Julie Vera et Sophie Pons : Il y aura une fois le carnet de lecture ? 

Le carnet de lecture a-t-il encore un avenir au lycée ? Les nouveaux programmes préconisent que « l’élève garde la trace du travail et des activités menés tout au long de l’année », par exemple à travers un « carnet de lecture » où pourront prendre place des « écrits d’appropriation ». Or, contrairement aux prévisions, ce portfolio littéraire ne sera pas support de l’oral de l’EAF, officiellement au nom d’un « principe d’équité » entre les candidats (?), probablement à cause de lobbys conservateurs. La reculade menace la mise en œuvre effective dans les classes, autant dire la reconnaissance de l’élève comme sujet lecteur à part entière. Et si on lançait quand même le carnet de lecture ? Car ses intérêts sont riches comme en témoignent Sophie Pons et Julie Vera qui en mènent déjà l’expérience au lycée Odilon Redon à Pauillac. Elles livrent ici un possible mode d’emploi et des conseils : «  Il faut veiller à ne pas en faire une compilation de fiches de lecture. Il est important que les élèves se sentent libres de s’y exprimer. Plaisir et créativité en sont les maîtres mots. »

 

Pour beaucoup de collègues, le « journal du lecteur » est une nouveauté : de quoi s’agit-il ?

 

Le Journal du Lecteur (JDL) est un carnet dans lequel les élèves consignent leurs lectures scolaires et personnelles, ainsi que leurs sorties et activités culturelles. L’objectif est de conserver une trace de tout ce qui participe à leur culture littéraire, artistique, etc,. et de leur permettre d’exercer leur regard critique sur les œuvres qu’ils rencontrent.

 

Que contiennent les journaux de lecteurs de vos lycéen.nes ?

 

Il est difficile de donner une liste exhaustive de ce que contiennent les JDL de nos élèves puisqu’ils ne cessent d’évoluer en fonction de leurs personnalités, de leurs goûts qui eux-mêmes évoluent.

 

Toutefois, plusieurs éléments doivent être présents dans tous les JDL : la couverture personnalisée (ou la page de garde),  l’avis aux lecteurs et les règles à suivre en lisant le JDL, l’espace « commentaires » à la fin du carnet ou de chaque article. Les articles obligatoires correspondent aux lectures analytiques et aux lectures cursives vues en classe. Chacun d’entre eux se compose d’une courte biographie de l’auteur, d’un résumé partiel (par exemple les 10 % du livre) ou intégral de l’œuvre et d’un avis argumenté. Tous ces éléments doivent être personnels. Dans le cadre des lectures analytiques, les élèves écrivent leur article sur l’extrait étudié et non sur l’œuvre, à moins qu’ils ne l’aient lue.  Les films, pièces de théâtre, sorties culturelles intégrés à la séquence de français doivent également faire l’objet d’un article.

 

Par ailleurs, nous les invitons à consacrer des pages à leurs lectures personnelles et aux sorties culturelles faites en dehors du cours de français. Nous leur suggérons aussi des rubriques supplémentaires, s’ils le souhaitent comme « Adopteunmot.com » qui consiste à relever des mots qui leur plaisent ou qu’ils découvrent au cours de leur lecture. Ou bien  « Rencontre avec l’œuvre » : il s’agit de raconter dans quel contexte ils ont été amenés à découvrir l’œuvre. Ou encore « Note » (chiffrée ou sous forme de smiley, de symbole...),  « Citations », description de la couverture, nombre de pages, marque-page utilisé, etc.

 

Les élèves font-ils eux-mêmes des suggestions ?

 

Les élèves eux-mêmes proposent régulièrement de nouvelles rubriques, par exemple « Le saviez-vous ? » qui donne une information documentaire sur l’œuvre ou l’auteur ; une chanson, une réplique ou une citation tirée d’une autre œuvre en lien avec l’article ; des mots-fléchés se rapportant à l’œuvre ...

 

Quels consignes ou conseils donnez-vous pour la présentation et l’organisation du journal ?

