Le Sénat donne de l'autorité aux directeurs d'école 

De quoi faut-il s'étonner le plus ? Du changement de stratégie de la majorité qui adopte au Sénat ce qu'elle a refusé à l'Assemblée ? De l'atmosphère de pièce déjà jouée qui a marqué tout le débat sur la loi Rilhac le 10 mars au Sénat ? Le Sénat a donné le 10 mars  une "autorité fonctionnelle" non délimitée aux directeurs d'école avec l'aval du rapporteur LREM, du ministre JM Blanquer et de la majorité de droite du Sénat. La décision met fin à la tradition de collégialité des professeurs des écoles en instituant dans chaque école un chef d'établissement. Mais sans l'appartenance à un corps spécifique, sans la garantie d'emploi, sans les aides nécessaires et sans le salaire afférent...

 

Manoeuvres prudentes

 

Atmosphère florentine. Déjà à l'Assemblée une drole de pièce s'était jouée avec la loi Reilhac celle-ci étant déshabillée de tous ses points concrets en quelques minutes par C. Rilhac elle -même en séance. Le 10 mars la même scène est rejouée mais en sens inverse. Le débat sur la  loi Rilhac lui-même est introduit en urgence par une manoeuvre du gouvernement ce qui entrainera une protestation de la sénatrice (PC) C. Brulin.

 

L'ambiance est aussi entretenue par les discours du ministre, du rapporteur et de plusieurs sénateurs. Il y a un mot tabou, "autorité" qu'il ne faut pas prononcer alors qu'il est dans tous les esprits. Ainsi JM Blanquer estime que le directeur doit avoir "des compétences plus importantes, un positionnement plus fort dans les institutions" avant de dire finalement qu'il est "favorable à la délégation de compétences". Solution qui avait été écartée par l'Assemblée.

 

Julien Bargeton, le rapporteur LREM de la loi, juge le statu quo intenable et veut "des réponses" mais "sans toucher à l'équilibre fondamental : nous ne consacrons pas l'autorité hiérarchique", dit-il. Pour Max Brisson, LR, "face aux charges croissantes les directeurs réclament plus de temps, d'aide administrative et de formation. Personne ne réclame un statut. Mais beaucoup souhaitent que l'emploi soit reconnu comme fonctionnel... Un directeur c'est fait pour diriger".

 

De la délégation de compétences...

 

La coalition de la majorité, des Centristes et des LR va procéder par étapes. Le Sénat va d'abord écarter un amendement PS rendant la délégation de compétences optionnelle. Cela revient à reconnaitre au directeur la "délégation de compétences de l'autorité académique" que la commission du Sénat a introduit dans le texte de la loi Rilhac.

 

Les sénateurs PS, PC et écologistes ont déposé des amendements précisant que le directeur "n'exerce pas d'autorité hiérarchique". C'était la formule mise dans la loi Rilhac par l'Assemblée et retirée par la commission au Sénat. Les amendements sont rejetés. Sonia de la Provôté, centriste, estime qu'il "faut à un moment que le statu quo s'arrête... Il y a des moments où il faut décider sans passer par le fonctionnement collégial". Pour Max Brisson,  "il faut que les décisions s'imposent".

 

Pierre Ouzoulias (PC) relève que l'autorité fonctionnelle introduite par la loi n'est pas définie. "J'entends quelque chose qui pourrait porter le rapport hiérarchique. Le directeur pourrait noter les enseignants et avoir un rapport hiérarchique", dit-il. JB Magnier, PS, relève que faute de la préciser dans la loi l'autorité fonctionnelle le sera dans des circulaires. "On veut pas dire les choses", souligne t-il.

 

A l'autorité fonctionnelle

 

Le voile se déchire quand le Sénat vote sur un amendement de Max Brisson (LR), soutenu par le rapporteur et le ministre. Il ajoute à la loi une phrase : "le directeur dispose d'une autorité fonctionnelle permettant le bon fonctionnement de l'école et la réalisation des missions qui lui sont confiées.". C'était la formule de la loi Rilhac, écartée par la majorité à l'Assemblée. Elle est ramenée par un senateur de l'opposition de droite avec le soutien du ministre.  L'autorité fonctionnelle est adoptée par 252 voix contre 92. C'est la fin de la gestion collégiale des écoles que les pères de l'école républicaine avaient imaginé. En ce domaine aussi ce serait une rupture dans l'histoire de l'école républicaine que même Vichy n'avait pas osé.

 

Qu'est ce que l'autorité fonctionnelle ?

 

L'autorité fonctionnelle est donnée par un supérieur, ici l'inspecteur, au directeur d'école. Ce dernier dans le cadre défini a l'autorité déléguée par l'inspecteur. Ici le cadre est large : "le bon fonctionnement de l'école et la réalisation des missions qui lui sont confiées" dit la loi. Ces missions ne sont pas précisées par la loi.

 

Théoriquement cela peut aller jusqu'à l'évaluation des enseignants, comme le Grenelle  de l'éducation l'envisage. Le groupe Gouvernance du Grenelle "propose que le directeur ait la possibilité de valoriser par une évaluation positive " les professeurs des écoles sous forme d'un "double regard de l'inspecteur et du directeur" pour l'évaluation dans le PPCR. Exactement comme le font les chefs d'établissement. Et on sait que le ministre est favorable à ce pouvoir de notation, voire de nomination, pour les directeurs.

