Cnesco : Pourquoi diable les enseignants refusent-ils leur développement professionnel ? 

Journée carrières enseignantes. Dans cette seconde journée de la conférence de comparaison internationale sur la formation des enseignants, organisée par le Cnesco, on a touché du doigt les limites des projets de développement professionnel des enseignants. On a aussi clairement aperçu le modèle de système éducatif et de "nouveau métier enseignant" qui pointent derrière cette notion de développement professionnel. Cela s'est fait à travers 4 exemples : les célèbres lesson studies japonaises, le non moins célèbre modèle de Singapour, la réforme des référentiels de compétences estoniens et la notion d'établissement apprenant envisagée depuis Genève. Quatre exemples qui montrent que le "nouveau métier enseignant" est une bataille. Souvent perdue.

 

L'exemple des Lesson Studies

 

Janos Gordon Gyori (Université Eotvos Lorand de Hongrie) fait une présentation passionnante des "lesson studies" japonaises. Inconnu il y a quelques années, ce modèle de formation connait un grand succès et est poussé en avant en occident, y compris en France. Certains y voient une façon de faire entrer les enseignants dans le développement professionnel en évitant les blocages liés aux relations hiérarchiques.

 

Mais ce que montre J G Gyori c'est que les lesson studies sont étroitement liées à la civilisation japonaise. C'est un processus de formation communautaire, mais ouvert à un expert extérieur, autour de la réalisation d'une leçon modèle par un petit  groupe de professeurs. Ces professeurs travaillent ensemble sur une leçon qu'ils améliorent ensemble, utilisent en classe ensemble et soumettent à un expert pour l'améliorer encore. Ce processus est banal. Il se produit dans un système éducatif où les programmes sont très rarement changés. Où les enseignants ont ce temps de lesson studies inscrit à leur emploi du temps. Et où les enseignants changent d'école en moyenne tous les 5 ans. C'est étroitement lié à une conception de l'innovation (lente et collective) qui est à l'opposé de la notre et qui ne débouche sur aucune évaluation.  Comme le dit JG Gyori c'est un vrai levier pour innover, pour le développement professionnel. Cela permet aux enseignants de mieux se comprendre et de comprendre qu'enseigner est un processus qui dure toute sa vie professionnelle. Mais pour le faire passer dans notre Ecole il faut à la fois transmettre la philosophie qui est derrière mais aussi l'organisation du travail enseignant qui permet les lesson studies.

 

Le modèle de Singapour

 

Il revient à Ee Ling Low (Université de Nannyang) de présenter le système de formation et d'évolution de carrière à Singapour. L'Ecole de Singapour a un haut niveau de célébrité en France où des éditeurs font fortune en vendant des "méthodes de Singapour" qui sont censées faire miracle par exemple pour l'enseignement des maths.

 

Mais le succès de Singapour vient de l'intégration étroite de la formation à la carrière. Les professeurs de maths sont sans doute très bons à Singapour mais ils nt droit à 100 heures de formation par an qu'ils prennent sur leur temps de travail. Ils travaillent dans un système où le métier enseignant a disparu pour être remplacé par des carrières variées et différentes , définies de façon ultra précises et surveillées de très près par les collègues. Le développement professionnel est intégré à ce système d'hyper encadrement et d'évaluation constante. Un nouvel enseignant peut choisir de faire une carrière d'enseignant où il montera en grade d'enseignant à senior teacher, de senior à lead teacher, de là à master pour espérer devenir un jour "Principal Master Teacher". Chaque passage de grade nécessite un passage par la formation. Il est lié aussi à une évaluation constante du plus gradé sur le moins gradé. On peut aussi embrasser une carrière d encadrement (avec 5 grades aussi)ou de professeur "spécialiste"  de Senior Spécialist à Chief Senior Specialist avec des grades intermédiaires. Dans ce modèle d'encadrement mutuel des enseignants la formation fait partie si on en partage les valeurs de l'amélioration du système. La "méthode de Singapour" et ses succès repose sur une organisation sociale qui fonctionne à Singapour mais qui semble incompatible avec la société occidentale.

 

Les référentiels de compétences estoniens

 

Tout aussi intéressant est l'expérience estonienne, présentée par Margus Pedaste (Université de Tartu). Après sa libération, l'Estonie a développé un modèle de référentiels de formation pour évaluer les compétences des enseignants. Les compétences évaluées sont la capacité à aider les élèves, à planifier ses activités, à enseigner, à réfléchir sur son développement professionnel, à collaborer et à innover. Là aussi cette évaluation définit des grades différents d'enseignants du novice à l'expérimenté. Cela passe par l'attribution d'un diplôme (licence ou master) délivré par une association professionnelle. Mais "la majorité des enseignants ne voient pas pourquoi ils demanderaient une licence professionnelle", remarque M Pedaste.  "Ils ne se rendent pas compte que ces référentiels sont là pour les aider". D'où la proposition delier la carrière à ce système de licences et de demander aux "master teacher" de noter leurs collègues.

 

Au bout de 8 ans, M Pedaste constate que ce modèle de formation intégrée à la carrière ne marche pas. Pourquoi ? Parce qu'il est censé remplacer un système d'avancement lié à une augmentation de salaire auquel les enseignants sont attachés. L'association professionnelle qui délivre les licences est mise en concurrence du syndicat des enseignants qui lui se bat pour les salaires. On retrouve là une tentative de créer un "ordre professionnel" face aux syndicats qui a réussi à s'installer en Ontario mais qui a échoué au Québec.

 

Pourquoi ça marche pas ?

 

Monica Gather Thurler a présenté la vision de "l'établissement apprenant" plus connue des lecteurs français. Cet établissement organise la formation en son sein. Il fixe ses priorités en se basant sur des résultats et développe une "culture d'autoévaluation". M GatherThurner ne cache pas la difficulté de mettre en place ce modèle de développement professionnel.

 

"On peut avoir l'impression que tout doit être égal. Ily a un tabou autour de cette question des compétences des enseignants. On n'ose pas évaluer précisément les personnes... Je sens beaucoup de tensions et ne suis pas sur qu'elles soient résolues".

 

C'est la leçon involontaire de la journée. Le développement professionnel peut aussi être un outil d'aliénation pour les enseignants et même un instrument de reconquête sociale comme on le voit dans certains exemples montrés le 16 et le 17 novembre. Cela pose la question des finalités de la formation et du développement professionnel. On touche là des questions que les enseignants français connaissent bien. Et qui montrent que tant que les conditions d'une collaboration ne sont pas installées, les grands plans de formation, même obligatoires, même rémunérés n'ont aucune chance d'aboutir à un développement professionnel et une amélioration du système éducatif.

 

F Jarraud

 

La conférence

La journée du 16

 

 

 

Par fjarraud , le mercredi 18 novembre 2020.

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