 

Le principe qui régit le JDL est le plaisir : le choix du carnet est donc totalement libre. Il peut s’agir d’un cahier recyclé aussi bien que d’un beau carnet ou d’un cahier fait main. Le petit cahier peut être rassurant au départ et il arrive fréquemment que les élèves qui avaient choisi un petit format changent en cours d’année pour un cahier plus grand. On leur conseille surtout de prendre soin de leur JDL, de l’illustrer ou de le colorer en fonction de leurs goûts et de leurs envies. L’organisation est libre également tant que les éléments obligatoires sont présents (bien entendu, l’avis aux lecteurs doit se trouver au début).

 

Avez-vous connu des satisfactions et des plaisirs sur ce plan formel ?

 

Nous connaissons des satisfactions en permanence ! Nous constatons que d’année en année, les beaux JDL se multiplient. Nous l’expliquons par la boîte à JDL du CDI qui permet à tous ceux qui le souhaitent de les consulter, le temps que nous y consacrons en classe (plusieurs séances en 2nde) et le matériel de scrapbooking que nous mettons à leur disposition au CDI également. Tout cela permet de créer une véritable émulation ! Les élèves viennent faire leur JDL sur leur temps libre, ils se les échangent, se notent des commentaires, certains élèves que nous n’avons pas en classe se mettent à en tenir un...

 

Selon quel calendrier et quel dispositif les lycéens tiennent-ils ce journal de lecture ?

 

Tous les élèves que j’ai en Français doivent tenir un JDL. Sophie et moi y consacrons plusieurs séances en 2nde, sur les heures en demi-groupe ou dans le cadre de projets lecture, qui nous permettent de leur présenter le dispositif et de leur donner l’impulsion nécessaire aux débuts du JDL, mais la grande partie du travail se fait sur leur temps libre, à la maison ou au CDI. Nous le relevons une fois par trimestre, en général lors des évaluations finales, ce qui nous permet de commencer à les évaluer.

 

Ce journal est-il amené à être évalué ? De quelle façon ?

 

Le JDL est obligatoire et évalué, mais c’est une note « bonus ». D’une part, nous ne mettons jamais de note inférieure à 10/20, d’autre part la note n’est prise en compte que si elle ne fait pas baisser la moyenne de l’élève. La note de JDL peut évoluer au cours du trimestre si les élèves ajoutent des articles ou prennent en compte nos conseils pour l’améliorer.

 

Nous ne corrigeons jamais l’orthographe sur les JDL, nous nous contentons de signaler les grosses erreurs (par exemple de mouvement littéraire) avec un petit post-it placé sur la page. Nous mettons régulièrement des commentaires sur les JDL, toujours bienveillants et dans le but de les aider à les améliorer et dans l’espace prévu à cet effet.

 

Nous l’évaluons doublement : par compétences selon une grille que nous donnons en début d’année aux élèves et avec une note chiffrée. Chaque article et chaque rubrique supplémentaires augmentent la note, de même que l’originalité de la forme et du fond. Nous encourageons les élèves, par l’évaluation notamment, à prendre possession du JDL et à se sentir libres d’exprimer leurs personnalités à l’intérieur. Nous avons fréquemment de très belles surprises et nous découvrons bien souvent des facettes de nos élèves que nous ignorions.

 

A la lumière de vos expériences, quels vous semblent les intérêts de ces portfolios de lecture ?

 

Les intérêts du JDL sont multiples. Pour les élèves, il permet d’adopter une autre posture, plus intellectuelle et active, face à leur parcours culturel, d’en garder une trace qu’ils prennent plaisir à relire et à partager, de faciliter les révisions pour le bac de français, d’exprimer leurs goûts, leur créativité, leur fantaisie dans un contexte qui habituellement n’y est pas propice. Surtout, il les autorise à porter un autre regard sur la lecture et à mettre en valeur leurs habitudes culturelles non scolaires, par ailleurs souvent dépréciées (la littérature jeunesse ou les mangas par exemple trouvent toute leur place dans le JDL aux côtés de lectures plus classiques et prescrites).