 

Pour autant le directeur avec cette délégation appartient toujours au corps des professeurs des écoles. Il n'a pas la garantie qu'a un chef d'établissement. A tout moment l'autorité fonctionnelle peut lui être retirée par l'inspecteur. Cela en fait un rouage particulièrement docile. Le directeur n'appartient pas a un corps à part. Il n'a pas d'avantage salarial ou d'aide administrative ou de décharge fixée précisément par la loi.

 

Les directeurs demandent -ils cette autorité ?

 

Plusieurs consultations ont eu lieu, notamment celle organisée par le ministère lui-même en décembre 2019. Toutes montrent que les directeurs d'école et les professeurs des écoles ne veulent pas de supérieur hiérarchique. Ils veulent que les directeurs aient les moyens pour exercer leurs charges que le gouvernement leur a retiré, comme les aides administratives, ou qu'il n'a pas amélioré comme les décharges. Récemment l'Education nationale a recruté 2500 services civiques pour les écoles, ce qui reste très peu pour 44 000 écoles. Et 600 postes sont réservés pour améliorer les décharges des 44000 directeurs.

 

Rien de précis sur les décharges

 

Le Sénat crée une "formation certifiante" pour devenir directeur d'école d'une école ayant une décharge totale. On peut y voir l'amorce d'une séparation parmi les directeurs d'école. Il a aussi restreint le pouvoir du directeur d'école en matière de formation. Le texte de la commission disait que "Le directeur d’école propose à l’inspecteur de l’éducation nationale, après consultation du conseil des maîtres, des actions de formation spécifiques à son école". Le Sénat précise que ce sera " en prenant en compte les orientations de la politique nationale".

 

Pour les décharges, la loi ne fixe rien de précis. " Le directeur d’école peut bénéficier d’une décharge totale ou partielle d’enseignement", ce qui est déjà le cas. " Elle doit lui permettre de remplir de manière effective l’ensemble de ses fonctions" a ajouté le Sénat ce qui reste peu précis. Si le ministère devait réellement aller en ce sens il faudrait bien plus que les 600 postes promis par JM Blanquer pour les 44 000 directeurs. Une seule contrainte : "Avant le 30 juin de chaque année, lors d’une réunion du conseil départemental de l’éducation nationale, l’autorité compétente en matière d’éducation rend compte de l’utilisation effective lors de l’année scolaire en cours des décharges d’enseignement".

 

Sur l'aide administrative, l'article 2 bis disait que "l'Etat et les communes peuvent mettre à la disposition des directeurs d'école les moyens permettant de garantir l'assistance administrative". Le Sénat a modifié la loi : seul" l'Etat met à la disposition" "lorsque la taille ou les spécificités de l'école le justifient". Jusque là l'Etat n'a affecté que 2500 services civiques aux écoles auxquels peuvent s'ajouter des futurs enseignants en stage. La contrainte introduite dans la loi reste limitée.

 

Le "conseil de la vie écolière" qui associait élus , élèves, parents et représentants de l'administration est supprimé.

 

Quelle suite va avoir ce vote du Sénat ?

 

La loi est profondément modifier par le Sénat. Elle devra repasser devant l'Assemblée. A deux reprises celle ci a fait échouer les propositions avancées par C Rilhac et , derrière elle, JM BLanquer.  Les députés ont gardé le souvenir de la révolte des enseignants et des maires lors du premier projet Rilhac. Depuis la crise est passée par là avec l'isolement, la démobilisation qu'elle engendre et peut-être l'idée que les enseignants sont un public perdu pour 2022. Le Grenelle a aussi adopté ce que JM Blanquer souhaitait.

 

Il semble que la majorité ait changé de stratégie et que le ministre ait maintenant le feu vert qu'il attend depuis la loi Blanquer. Si c'est le cas l'Assemblée adoptera les modifications et la loi entrera en application très rapidement. Si l'Assemblée ne vote pas le texte du Sénat, une commission paritaire aurait à chercher un  compromis.

 

François Jarraud

 

La proposition de loi modifiée par le Sénat

 

 

 

 

Par fjarraud , le jeudi 11 mars 2021.

Commentaires

  • isaca1, le 11/03/2021 à 18:17
    C'est une erreur de citer les services civiques comme aides à la direction. D'abord il faut le temps de les recruter, et cela prend du temps, pour finir par un contrat de 6 mois qui ne couvre évidemment pas l'année, de 9 mois si on a la chance de pouvoir trouver rapidement. Ensuite il faut les former, et enfin la fiche mission précise bien qu'ils n'ont pas à faire de travail administratif pour la direction. Ils sont en appui pour des activités auprès des enseignants.
    Bref rien à voir avec les précédents EVS (emploi de vie scolaire) qui eux en plus pouvaient rester plusieurs années, et devenir un élément efficace pour la prise en charge de tâches administratives, une aide réelle pour les directeurs notamment ceux qui ne sont pas complètement déchargés. A noter cependant que plus le directeur était déchargé puis il avait droit à un EVS... la logique de l'éducation nationale.
    Bref, vivement la retraite !

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