Ecole et élitisme 

"L’argument de la méritocratie individuelle cherche à nous convaincre que l’accès aux élites ne serait qu’affaire de travail et de volonté, voire de don ou de potentialités. Il masque mal une réalité où la mobilité sociale reste largement entravée par les origines". Ouvrant le dernier numéro (24) des Carnets rouges, Paul Devin annonce une analyse critique de l'élitisme à la française où l'on retrouve d'excellents auteurs, par exemple Pierre Merle, Agnès Van Zanten et Jean Yves Rochex.

 

Un double élitisme

 

Plutôt que parler d'élitisme, A Van Zanten évoque "le double élitisme de l'école française". S'appuyant sur les travaux de Ralph Turner elle montre une conception singulière de l'élitisme en France, associée au talent , et pas seulement à l'effort, et installé dans une logique de "tournois" successifs, éliminant à chaque tournoi une partie des élèves. Dernier caractère : cet élitisme se retrouve dans tout le système, y compris sa tradition pédagogique comme l'écrit si bien A Van Zanten. "Le système scolaire français se caractérise ainsi par un double élitisme : un élitisme revendiqué, fondé sur un principe de compétition méritocratique censé faire émerger les « meilleurs » mais doublement biaisé par l’association des contenus d’enseignement, des méthodes de transmission et des critères d’évaluation à la culture des groupes dominants et par l’action externe de ces mêmes groupes pour maintenir l’avantage de leurs enfants ; un élitisme fondé sur la séparation précoce, sur une base plus ouvertement sociale, d’un petit groupe d’« élus », devenu partiellement illégitime mais ayant pu se maintenir par l’adoption de modes formellement méritocratiques de cooptation et la délégation de sa construction aux établissements, aux élèves et aux parents. Ce double élitisme joue un rôle essentiel dans la perpétuation voire l’accentuation des inégalités. Il entretient aussi la défiance des exclus à l’égard du système d’enseignement et, par le même mouvement, du système social dont il est censé soutenir la légitimité".

 

Un tri social continu

 

"Du collège aux très grandes écoles, les parcours scolaires des élèves se caractérisent par l’élimination progressive des enfants des catégories populaires, essentiellement les enfants d’employés, d’ouvriers et d’inactifs. Si ce phénomène d’élimination est présent dans tous les systèmes scolaires, il est particulièrement marqué pour l’école française. Il est relativement peu contesté en raison de la force des idéologies qui le justifient", explique Pierre Merle dans ce même numéro. Les idéologies innéistes et méritocratiques restent puissantes. Mais P Merle évoque aussi le séparatisme social à l'oeuvre dans le système éducatif. Par exemple, "Les différentes filières des lycées prolongent la différenciation sociale et scolaire des collèges. Ainsi, avant leur suppression, les terminales scientifiques scolarisaient 67 % d’élèves d’origine moyenne et favorisés et 33 % d’élèves d’origine favorisée alors que les terminales professionnelles scolarisaient 69 % d’enfants d’origine défavorisée et 31 % d’origine  favorisée et moyenne (Merle, 2021). Si la nouvelle organisation du lycée brouille les cartes des inégalités sociales de parcours scolaires, ces inégalités demeurent présentes. La triplette d’enseignement de spécialités « mathématiques, physique chimie, SVT » reconstitue l’ancienne terminale scientifique et demeure la  plus choisie par les élèves d’origine aisée", exemple vivant du poids de l'élitisme dans les mentalités.

 

Le cas d'Affelnet Paris

 

P Merle lie le séparatisme scolaire à la ségrégation géographique. Pour lui la réforme parisienne d'Affelnet en est un exemple. "Telle qu’elle a été conçue en 2021, la réforme de l’Affelnet parisien, en réduisant le choix possible des élèves de chaque collège à seulement cinq lycées définis nominativement, constitue une véritable assignation à résidence. Même les excellents élèves scolarisés dans certains collèges des 19e et 20e arrondissements ne pourront pas accéder aux meilleurs lycées du centre-ville parisien qui permettent un accès privilégié aux meilleures CPGE et, in fine, aux très grandes écoles. Le fonctionnement de l’Affelnet parisien est représentatif de l’organisation scolaire. A compétences scolaires égales, les enfants d’origine aisée ont, en moyenne, de meilleures carrières scolaires que les enfants des autres origines sociales (Estelle Herbaut, 2019). En ce sens aussi, le modèle méritocratique est une mystification, une forme de storytelling".

 

Personnaliser pour enterrer la question sociale

 

C'est sur " l'égalité des chances" et la personnalisation que Jean-Yves Rochex nous invite à réfléchir. Il remarque que les dispositifs d'égalité des chances "sont bien loin de réaliser les objectifs affichés" : ainsi les conventions Zep de Sciences Po n'ont concerné qu'un élève de Zep sur 15000. Surtout cette démarche nie toute velléité de transformation sociale. "Envolées dès lors, non seulement toute visée de transformation scolaire et sociale, mais aussi toute approche en termes d’inégalités et de rapports sociaux. N’existe plus que la diversité des individus et des territoires, et tout questionnement sociologique est disqualifié ou vidé de sa substance, au profit d’une alliance entre psychologie individualisante (voire neurosciences) et théorie du capital humain. Considéré comme inatteignable et obsolète, l’objectif politique de démocratisation ne peut alors que disparaître derrière celui de mobilité". On en est bien là...

 

François Jarraud

 

Carnets rouges, Ecole et élitisme n°24

 

 

 

Par fjarraud , le jeudi 03 mars 2022.

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