 

Mais le JDL présente également plusieurs intérêts pour nous (qui en tenons un aussi que nous laissons à disposition dans la boîte du CDI). Il nous fait accéder à la culture de nos élèves, ce qui permet de favoriser l’échange avec eux sur nos lectures respectives et de dresser des ponts entre leur culture et celle que nous leur transmettons.

 

Pour faire vivre la lecture au lycée Odilon Redon, vous avez aussi créé le projet du « Livre d’O.R. » : pouvez-vous expliquer la nature, les modalités et les enjeux de ce projet ?

 

Le Livre d’O.R. est un projet que nous menons avec une classe de 2nde. Il est né de la volonté de créer notre propre sélection de livres qui propose une variété de genres littéraires autour d’une thématique, ce que nous ne trouvons pas habituellement dans les prix de lecture. Nous voulions que tous les élèves puissent prendre du plaisir à lire, petits comme grands lecteurs. Nous sélectionnons nous-mêmes dix titres relevant de la littérature classique, la littérature jeunesse, la poésie, le théâtre, le documentaire, le manga et la BD. Les élèves doivent en lire cinq minimum sur l’année et réaliser des activités en classe (une heure en demi-groupe par semaine y est consacrée) de natures variées : article de JDL, booktube, interview, marque-page, création d’avatars, etc. Ces lectures remplacent les lectures cursives proposées normalement en classe dans le cadre des séquences de Français.

 

Le journal de lecture que fabriquent vos élèves est individuel et sur support papier : vous semble-t-il envisageable d’en envisager des formes numériques, des formes augmentées, des formes collaboratives … ?

 

Toutes les formes de JDL sont envisageables et nous en avons déjà plusieurs sortes. Deux élèves ont créé cette année un JDL numérique, commun : ils rédigent ensemble les biographies mais chacun écrit ses propres résumés, avis et articles supplémentaires. L’espace commentaires est directement intégré aux articles.

 

Un JDL collaboratif a été créé cette année pour les élèves d’une collègue du lycée professionnel, les membres du club CLE (cinéma, lecture et écriture) animé par des élèves, et pour tous ceux qui souhaitent seulement rédiger un article.

 

Le JDL augmenté n’a pas encore été proposé, mais comme nous travaillons avec les élèves sur le livre enrichi, cela ne saurait tarder.

 

Comme vous le voyez, le JDL se prête à toutes les formes possibles.

 

Le journal de lecture est susceptible de devenir un support de travail en français dans toutes les classes de lycée pour les années à venir : que pensez-vous de ce choix ? quels conseils donneriez-vous aux collègues pour que la mise en œuvre de ce dispositif se passe au mieux ?

 

Nous sommes ravies de l’apparition du JDL dans la réforme du lycée. C’est un outil formidable qui présente de multiples atouts et qui permet de donner une autre image de la lecture à l’école. Cependant, il faut veiller à ne pas en faire une compilation de « fiches de lecture ». Il est important que les élèves se sentent libres de s’y exprimer, de prendre possession de leur JDL, de l’enrichir de leur propre culture. Plaisir et créativité sont, pour nous, les maîtres mots de ce type de journal.

 

Depuis quelques années, le JDL s’étend aux collèges du secteur et plusieurs élèves arrivent en 2nde avec un journal déjà commencé et qu’ils poursuivent au lycée. C’est une belle manière de créer du lien entre le collège et le lycée et de donner de la cohérence au parcours culturel de chaque élève !

 

Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut

 

Sur le site « L’Imbloglio » de Sophie Pons et Julie Véra

Exemple de journal de lecture numérique par deux élèves du lycée Odilon Redon

Le projet « Livre d’O.R. »

Le projet  « Adopteunmot.com »

Dans le Café : Bénédicte Shawky-Milcent sur le carnet de lecture

Dans le Café : un exemple de journal de lecture collectif, créatif et numérique

Les nouveaux programmes de français au lycée

 

 

 

 

 

Par fjarraud , le lundi 08 avril 2019.

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