Mixité sociale : A Paris, les lycées des beaux quartiers font de la résistance 

"Il y a des progrès encore à établir. Mais les choses vont mieux". Le 24 janvier, Christophe Kerrero, recteur de Paris, présentait les premiers résultats de la réforme d'Affelnet, la plateforme d'affectation en lycée. Profondément modifié pour la rentrée 2021, Affelnet veut faire entrer plus de mixité scolaire  et de mixité sociale dans des établissements parisiens fortement ségrégués. Le bilan, réalisé par Julien Grenet, montre de réels progrès dans la majorité des lycées parisiens. Mais les établissements des quartiers chics, 16ème, 5ème, 6ème, résistent.

Une ségrégation scolaire 5 fois supérieure à la moyenne

 

"C'est une réforme ambitieuse et un défi démocratique pour la capitale... Les premiers résultats sont positifs et encourageants". Recteur de Paris, Christophe Kerrero présente le 24 janvier les premiers résultats du comité de suivi Affelnet. Julien Grenet (PSE) avec Pauline Charousset (PSE) et Gabrielle Fack (Dauphine) ont évalué les effets de la réforme d'Affelnet sur les lycées parisiens.

 

Nouvelle carte, nouvel indice

 

La réforme veut lutter contre la très forte ségrégation sociale et scolaire dans les établissements de Paris. Ainsi l'indice de ségrégation sociale des lycées publics parisiens était 1.2 fois plus élevé à Paris que la moyenne nationale. C'est pire pour la ségrégation scolaire. Elle était 4.8 fois plus élevée que la moyenne nationale. La situation était donc celle d'une hiérarchisation très forte des lycées, avec des  taux de pression très important pour quelques uns et la fuite d'autres établissements.

 

Le nouvel Affelnet remplace la division de Paris en 4 grands secteurs par une nouvelle sectorisation calculée pour chaque collège de rattachement. Un bonus est donné à l'affectation dans 5 lycées de proximité. Des points sont aussi réservés au niveau scolaire des élèves, calculé à partir des compétences du socle et des notes de controle continu. Enfin la réforme introduit un bonus social calculé selon un indice de positionnement social du collège. Les collèges à population défavorisée font bénéficier d'un bonus de 1200 points, 600 points s'il s'agit d'un établissement à population socialement "moyenne". Les collèges à bonus social sont surtout situés dans la périphérie nord, sud et est de Paris.

 

Des résultats positifs

 

Avec Affelnet 2021 97% des élèves étaient affectés à l'issue du 1er tour soit un peu plus qu'avec Affelnet 2020 (94.7%). Le taux de satisfaction du 1er voeu atteint 59% soit davantage qu'en 2020 (52%). 85% des collégiens ont eu un de leurs trois premiers voeux.

 

En ce qui concerne la mixité scolaire, l'indice de ségrégation a diminué de 30% en 2021 (de 0.4 à 0.28) en partie à cause de la nouvelle sectorisation et en partie à cause du bonus social. Progrès aussi pour la mixité sociale :l'indice de ségrégation sociale passe de 0.09 à 0.07 soit 28% de moins. L'indice IPS a joué son rôle. Notamment 72% des élèves ayant le plus fort indice de positionnement social (IPS) ont eu leur 1er voeu contre 46% pour les plus favorisés.

 

Et globalement il y a plus de quartiers où un fort pourcentage d'élèves a obtenu son premier voeu en 2021 qu'en 2020. En 2021 seuls les 8ème  et 9ème arrondissements, le centre de Paris (1er arrondissement) et une partie du 12ème ont peu d'élèves pris sur leur premier voeu. Ailleurs les taux de satisfaction sont élevés.

 

Les beaux quartiers résistent

 

 Et c'est bien là qu'est le problème. Il est dans les objectifs de la réforme d'avoir accordé une meilleure affectation aux élèves des quartiers populaires du nord, de l'est et de la périphérie sud parisienne. Par contre, on constate un fort taux de satisfaction des demandes dans les quartiers les plus privilégiés : 16ème, 7ème, 6ème, 5ème arrondissements avec les parties chics du 14ème et du 15ème.

 

Quand on regarde en détail les résultats, on voit que 23 lycées se sont rapprochés de la moyenne parisienne pour le niveau scolaire. Ils se sont déségrégués. Par contre 11 lycées ont augmenté leur ségrégation scolaire. Et ce sont des lycées des beaux quartiers : Janson de Sailly V Duruy; Buffon, PG de Gennes, J de la Fontaine, JB Say par exemple. Ainsi à J de Sailly le niveau scolaire des élèves admis en 2021 est encore meilleur que celui des admis 2020.

