Marie-Claude Pignol : Pourquoi maintenir l’oral de français au bac ? 

En 1ère, en français, un autre mois de mai et un autre mois de juin sont-ils possibles ? Pour les professeur.es et les élèves, le maintien de l’oral de français au bac ne passe pas, sur le plan pédagogique tout autant que sanitaire : il est perçu comme injuste et  injustifié, anxiogène et irréaliste. « Dans quelque temps, je serai amené à regarder ce qu'il en est, si c'est faisable, s'il y aura un temps de préparation suffisant, et nous verrons si nous confirmons cet oral ou pas » : le 1er mai, Jean-Michel Blanquer semble avoir ouvert une porte à une possible annulation de l’épreuve. Voici le témoignage de Marie-Claude Pignol, professeure de lettres à Pithiviers. Elle raconte les problèmes qu’a posés l’arrêt des cours en mars dans la mise en œuvre du programme de français 2019-2020. Elle interroge la nécessité de boucler ce programme dans l’urgence et de condamner les élèves à un bachotage intensif. Et elle lance une invitation : dans les semaines à venir, il y aurait pour les élèves tant à lire, écrire, dire, penser, rêver, créer, partager …

 

Vous enseignez le français en 1ère technologique : où en étiez-vous dans le programme avant l’arrêt des cours le lundi 16 mars ?

 

Nous finissions le deuxième objet d’étude de la progression. Nous étions « en retard » : d’abord parce que nous avons passé beaucoup de temps sur la méthode des exercices en début d’année, beaucoup de temps aussi sur le travail d’appropriation des œuvres parce que la lecture des livres posait des problèmes importants. Pour ne rien arranger, j’ai subi environ un mois d’arrêt maladie non remplacé cet hiver qui a pesé lourd. Nous avions travaillé tous les exercices demandés à l’écrit et les élèves venaient de passer l’oral du bac blanc qui devait me servir de point d’appui pour approfondir la méthode des exercices de l’oral. Les élèves avaient « lu » cinq livres (sur les huit prescrits) et nous avions analysé en classe sept textes pour l’oral (sur les seize demandés réduits depuis à douze).

 

Quelles activités avez-vous pu mener avec les élèves durant cette période de confinement ?

 

Le vendredi avant le confinement, nous avions décidé collectivement que la priorité serait la lecture des dernières œuvres pour, dans l’hypothèse où nous aurions pu nous retrouver à la rentrée, pouvoir mettre le paquet sur les explications qui me paraissaient impossibles à mener à distance. C’est toujours le sentiment que j’ai. Donc, depuis le début du confinement et pendant les quatre semaines avant les vacances de printemps, avec les élèves de première, je me suis concentrée sur des activités d’appropriation d’œuvres intégrales et de découverte des textes qui devraient faire ensuite l’objet d’une lecture linéaire.

 

Depuis le début de l’année, nous avons constitué des classes virtuelles sur Edmodo. Je leur ai proposé de continuer à utiliser ce média ainsi que Pronote. Il me semblait plus confortable de continuer à utiliser les outils auxquels ils sont habitués plutôt que de nous éparpiller. La première semaine a été très brouillonne et maladroite parce que, dans l’urgence de faire quelque chose, j’ai essayé de me soumettre au rythme par séances imposé par Pronote. Clairement, ça ne fonctionnait pas. Alors, dès la deuxième semaine, j’ai mis en place un plan de travail hebdomadaire qui a toujours à peu près la même forme avec trois objectifs clairs et une liste de deux ou trois consignes par objectif : un autour d’une œuvre intégrale (comme rédiger un texte d’appropriation du roman de D. Daennickx Cannibale) ; un autour d’un extrait pour une analyse plus précise (comme répondre à quelques questions de compréhension du sens littéral d’un extrait du Supplément au Voyage de Bougainville de Diderot présent dans le manuel) ; et un objectif de grammaire (comme identifier les phrases interrogatives dans le même texte de Diderot et les caractériser). Le plan de travail est à disposition sur les deux sites dès le lundi et les élèves s’organisent comme ils veulent. Je déploie les consignes au fil de la semaine en mettant au fur et à mesure les éventuelles ressources nécessaires. Pour les travaux à rendre, je crée un espace dédié dans la classe virtuelle et ils peuvent également me les envoyer via ma messagerie académique. Je propose, toujours sur la classe virtuelle, des tests de vérification de l’appropriation pour les contenus de cours rédigés que je leur envoie. Enfin, une fois par semaine, ils peuvent y réaliser un petit test rapide de grammaire composé à partir d’énoncés pris dans le texte sur lequel on travaille pour qu’ils puissent vérifier leurs progrès.

