Tribune : Nicolas Minet : Lettre à l'institution 

Les navigateurs du  Vendée Globe sont partis des Sables d’Olonne en solitaire, mais c’est leur choix. Les enseignants sont, eux, tributaires et confiants en une institution censée posséder une boussole ; peu importe qu’elle soit numérique ou pas, il faut qu’elle montre un cap viable. Or les programmes scolaires sont restés inchangés post-confinement … C'est un problème, voici pourquoi.

 

A la rentrée de septembre dans l’enseignement primaire et l’enseignement secondaire, les cours ont démarré toutes matières confondues avec deux objectifs principaux annoncés dans les courriers de rentrée des Inspecteurs d’Académie :

-           Reprendre progressivement pour remettre les élèves au travail sans les inquiéter sur leurs lacunes dues au confinement du printemps 2020 ;

-           Enseigner néanmoins les programmes prévus pour l’année en cours.

 

Autant le premier point est compréhensible, autant le second pose problème, et suscite des interrogations dans la communauté enseignante, chez les élèves et leur famille. Bien plus que les enseignants, ce sont les élèves qui subissent les conséquences des programmes dont on n’a pas changé une virgule… Comment peut-on considérer que de mi-mars à fin juin, les élèves du primaire et du secondaire ont pu acquérir des notions tel qu’ils le faisaient habituellement ?

 

Faut-il argumenter et rappeler en particulier :

-           Les impacts limités des cours à distance pour un public d'enfants et d'adolescents ?

-           Les conséquences des inégalités dans la possession de matériel numérique dans les foyers ?

-           La démotivation des jeunes devant des écrans de classes virtuelles ?

-           Les souffrances dues à l’isolement à un âge où les liens sociaux sont forts ?

 

A la fin de l’année scolaire précédente, il était difficile pour les professeurs de se projeter vers septembre :

-           Quelle serait l’attitude des élèves face au travail, suite aux habitudes perdues ?

-           Quel serait leur niveau, puisque la continuité pédagogique à distance n’est pas du tout équivalente à l’enseignement en classe ?

-           Enfin, quelles décisions du Ministre de l’Education Nationale permettraient de planifier l’année ? Car des décisions étaient attendues.

 

Or ce sont surtout des conseils qui ont été prodigués aux enseignants, avec des incitations à participer aux formations sur le travail à distance et des incitations à utiliser encore et toujours des outils numériques pour être davantage aguerris en cas de confinement bis. A l’annonce début novembre de l’annulation des épreuves communes de Première et Terminale, que pouvait-on conclure ? Une pression s’envole au lycée, certes, mais bien d’autres restent partout.

 

Début décembre 2020, et malgré un nouvel épisode d'enseignement partiel à distance pour raisons sanitaires, aucun allégement des programmes n’est prévu.  

 

On peut lire ça et là des priorisations dans l'ordre des notions  à aborder, ou diverses ressources pour optimiser l'enseignement (Lumni , Eduscol,…).

Pourtant, deux cas et deux seulement semblent possibles si cette situation persiste :

 

            Soit des professeurs ne tentent pas de terminer les programmes à tout prix, avec des conséquences sur les classes à examens mais plus généralement sur les acquis des élèves, qui risquent d‘être tronqués de manière variable : en effet, comme on ne peut pas rattraper les mois de confinement perdus, chaque enseignant, au mieux chaque équipe pédagogique, l’année avançant inexorablement, arbitrera des coupes dans le programme selon des choix  locaux.

            Soit des professeurs tentent de terminer les programmes à tout prix, avec des conséquences sur les élèves : une pression accrue sur eux, un enseignement accéléré au détriment de sa qualité et du nécessaire temps de maturation. Et cette situation existe déjà, bien évidemment... Mais dans ce cas, quitte à aller plus vite, continuons selon cette logique…Faisons par exemple deux années en une !

 

Les enseignants du primaire et du secondaire font donc face à un dilemme :

            Doivent-ils finir le programme, acceptant de mettre les élèves en difficulté, quitte à les culpabiliser s’ils ne réussissent pas ? Au passage, cela valide l’idée selon laquelle les programmes n’étaient pas bien dimensionnés puisqu’on pourrait condenser leur enseignement en moins de temps ! Alors que les programmes français sont connus pour leur caractère encyclopédique…

            Doivent-ils s’adapter à la situation et mener tant bien que mal cette année, en tenant compte avant tout des acquis et des fragilités des élèves, en choisissant ce qui doit être enseigné avant tout, et en rayant finalement des lignes du programme, faute de temps ? Accomplissent-ils  alors convenablement leur mission de fonctionnaire ?

 

Double insatisfaction, donc, pour les professeurs :  culpabiliser et presser les élèves n’est ni tolérable ni productif, pas plus que l’idée de les (et de se) mettre en difficulté pour les années suivantes …

 

Des choix sont déjà faits sur le terrain, plus ou moins consciemment, puisque l’année avance, elle. Les enseignants sont tributaires et confiants en une institution censée posséder une boussole. Peu importe qu’elle soit numérique ou pas, il faut qu’elle montre un cap viable.

 

Nicolas Minet

Professeur de mathématiques, membre de l'IREM

 

 

 

 

Par fjarraud , le vendredi 18 décembre 2020.

Commentaires

Vous devez être authentifié pour publier un commentaire.

Partenaires

Nos annonces