 

Une observation similaire peut être faite pour la ségrégation sociale. Si 24 lycées ont amélioré leur situation, dans 12 lycées les élèves sont encore plus favorisés en 2021 qu'en 2020.  C4est le cas par exemple de JB Say, J de la Fontaine, Janson de Sailly, Buffon, PG de Gennes etc. A JB Say par exemple en 2021 on compte encore davantage d'élèves favorisés socialement qu'en 2020.

 

Pour Julien Grenet, il faut revoir la sectorisation de ces lycées pour l'élargir à des bassins plus défavorisés. Ainsi les établissements du 16ème , très favorisés, devraient s'ouvrir vers le 15ème et le 17ème. Les 5èmes et 6èmes arrondissements pourraient  accueillir des élèves du centre de Paris (rive droite). Des suggestions validées par C Mazeron, DSDEN. "On va ouvrir le nord du 16ème aux collèges du 17ème, 18ème, 8ème et même 9ème arrondissements".

 

Pour la FCPE, la solution pourrait être dans des quotas sociaux dans les collèges. L'association de parents d'élèves, qui salue les progrès d'Affelnet, estime que cela permettrait de réduire l'autocensure des familles dans leurs voeux.

 

Christophe Kerrero a souligné les efforts faits par l'académie pour accompagner ces évolutions dans les lycées. "On a donné 8800 HSE dans les lycées pour le soutien scolaire", dit le recteur. POur la rentrée 2022 il ne s'agira plus d'HSE mais de moyens inscrits dans les DHG pour des dispositifs d'accompagnement, assure t-il. L'académie ouvre des premières générales dans certains lycées et des premières technologiques dans d'autres pour accompagner l'évolution.

 

Le poids du privé

 

Cet effort vers davantage de mixité scolaire et social bute aussi sur l'existence d'un enseignement privé important dans la capitale. Or si une partie des lycées privés sous contrat sont inclus dans Affelnet, ils ne le sont que pour éviter les doubles inscriptions. Ils ne sont pas soumis au tri effectué par Affelnet. Ces établissements restent une porte de sortie pour les familles qui veulent entretenir l'entre soi. Si sur le plan des effectifs J Grenet ne signale pas beaucoup de changement, sur le plan de l'évolution sociologique du privé, il n'a pas de données. Autrement dit il est possible que les gains en mixité sociale dans le public soit le résultat d'une ghettoïsation scoiale accrue dans le privé.

 

Henri IV et Louis le Grand

 

Reste la question des deux lycées les plus prestigieux et les plus sélectifs de Paris : Henri IV et Louis le Grand. Affelnet va être étendu à ces deux lycées. Mais, assure C Kerrero, "il ne s'agit pas réduire l'élite mais de l'élargir car la France a besoin de tous ses talents". Le ratio entre élèves parisiens et non parisiens devrait être maintenu (25% à Henri IV et 14% à LOuis le Grand). "On envisage des quotas d'IPS", dit C Mazeron. Mais "la procédure d'affectation dans ces lycées continuera à se faire à la main" et non via un algorithme. "On sera plus transparent", assure t-elle. "On sera volontariste pour mettre des boursiers et des élèves venant de collèges à IPS faible. Mais dans des proportions acceptables par la communauté éducative".

 

L'exemple des lycées parisiens montre à quel point faire progresser la mixité sociale et scolaire est ardu. Les efforts de l'académie commencent à porter des fruits. Mais ils se heurtent à la résistance des beaux quartiers et de la ségrégation urbaine.

 

François Jarraud

 

Mixité sociale à Toulouse

Mixité sociale dans les collèges parisiens

 

 

 

Par fjarraud , le mardi 25 janvier 2022.

Commentaires

  • jgrenet, le 25/01/2022 à 23:09
    L'hypothèse selon laquelle les gains en mixité sociale dans les lycées publics à la rentrée 2021 pourraient être le résultat d'une ghettoïsation sociale accrue des lycées privés  paraît peu vraisemblable au vu de la très faible proportion collégiens du public qui se sont inscrits dans un lycée privé à l'entrée en seconde GT : cette proportion était de 2,7% en 2020 et n'a guère varié en 2021 (2,8 %). L'évaluation la réforme veillera naturellement à documenter l'évolution du recrutement social des lycées privés, pour lesquels les données existent mais n'étaient pas disponibles au moment de l'analyse du constat de rentrée 2021.
  • leonard123, le 25/01/2022 à 09:48
    Petite erreur sur l'article : Louis-le-Grand compte 40 % de non-Parisiens dans le secondaire, pas 14 %.
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