 

Ponctuellement, je propose des activités plus récréatives ou des liens vers des vidéos, des ressources pour compléter le cours. La plupart des élèves ne les utilisent pas et s’en tiennent au plan de travail.

 

Quelles difficultés avez-vous rencontrées durant cette période d’enseignement à distance ?

 

Le plus dur est d’avoir perdu les interactions de la classe. J’aime beaucoup mes élèves, j’aime beaucoup les moments en classe avec eux : c’est le cœur de notre métier. En être privée me place dans une sorte de position étrange où le sens de ce que je fais se dilue considérablement.

 

Il y a eu aussi l’absence de textes clairs de la part de l’institution : je ne sais pas combien il y a eu de circulaires de cadrage de nos activités d’enseignement pendant le confinement mais, à chaque fois que j’ai demandé un texte à ma direction concernant telle ou telle décision qui devait s’appliquer à mes élèves, j’étais invariablement renvoyé à une parole, un discours. Jamais à un texte. Ne pas avoir de texte pour accompagner mes démarches avec les élèves et les familles, c’est comme naviguer sans GPS et cela a créé beaucoup d’insécurité la première semaine. Heureusement, sur le plan pédagogique, les IPR de lettres nous ont adressé assez rapidement un texte très clair, énonçant quelques principes simples qui correspondaient aux choix que j’avais fait, ce qui m’a redonné confiance.

 

Difficile aussi la gestion de la charge affective : enseigner ne se limite pas à produire des contenus de cours. Il faut aussi accompagner, épauler, rassurer. Et tout cela n’est pas neutre. Je me suis souvent retrouvée en fin de journée de travail épuisée par le trop plein d’émotions généré par mes échanges avec mes élèves et/ou leurs familles. Le détail amusant est que le message qui déclenche l’ouverture des vannes lacrymales est souvent un message très gentil de l’un ou l’autre. Un simple « merci » dans ces circonstances étranges pèse de tout son poids.

 

Avez-vous précisément connu aussi des satisfactions ?

 

Ma principale satisfaction est de voir parmi les élèves qui tiennent bon à la fois les plus sérieux en présentiel mais aussi d’autres, moins déterminés en classe mais qui semblent vivre les échanges avec les enseignants comme des points d’accroche essentiels vers ce qui est sans doute pour eux devenu un ailleurs nécessaire et peut-être même rassurant. Je crois que, pour certains élèves, apprendre a acquis un sens nouveau et j’essaie de construire avec cela.

 

Et puis, être débarrassée de l’enjeu des notes est aussi une vraie libération : enfin je peux valoriser les réussites et les progrès des élèves sans cette obsession de la comparaison avec les autres ou avec une « moyenne ». Je n’aime pas le quantitatif. En être enfin libérée, quel soulagement ! 

 

Il a été annoncé que les lycées ne rouvriraient pas avant début juin (au mieux) et que pourtant l’oral de français au bac était maintenu pour les 1ères : que pensez-vous de cette décision ?

 

Je ne comprends pas. Vraiment, je ne saisis pas. Concrètement, nous disposerons, au mieux, de deux semaines pour préparer et entrainer en présentiel les seuls élèves qui voudront bien venir jusqu’à nous. Imaginez qu’on demande à des sportifs de haut niveau, enfermés plusieurs mois chez eux, de s’entrainer intensivement pendant deux semaines avant de reprendre des phases finales : c’est exactement le type d’effort mental qu’on veut exiger de nos élèves.

 

Par ailleurs, ça veut dire préparer le contenu des exposés avant, en distanciel. Donc cela nous interdit dans les semaines qui viennent de faire autre chose, comme par exemple repartir des textes déjà connus pour aller doucement vers la philosophie. Combien ce travail à partir des textes pourrait prendre sens, en ce moment ! Construire à partir de concepts, de sujets de réflexion. Parcourir aussi le manuel à la découverte d’autres auteurs, enrichir notre corpus commun pour partager une aventure littéraire ensemble, qui puisse être une chambre d’écho à l’expérience de chacun. Il y aurait tellement à rêver et à créer. Nous allons priver les élèves de la possibilité de ce qui fait du bien avec la littérature pour leur imposer un rythme délirant de préparation impossible à la seule épreuve du baccalauréat qui, sans raison claire, est maintenue.

