu'elle qu'en soit la forme, constitue la base technique de cet environnement. L'élève doit donc apprendre à y intégrer tout ce dont il pense avoir besoin pour ne pas risquer les foudres des enseignants et autres personnels éducatifs. Cahiers, livres, ordinateurs pour certains, sont donc dans le cartable. Mais s'y ajoutent des objets personnels, comme le doudou (même chez les grands), de quoi grignoter ou boire, et bien sûr désormais le smartphone ou le téléphone portable (la quasi-totalité des élèves en disposent à partir de la classe de 4è voir même de 6è dans certains cas). La concurrence dans ce cartable est vive et chaque élève doit prendre soin de déployer la stratégie adaptée, ils en témoignent facilement. C'est ce smartphone, surtout au lycée, mais parfois aussi au collège qui devient un autre auxiliaire de ressources, pouvant être sollicité selon les situations pédagogiques par l'enseignant (en respect du règlement intérieur bien sûr). Les moyens numériques qui environnent le travail scolaire, cahier de texte numérique, carnet de notes ou même de liaison numérique, environnement numérique de travail, viennent compléter l'idée même d'un allègement des cartables. Et pourtant cela ne semble pas être vraiment le cas. Les enseignants sont majoritairement orientés "papier". Ils le font pour quelques raisons : d'une part la culture de l'écrit papier reste dominante, de plus les examens se font très majoritairement sous forme écrite ou orale mais sans numérique, d'autre part les défaillances techniques des appareils numériques et des réseaux font craindre la nécessité du fameux "plan B". Dans le quotidien nombre d'enseignants craignant la défaillance technique préparent l'alternative papier. Dans certains cas, après plusieurs défaillances, le plan B devient le plan A. Pour le dire autrement si dans un établissement l'utilisation des moyens numériques se révèle défaillante trop longtemps, elle est abandonnée en grande partie et durablement. Le recours aux "bonnes vieilles méthodes" permet de s'en sortir...

 

Ce serait donc les cahiers et les classeurs qui pèseraient de plus en plus lourd dans le cartable des élèves de collège en particulier. Les manuels scolaires seraient de plus en plus en recul et leur forme numérique ne convaincrait pas vraiment leur utilisation par les élèves. Le manuel scolaire serait d'abord l'outil de l'enseignant. Les photocopieurs, désormais reliés au réseau informatique de l'établissement qui les transforme en imprimante, sont toujours très fortement sollicités. Il serait bien que les gestionnaires des établissements nous proposent une enquête qui permettrait de quantifier cette utilisation sur plusieurs années et en lien avec les contextes d'établissements (en particulier dans le domaine du numérique). Des sites liés à ces personnels évoquent cette question mais nous manquons fortement d'indications quantitatives fiables, et surtout il semble que les pouvoirs publics limitent leur intervention à des rappels au droit et à la loi, mais sans se donner les moyens d'aller vérifier ce qui en est réellement fait. Quant aux collectivités territoriales, elles aussi peuvent s'interroger : quel avenir, quel budget, quel pilotage ? Au risque de retrouver dans vingt ans, comme cela est le cas aujourd'hui, la question du poids des cartables. (L'auteur de ces lignes avait déjà eu l'occasion de se saisir de cette question quand il était membre du conseil d'administration d'un collège public entre 1995 et 1998).

 

Bruno Devauchelle

 

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Par fjarraud , le vendredi 22 mars 2019.

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