Bruno Devauchelle : Chronique d'un confinement : deuxième semaine 

Le scénario était facile à prévoir : annonces ministérielles, ruée sur les solutions miracles, bugs en série, puis propositions de toutes origines, commentaires et récriminations en tous genres, bref un beau bazar ! Arrivée en deuxième semaine se pose bien sûr la question de l'installation dans le temps de cette situation. Si les errements de la première semaine s'estompent, malgré le volontarisme et l'enthousiasme initial, on assiste d'une part à une amélioration (augmentation parfois) des propositions faites par les enseignants et les éducateurs qui semble inversement proportionnelle à l'envie de les utiliser. Entre ceux qui veulent en faire trop, ceux qui veulent simplement accompagner, ceux qui oublient de "scénariser" les activités, ceux qui font du copier-coller de la classe habituelle, ceux qui ne font rien, là encore on a déjà tout vu, mais surtout des questions se multiplient et des peurs et des angoisses se propagent. L'incroyable propos d'une porte-parole du gouvernement est peut-être, outre un lapsus révélateur, la preuve d'une "panique d'état".

 

Accompagner ou enseigner ?

 

Il faut dire que les discours officiels marqués par leur incroyable assurance de façade tentent de laisser croire à une maîtrise rationnelle. La science a été convoquée pour aider le pouvoir, mais la science n'est pas aussi exacte que certains tentent de nous le prouver, et en l'occurrence, les débats du moment (quels remèdes, quels moyens...) révèlent combien le savoir est fragile... et surtout sa construction. Cela pourra surement faire un creuset pour travailler l'information. Les discours péremptoires sont vite contrariés par les réalités de terrain, et en éducation, c'est ce qui se passe aussi. Ce qui est étonnant c'est que, en interne, il semble qu'à tous les étages de l'institution scolaire, personne ne veuille qu'on regarde de près ce qui se passe. Il faut dire que l'idée d'un procès à venir (médiatique ou judiciaire) peut faire peur. Même si c'est après qu'on pourra tirer les enseignements de la situation, toujours est-il que c'est maintenant qu'on agit et c'est maintenant qu'il faut aussi garder les traces et les témoignages de ce qui se fait.

 

Les actions menées par les uns et les autres ne sont pas forcément au goût de tous, ne répondent pas forcément aux attentes des uns et des autres, ne sont pas parfaites, mais pour l'instant on constate que chacun fait "pour le mieux". Evitons le fameux "bashing", cette méchanceté dénoncée par François Jost, si délétère et parfois même injuste. La critique est d'abord une question avant d'être une dénonciation ou même une contre affirmation. Les médias relaient facilement ces propos emportés ou ces propos déplacés sans forcément faire leur propre auto-critique... Les Réseaux Sociaux Numériques ne sont pas le bon espace pour l'analyse sereine pas même suffisants pour nous rapporter d'autres réalités de terrain que celles qu'expriment les "parleurs" (qui souvent sont les mêmes).

 

Non le numérique n'est pas aussi fiable qu'on veut le croire, non ce n'est pas la solution à tous nos maux du moment. Bref tout cela est d'abord "humain". A croire, comme certains hauts responsables bien éloignés du terrain, mais proches de leur cercle restreint de conseillers et adjoints, qu'avec le numérique on a déjà la solution (cela a encore été répété cette semaine) on observe qu'il faut savoir faire preuve d'humilité : il faut d'abord faire "l'invention du quotidien" pour reprendre l'expression de Michel de Certeau et de Luce Giard. La croyance en une vertu a priori salvatrice du numérique n'est pas traduite par la réalité de la classe, avant la crise, mais aussi pendant la crise. On admirera surement les tentatives des réticents, des maladroits qui enfin ont pu accompagner leurs élèves à distance. Accompagner et non pas enseigner.... car il faut rester modeste

 

Les frontières de l’info

 

On peut s'appuyer sur la métaphore volcanique pour essayer de comprendre ce qui se passe. Un élément déclencheur aussi invisible qu'imprévisible a touché l'ensemble de nos sociétés. Elle les fait vaciller sur leurs fondements. Bien sûr le volet économique est présenté par certains comme le plus important, mais le volet "éducatif" est loin d'être le moins nécessaire. On peut le constater par les réactions nombreuses des enseignants suite aux déclarations "paniques" de la porte-parole du gouvernement. Le cratère envoie aussi bien de gigantesques fumées qu'il rejette de la lave incandescente. Et chacun de tenter d'y échapper... et de s'organiser en attendant que l'éruption cesse.

 

Comme l'éruption n'est pas encore en voie de s'arrêter, on peut déjà observer ce qui se passe quand on s'installe dans la durée. Les critiques de toutes parts apparaissent : trop de travail donné par les enseignants, trop de pression sur les enfants pour faire leur travail, multiplication des offres de services, de ressources (infobésité), d'aides de toutes sortes. Ce qui constitue la lave incandescente c'est le travail fait par chacun, enseignants, élèves, parents, éducateurs. Il faut éviter que la lave ne recouvre et ne fige les acquis antérieurs à l'image de Pompéi. Il est même souhaitable que chacun s'empare de la formidable énergie volcanique pour durer (mais combien de temps encore ?) et continuer à favoriser le maintien de "l'intention d'apprendre", continue à inventer les dynamiques d'autonomie de ceux qui apprennent : évitons de donner trop d'exercices simplistes et individuels, proposons plutôt des activités de coopération et de construction.

 

Il y a un élément qui fait question c'est l'amplification de chacune de ces scories d'éruption volcanique. Tous les médias de flux ont bien repéré l'opportunité de fournir aux français un miroir pour qu'ils s'y voient. C'est à tour de bras qu'on leur donne la parole, prise de risque insensée, mais surtout source de tous les errements possibles : C'est le "je" qui est au centre de toutes ces prises de paroles qui tentent toutes de faire de l'exemple que "je" vis soit une vérité universelle, soit un problème non résolu. Pour le dire autrement, la mise en scène de la parole publique dans les médias est inquiétante tant par ce qu'elle confirme des prises de paroles publiques que dans ce qu'elle confirme de ce qu'est le journalisme radio et télé d'aujourd'hui mais aussi de ce que chaque individu exprime lorsqu'il se coupe physiquement du monde. Le risque de cette centration sur "moi" c'est l'oubli du nous et de ce que certains médias et autres services proposent : des ressources pour durer dans le confinement.

 

La "semaine de la presse et des médias à la maison", est l'adaptation de celle habituellement à l'école. L'argumentaire est évident et rituel, mais cette fois-ci deux différences essentielles. La première c'est le à la maison... comme si la presse et les médias n'étaient pas déjà une question à la maison (en fait le CLEMI n'intervient pas habituellement sur ce terrain de la sphère privée). La deuxième c'est le thème "L'information sans frontière". Prévu depuis longtemps ce thème rejoins cruellement l'actualité et potentialise l'ensemble des questions qu'il pose : peut-on vivre sans frontière ? Quel est le sens d'une frontière ? Quel est la réalité des frontières et de leur porosité ? Si ces questions sont posées à propos de l'information, elles sont en fait bien plus vastes : on en revient à la mondialisation et son histoire dont la circulation des informations est la plus récente et la plus spectaculaire des mises en œuvre. Mais derrière celle-ci on y trouve aussi les frontières et les échanges de biens, de ressources, de matières premières qui sont bien antérieures. Et l'actualité de la crise confirme cela à chaque instant.

 

Bruno Devauchelle

 

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Par fjarraud , le vendredi 27 mars 2020.

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