Le film de la semaine : « Clara Sola » de Nathalie Alvarez Mesén 

Comment une femme, isolée dans un village reculé du Costa Rica, prisonnière d’un carcan social archaïque et de croyances religieuses d’un autre temps, trouve-t-elle la voie, extraordinaire, de l’insoumission ? Pour son premier film (couvert de prix depuis sa présentation dans de nombreux festivals), Nathalie Alvarez Mesén, jeune réalisatrice suédoise, revient au pays de ses origines et puise, avec sa coscénariste d’origine colombienne, Maria Camila Arias, aux sources du ‘réalisme magique’ imprégnant la littérature latino-américaine. Avec « Clara Sola », la cinéaste, à distance de toute démonstration féministe, compose le portrait singulier d’une personne à la sensibilité extrême, au corps et au désir entravés, enfermée dans un rôle imposé de ‘guérisseuse’ miraculeuse.  Un être à part, beauté brune à la présence physique frémissante, instinctivement reliée à la flore et à la faune de la forêt alentour. Par la force de la mise en scène attentive à la palpitation du vivant en pleine nature et aux mouvements intérieurs de l’héroïne rebelle, nous percevons la métamorphose progressive de Clara, ni sorcière ni madone mais figure libre d’une émancipation, sensuelle et spirituelle à la fois. Une fable envoutante en forme de célébration subversive des noces de l’animalité et de l’humanité.

 

Clara,  l’écartèlement entre oppression familiale et harmonie avec la nature

 

Dans la luxuriante et verdoyante forêt touffue entourant le petit village costaricien au milieu duquel Clara vit maintenue d’une main de fer par la communauté de femmes (en particulier la grand-mère à l’autorité incontestée, et la mère figée dans ses croyances chrétiennes) , la jeune femme de quarante ans (puissamment incarnée par Wendy Chinchilla,  la comédienne et danseuse, et seule du métier parmi des partenaires non-professionnels, au jeu intense) dans un statut d’handicapée (sa scoliose maintenue par un corset) et un pouvoir surnaturel supposé (réincarnation de la Vierge Marie, dotée du pouvoir de guérir les malades venant la visiter).

 

Manifestant dans la retenue du corps son absence d’appétence pour cette mission encombrante, traitée comme une enfant dont l’accès au désir est coupable et interdit, Clara s’épanouit visiblement dans l’espace sans limites offert par la campagne arborée de ce petit coin montagneux. Par d’infimes détails captés par la caméra (le contact avec les insectes, le toucher des feuillages, le vol de lucioles, l’attachement physique à la jument blanche, l’oreille aux aguets sensible au chant des oiseaux et autres bruissements de la vie dans la nature), Clara nous apparaît instinctivement à l’unisson de la terre, de la végétation et des animaux qui la peuplent et en traversent le ciel.

 

Balayant l’autisme apparent et le silence dominant qui la caractérisent, notre héroïne rétive à toute domestication s’ouvre de plus en plus à son environnement. L’arrivée de Santiago chargé de s’occuper de la jument ne sera pas étrangère à pareille transformation. Alternant moments de révolte impulsifs (et violents), sources de scandale au village, et infimes vibrations montant du plus profond d’elle-même, le corps se délie, l’esprit se délivre, accédant à des sensations, des émotions et des désirs inédits, débordant la conscience, débridant l’exil intérieur.

 

Du tressaillement intime à la vision hallucinée, une libération sexuelle et spirituelle

 

Nous pourrions nous en tenir au plus spectaculaire dans l’appétit sexuel d’une Clara désinhibée avec une voracité presque carnassière tant l’opacité du personnage résiste aux explications simplistes. Dans la relation ‘animiste’ que Clara développe avec la nature et les êtres qui y vivent, sa propre animalité n’est pas absente, le ‘soupçon de loup’ en elle, comme le souligne la réalisatrice. Une ambivalence, mystérieuse, la faisant osciller entre l’animalité et l’humanité,  de l’adhésion aux moindres signaux émis par la terre (dont elle seule perçoit le tremblement) jusqu’à faire l’expérience sensorielle d’une fusion avec les éléments qui la composent au point de sembler disparaitre dans le paysage. Pourtant, le processus ne s’accomplit pas totalement, en une vision à la lisière du fantastique, baignée de lumière, Clara debout touche son corps et  écarte ses mains comme si elle en percevait la morphologie en mutation. Au loin, la blancheur attirante de sa jument aimée se détache. Et le rapprochement des plans figure de manière saisissante la fragilité de la frontière entre l’animal et la femme, l’insoumission qui les rapproche et l’émancipation sexuelle et spirituelle qui n’appartient qu’à elle seule.

 

Magnifiée par la caméra sensuelle de la directrice de la photographie, Sophie Winqvist Loggins, rythmée par la partition musicale originale de Ruben de Gheselle épousant les séismes invisibles de l’héroïne,  la fable surréaliste de Nathalie Alvarez Mesén nous donne à voir et à entendre à travers ses miroitements infinis la singulière et troublante émancipation d’une femme à la découverte d’elle-même.

 

Samra Bonvoisin

« Clara Sola », film de Nathalie Alvarez Mesén-sortie le 1er juin 2022

Sélection ‘Quinzaine des Réalisateurs’, Festival de Cannes 2021

 

 

Par fjarraud , le mercredi 01 juin 2022.

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