Revue de Sèvres : Plaidoyer pour l'oratie 

"L'oral revient en force". Pour Daniel Coste (ENS Lyon) et Roger François Gauthier (IG), qui coordonnent le nouveau numéro (86) de la Revue de Sèvres, l'oral a un tapis rouge devant lui en France comme ailleurs dans le monde. Oui mais de quel oral s'agit-il ? Et comment l'enseigner ? Comment éviter que cet enseignement augmente les inégalités ? Les auteurs plaident pourtant pour une "oratie", un vocable moulé sur la littératie. Et ils analysent le "grand oral".

 

Pour une "oratie"

 

"Partout l'idée est qu'existe un mouvement irrépressible et d'origines diverses" en faveur de l'enseignement de l'oral. "Et si l'école ne s'en charge pas cela se passe ailleurs mais pas pour tous.. Dis moi quel oral et je te dirai quelle école". Alors que la France se prépare à un premier "grand oral" au bac, la Revue internationale d'éducation de Sèvres (RIES n°86) publie un numéro sur l'oral. Neuf pays sont visités dans une démarche comparative : l'Angleterre, l'Argentine, l'Inde, l'Italie, la Cote d'Ivoire, le Japon, la Tunisie et bien sur la France à propos de la discussion à visée philosophique (DVP).

 

Mais qu'est ce que "l'oral" ? D Coste et RF Gauthier estiment que l'oral "ça s'apprend". Ils donnent des exemples de curriculum très structuré par exemple en Suisse, en Italie ou en Angleterre.  Ce qui les amène à définir "l'oratie", l'enseignement de l'oral.

 

Comment apprendre l'oral ?

 

Ils constatent la nécessité de développer la compétence à écouter. L'oral qui s'apprend ne doit pas être celui des brouillons à réciter. C'est un apprentissage du débat (illustré par la DVP). Il cite aussi en exemple "le modèle dialogique d'enseignement" argentin,les discussions structurées à l'anglais. Notons dans ce pays, un curriculum qui définit 5 étapes dans l'apprentissage de l'oral.

 

En Suisse alémanique le Lehrplan 21 donne des prescriptions pour travailler l'écouter et le parler. "En situation d’écoute de monologues, l’élève reconnaît des informations importantes dans des messages simples et en s’aidant du contexte, il ou elle est capable d’accéder aux informations manquantes à l’aide d’outils appropriés. La compréhension auditive globale de divers textes audio se diversifie au cycle 2 : récits, pièces de théâtre, films, poèmes, documentaires. En situation d’écoute de dialogues, l’élève prend part à des conversations familières, en montrant son attention de manière non verbale, paraverbale et verbale". Il y a aussi le parler : "Dans des situations de monologue, l’élève communique de manière appropriée et compréhensible, exprime ses sentiments, pensées et expériences vécues et récite de courts poèmes. Au 2e cycle, l’élève raconte une histoire en créant parfois un effet de suspens, présente un livre, les résultats d’un travail et ses réflexions à l’aide d’un schéma ou de différents médias. Il ou elle utilise des aides à la structuration pour une courte présentation : mots-clés, carte conceptuelle, etc. Dans des situations de dialogue, l’élève participe à des conversations de plus en plus longues".

 

Et le grand oral ?

 

Et pour cela ils estiment qu'il faut former les enseignants notamment à réfléchir à l'équité dans la pratique de l'oral. "Il est important de ne pas renoncer à évaluer l'oral", estiment-ils "sinon il restera le parent pauvre. La meilleure prise en compte de l’oral passe aussi par un autre aménagement des espaces scolaires, une autre disposition des classes, avec des effectifs moindres et des équipements adéquats et disponibles, ainsi que des ressources, notamment en matériels enregistrés pour favoriser l’écoute diversifiée".

 

Toutes ces exigences et ces réflexions nous éloignent du grand oral, même s'il est probablement pour beaucoup dans la rédaction de ce numéro. "Je regrette le nom", nous dit RF Gauthier. A Coste relève que "dans les articles de ce numéro il n'est pas question d'activité pédagogique de ce type". Dans le monde, l'évaluation se pose "moins en terme d'épreuve finale avec effets à rebours mais comme quelque chose donnant lieu à construction progressive.

 

L'oral, un outil social ?

 

Mais pourquoi cet intérêt subit pour l'oral ? Les coordonnateurs auraient eu intérêt à interroger un sociologue et un ethnologue sur les effets de ce retour à l'oral. Ils mettent en avant "une demande sociale (qui) vient d'abord du monde du travail..., la recherche du développement personnel... De nombreuses collectivités demandent à l'école de contribuer au fonctionnement harmonieux des sociétés".

 

C'est que le développement de l'oral a des conséquences sociales lourdes. De quel oral parle t-on ? On ne parle pas de la même façon à Toulouse et à Lille. Mais c'est vrai aussi pour Saint-Denis et Neuilly (sur Seine). Partout l'oral marque la distinction sociale. Partout ce retour d el'oral scolaire peut aggraver les inégalités scolaires surtout quand on aborde la question que dans le cadre d'un examen final sans que personne n'ait eu le temps et la formation pour sa préparation.

 

Dans tous les pays, notamment en France, les enseignants dont face aux parlers des élèves : parlers du pays d'origine, parlers régionaux, parlers banlieue. Ces parlers sont autant d'affirmations identitaires que l'oral officiel peut avoir comme objectif de gommer. Le retour de cet oral renvoie aux mêmes problématiques que les compétences sociales mises à la mode par les mêmes acteurs (Medef, Ocde).

 

L'intérêt de ce numéro c'est d'offrir une vision planétaire des situations pédagogiques et des réflexions en lien avec l'oratie et de souligner , involontairement, la particularité et la dureté sociale de sa lecture blanquerienne. Ses limites c'est de ne pas interroger assez les dynamiques sociales et politiques qui sont à l'oeuvre dans l'oratie.

 

François Jarraud

 

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Par fjarraud , le jeudi 27 mai 2021.

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