 

De plus, si nous les retrouvons effectivement en juin, il y aurait tellement mieux à faire qu’un entrainement intensif à l’épreuve orale ! Nous ne savons pas dans quel état ils seront, y compris sur le plan psychique. Ajouter ce stress supplémentaire à ce qu’ils et elles vivent déjà et leur interdire d’utiliser l’espace du cours de français pour faire quelque chose avec cette expérience vécue, les priver des moyens de dire, de lire, d’écrire pour se limiter à les entrainer à une épreuve à toute vitesse et dans l’urgence, je ne veux même pas essayer de faire du sens avec cette idée.

 

Songez que ce sont les mêmes élèves qui ont dû subir, déjà, cette année, l’angoisse des premières épreuves d’E3C. Certains se demandent pourquoi ça tombe encore sur leur génération. Je les comprends et je m’interroge aussi.

 

Certain.es avanceront peut-être que le maintien de l’oral de l’EAF va leur permettre de garder les élèves de 1ère au travail : votre expérience actuelle le confirme-t-elle ?

 

Je n’y crois pas une seule seconde et je trouve que c’est véritablement faire injure à nos élèves que de le penser. Si c’était le cas, les élèves ne travailleraient plus du tout dans les autres disciplines puisqu’il n’y a pas d’épreuve de fin d’année. Or, il ne me semble pas que ce soit le cas. Les seuls élèves qui ne travaillent que pour les examens sont les bachoteurs et ils ne sont pas majoritaires, loin de là. La plupart des élèves visent quelque chose de plus grand que l’épreuve terminale. Ils visent un après dans leur existence qui inclut leur réussite scolaire mais ne se résume pas à cela, même si c’est une part importante. Dans cette visée qu’on pourrait simplement nommée le désir de devenir un adulte respectable, l’enseignement de la littérature aurait une belle partition à jouer en ce moment si nous n’étions pas condamnés à faire bachoter l’ensemble de nos élèves.

 

Beaucoup de professeur.es de lettres demandent que l’oral de l’EAF soit annulé cette année comme toutes les autres épreuves du baccalauréat et du brevet : si c’était le cas, quelles seraient vos pistes de travail pour proposer aux élèves des activités à distance motivantes et pertinentes ?

 

Je sais que nombre de mes élèves sont curieux et impatients de se frotter à la philosophie. J’aimerais donc reprendre certains textes étudiés depuis le début de l’année pour explorer avec eux ce qu’est un concept et creuser une ou deux problématiques philosophiques en utilisant d’autres textes de leur manuel de français. Les ressources qu’il contient le permettrait et nous dégagerait de l’obligation d’essayer de lire des textes numérisés ou numériques alors qu’ils n’ont pas tous les outils qui permettent de le faire confortablement.

 

J’ai aussi proposé à mes élèves de seconde des exercices de création littéraire (sur le modèle de l’ancien exercice de l’écriture d’invention). Ainsi, ont-ils constitué un recueil poétique numérique sur le thème du Printemps des Poètes « le Courage ». J’aimerais pouvoir permettre aux élèves de première de libérer un peu leurs capacités d’écriture et d’expression avec des exercices moins formels que ceux de l’E.A.F. Je pense que ça pourrait donner du sens à l’ensemble de ce que nous avons fait cette année. Leur faire ressortir Annie Ernaux pour « écrire à la manière de », par exemple, voilà quelque chose que j’aimerais leur proposer. Une réécriture du monologue de Figaro, pourquoi pas ?... Il y aurait beaucoup à rêver à partir de ce que nous avons déjà constitué de culture commune si seulement je pouvais dégager un peu de temps de cerveau disponible pour proposer des activités qui aient un autre sens que cette préparation à l’oral !

 

Enfin, j’adorerais leur faire réaliser des activités de découverte des œuvres du programme pour leurs camarades de seconde qui s’y frotteront l’an prochain. Je suis certaine qu’ils pourraient aussi imaginer des exercices d’entrainement aux exercices du bac auxquels je ne pense pas et que je pourrai proposer ensuite aux secondes. Mais pour tout cela, il faut du temps et c’est un luxe dont l’obligation de boucler le programme de lecture nous prive complètement.

 

Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut

 

Lettre de l'AFEF sur l'oral de français

Déclaration ministérielle le 1er mai 2020

Une pétition contre le maintien de l’oral

Dans Le Café : La fronde des professeur.es de français

Dans le Café : Une intersyndicale contre l’oral de français

Sur le site de l’AFEF : témoignage d’une enseignante de l’académie de Créteil

Recueil poétique numérique en 2nde sur le thème du Printemps des Poètes

 

 

 

Par fjarraud , le lundi 04 mai 2020.

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